Les défis de l’attractivité et de la durabilité
En 2015, Vienne est la ville où l’on vivrait le mieux au monde, selon le palmarès Mercer des villes offrant le meilleur cadre vie. Paris, dans ce même classement, se trouve en 27ème position. Si de premiers palmarès de villes ont été conçus et publiés dès les années 1970 en France, les études internationales sont plus récentes. Elles sont devenues un instrument, discuté mais très utilisé, de mesure de l’attractivité urbaine.
Classer les villes par les prix et la qualité de vie
Les villes sont engagées dans une grande compétition d’image et d’attractivité. À l’échelle mondiale, elles sont scrutées et comparées par des batteries d’enquêtes. Le classement des villes est devenu une industrie pour les cabinets de conseil, les universités, les multinationales. Et on ne compte plus les études annonçant la ville la plus chère, la plus accueillante, la plus puissante, la plus cool, la plus durable, la plus favorable (ou défavorable) à l’environnement.
Les enquêtes portent principalement sur deux thèmes : les prix et la qualité de vie. Et dans cette deuxième famille d’étude les dimensions environnementales prennent de plus en plus de place.
Établir des classements selon les prix et les niveaux de vie dans les villes est un exercice difficile. Ces études, souvent répercutées dans la presse, sont principalement produites par des banques ou des cabinets de conseil. Elles reposent sur la comparaison du coût d’un panier de produits, de biens et services. Ce panier comprend généralement, mais pas systématiquement, le logement, les transports, l’alimentation, les vêtements, les loisirs. Les données recueillies, dont l’évolution dépend directement des cours de change, sont destinées à être utilisées par les gouvernements et les multinationales pour protéger le pouvoir d’achat de leurs employés expatriés. Elles permettent d’afficher « la ville la plus chère du monde », celle-ci variant chaque année, mais également dans l’année, en fonction des enquêtes.
D’autres enquêtes portent sur la qualité de vie. Leurs résultats dépendent moins des fluctuations de change et du niveau de développement économique. Dans l’étude menée par le cabinet Mercer, la qualité de vie est analysée selon une quarantaine de facteurs réunis en dix catégories (stabilité politique, environnement économique, offre culturelle, offre de services sanitaires, offre éducative, réseaux de transport, services récréatifs, offres de consommation, logement, environnement naturel). Il s’ensuit un index de qualité de vie qui permet des hiérarchisations. Le classement, qui ne voit pas de profonds changements entre les années, est très attendu. Selon la livraison 2015, Vienne est toujours la ville offrant le meilleur cadre de vie. Les villes européennes dominent le haut du classement, avec les grandes villes en Australie et en Nouvelle-Zélande. Zurich, Auckland, et Munich sont en deuxième, troisième et quatrième positions. En cinquième place, Vancouver est la première ville et la seule ville d’Amérique du Nord présente dans le top 10. Singapour (26) est en tête des villes asiatiques, tandis que Dubaï (74) occupe la première place au Moyen-Orient et en Afrique. Enfin, Montevideo en Uruguay (78) prend, quant à elle, la première place pour l’Amérique du Sud. En France, Paris est la première ville (27), suivi de Lyon (39), Pointe à pitre (69) et Nouméa (111).
Les classements des villes selon la qualité de leur environnement
Avec l’affirmation de la préoccupation environnementale sur les agendas politiques internationaux, nationaux et locaux, l’environnement a été érigé en priorité des stratégies métropolitaines. Le thème est, en tout état de cause, devenu si important qu’il est lui même devenu sujet de palmarès des villes. Même si la définition de la durabilité ne va pas de soi, c’est une comparaison et une compétition des villes durables qui s’opèrent. Il y a, en l’espèce, à la fois une coopération des villes et une concurrence entre ces mêmes villes. Coopération, car les villes et réseaux de ville échangent des idées et bonnes pratiques par exemple en matière d’énergie photovoltaïque, de circuits courts de logistique, ou d’analyses économiques sur le cycle de vie. Concurrence, car il s’agit d’être repéré et distingué. Un néologisme a même été forgé pour désigner cette coexistence de la coopération et de la compétition : la coopétition. Voici certainement le terme qui désigne au mieux l’effervescence autour de la ville durable : de la collaboration par des acteurs par ailleurs concurrents.
L’environnement est en tout cas devenu une dimension cruciale de comparaison, nourrie par les classements. Ainsi Mercer, à partir de 2010, a innové en produisant, à côté de son classement désormais habituel des villes, un « éco-classement ». Portant sur les mêmes villes, il est établi à partir d’un indice synthétique prenant en compte six critères : accès à l’eau ; qualité de l’eau ; gestion des déchets ; égouts ; pollution de l’air ; congestion du trafic. Dans la première livraison de ce classement des éco-villes Calgary pointait en tête, Port aux Princes en dernière place. Relevons que la correspondance est loin d’être exacte entre qualité de vie et qualité de l’environnement, au moins avec ce type de classement (dépendant du poids affecté aux différents critères). Sept villes seulement se trouvaient, dans les deux cas, parmi les 20 premières métropoles : Bern, Copenhague, Ottawa, Stockholm, Vancouver, Wellington, Zurich.
À l’échelle européenne, un « Green Cities Index », a été publié pour la première fois juste avant le Sommet de Copenhague, en 2009. Produit par Siemens et par The Economist, ce classement européen évalue les performances environnementales de 30 villes, dans 30 pays. Il voit trois villes scandinaves occuper les trois premières places : Copenhague, Stockholm et Oslo. L’étude des villes traite une trentaine d’indicateurs, répartis en huit catégories : émissions de carbone ; énergie ; bâtiments ; transports ; eau ; gestion des déchets ; qualité de l’air ; gouvernance environnementale. Les villes les plus « vertes » se caractérisent pas par leur taille. Elles rassemblent moins de 1 million d’habitants. Ceci se comprend aisément, car des villes plus petites permettent des déplacements plus courts avec des modes de déplacement plus doux (marche, vélo). Il existe aussi une forte corrélation, plus forte encore, avec leur niveau de richesse, ce qui ne saurait étonner car elles peuvent plus puissamment investir dans des infrastructures écologiquement efficientes.
Toujours en Europe, c’est la Commission européenne qui a lancé une démarche d’« audit urbain », avec un système d’enquêtes sur la qualité de vie. Les habitants de 79 villes européennes sont interrogés sur deux grands registres : leur niveau de satisfaction à l’égard de leur ville, leurs préoccupations environnementales locales (qualité de l’air, espace vert, etc.). Les villes françaises se distinguent par l’appréciation positive qui est faite, par leur population, de leur engagement dans la lutte contre le changement climatique. Bordeaux, Strasbourg, Lille et Rennes comptent parmi les six villes où la population estime avec la plus grande force que la municipalité est véritablement engagée dans ce combat. À l’autre extrémité, on trouve Rome, Athènes, Bratislava, mais aussi Marseille…
Durabilité et qualité de vie au cœur de l’attractivité
Une ville n’est pas seulement un lieu où l’on travaille et où l’on crée des richesses, mais aussi, voire surtout, un lieu où l’on vit, dont on attend du bien-être et où l’on consomme des services collectifs et des loisirs. Pour les villes, la qualité de vie est un enjeu qui croît avec l’augmentation de la mobilité. Lorsqu’ils sont en mesure de choisir, les ménages recherchent en effet le meilleur compromis entre opportunités professionnelles et qualité de vie. La situation géographique, le climat, l’offre urbaine (qualité des équipements, services aux particuliers, commerces, espaces verts, etc.), l’offre scolaire et universitaire deviennent des éléments de plus en plus décisifs dans les choix de localisation résidentielle.
La qualité de l’offre résidentielle et urbaine est de plus en plus prise en compte par les entreprises qui souhaitent implanter un nouvel établissement dans une agglomération. De la qualité de cette offre dépend, en effet, la capacité de ces entreprises à attirer et stabiliser leur main d’œuvre sur place, et ceci d’autant plus que cette main d’œuvre est qualifiée.
On a longtemps pensé que le travail allait vers le capital. Il semble que ce soit maintenant l’inverse. Les villes qui réussissent ne sont pas celles qui attirent les investissements, mais celles qui attirent d’abord les talents. La baisse des coûts de communication et de déplacement entraine une profonde révision des paramètres de l’implantation géographique. Si les choix de localisation des firmes demeurent structurants, à moyen terme ce sont les choix résidentiels, notamment des plus « talentueux », qui deviennent déterminants. La qualité de vie, pour les mieux dotés, devenue donnée centrale, fait primer l’infrastructure immatérielle sur l’infrastructure matérielle.
Deux problèmes gigantesques surgissent. Tout d’abord l’infrastructure matérielle doit déjà être présente, maintenue et consolidée. Ce qui n’est pas partout le cas. Loin de là. Ensuite, émerge la question de la place (dans l’économie et dans la ville) de la main d’œuvre non qualifiée. Les riches créatifs doivent pouvoir cohabiter avec les pauvres, moins créatifs, de manière harmonieuse et durable. Et l’équilibre est difficile à trouver. C’est là toute la quadrature du cercle de la ville durable : assurer un développement économique qui ne soit pas défavorable à l’environnement tout en assurant un certain niveau de cohésion sociale. Si, bien entendu, tout peut être conciliable dans les discours, il n’existe pas d’équilibre local parfait entre les trois grands enjeux du développement durable : le défi économique (attirer des emplois et des ressources), le défi social (permettre la cohabitation d’habitants différents), et les grands défis environnementaux. La ville étant la plus grande chose artificielle construite par les hommes, et qui attire toujours davantage l’humanité, il n’est pas évident d’y gérer plus efficacement la nature. D’où une compétition de communications mais aussi de réalisations afin de se présenter sous un jour propice.
ENCADRÉ 1 – Le « city branding »
S’il rappelle à certains égards la tradition des devises et des blasons des villes européennes, le city branding –c’est-à-dire la promotion de l’image de marque des ville – s’inspire des techniques modernes de commercialisation pour valoriser la ville à travers la création d’une marque et de slogans publicitaires tels que « MADrid about you », « I Amsterdam », « OnlyLyon ». La marque doit contribuer à rendre la ville identifiable et désirable. Le city branding correspond à la fois à une démarche de labellisation faisant ressortir des attributs matériels de la ville et affirmant son statut (de capitale, de technopole innovante, de ville verte) et un marquage symbolique reposant sur la mise en avant de valeurs locales spécifiques, d’une histoire singulière, de sa « personnalité », son dynamisme, ses qualités esthétiques, son patrimoine ou encore son ambiance et son animation. Grâce à ce marketing identitaire, des villes comme Barcelone, Bilbao, Dublin on encore Manchester se sont dotées d’un nouveau « capital image » qui a largement contribué à renforcer leur attractivité. Nombre de villes se dotent d’ailleurs très explicitement d’un service de marketing urbain. Et dans le cadre de ces politiques, pouvoir être reconnu ou labellisé comme éco-quartier, ville durable, ville verte, ville « inclusive » (comme la Commission européenne les promeut), ou – nouveau terme en vogue – ville résiliente importe considérablement. Il n’en va plus seulement, en France, de panneaux d’entrées de ville présentant une reconnaissance « ville ou village fleuri » mais d’arguments essentiels à faire valoir à des investisseurs et des habitants (actuels ou à venir).
ENCADRÉ 2 – New York et les deux théories de l’attractivité
Les théories de l’attractivité s’organisent autour de deux pôles. D’un côté, le géographe star Richard Florida estime que l’attractivité d’une ville procède d’une règle des 3 T (tolérance, technologie, transports). C’est l’offre de mobilité, la mobilisation des nouvelles technologies et l’acceptation de modes de vie différents qui permettent d’attirer les talents. L’expert a récemment ajouté un quatrième T, celui de territoires, pour bien prendre en compte le déterminant territorial essentiel qu’est la géographie. D’un autre côté on trouve l’économiste libéral Edward Glaeser qui estime que la première condition de l’attractivité est la sécurité, suivie de l’initiative privée, de la mobilité et du développement des universités. Aux 3 T répondrait, avec Glaeser, une théorie en 3 C de l’attractivité urbaine : concurrence (comme source d’émulation), connexion (matérielles et immatérielles), capital humain (à attirer et sécuriser). On peut forcer le trait à partir de l’exemple de New York. Comment expliquer le succès d’une ville qui, dans les années 1970, incarnait la violence et la faillite économique ? Deux mugs incarnent l’alternative explicative. Sur le premier, le célèbre slogan « I love New York », inventé dans les années 1970 et repris partout dans le monde. Ce mug, à rapprocher des prescriptions de Florida, représente le marketing urbain qui vise à changer l’image de la ville. Le deuxième mug, à rapprocher de Glaeser, provient du département de police de New York. Celui-ci est connu pour sa politique de tolérance zéro, politique discutée mais qui a accompagné la spectaculaire baisse de la criminalité à New York. Un mug pour l’image d’ouverture et de tolérance, un mug pour l’image de tolérance zéro et de répression. Tout le champ des possibles en matière d’attractivité.
Richard Florida, Who’s Your City ? How the Creative Economy is Making Where to Live the Most Important Decision of Your Life, New York, Basic Books, 2008.
Edward Glaeser, Des villes et des hommes. Enquête sur un mode de vie planétaire, Paris, Flammarion, 2011.
Pierre Veltz, Paris, France, Monde. Repenser l’économie par le territoire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’aube, 2012.