Entreprise et société : les liaisons fructueuses
Après avoir été à l’éthique des affaires et à la citoyenneté d’entreprise, la mode est à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et à de nouvelles tergiversations sur la place de l’entreprise dans la société. Pourtant le prix Nobel libéral Milton Friedman a bien prévenu : l’unique responsabilité des entreprises serait de rémunérer leurs actionnaires. Au-delà, point de salut ? Trois ouvrages en anglais, avec des signatures éminentes, pour faire le point sur un vieux sujet.
Faire à la fois du bien et du profit
Philippe Kotler est le grand pape du marketing. Avec ses coauteurs, il se démarque d’emblée d’un Milton Friedman à qui on attribue la formule « the business of business is business ». Pour Kotler la responsabilité sociale des entreprises est passée du rang de gadget, à celui d’élément stratégique. Il ne s’agit plus de dire que l’on fait du bien pour faire bien, mais de faire véritablement du bien en intégrant cette dimension à la vision de l’entreprise. Pour réussir, une entreprise doit nécessairement être investie socialement En quelques formules, qui font mouche, on passe, de la sorte, du « doing good to look good » au « doing well by doing good ». En multipliant les exemples, cet ouvrage de management met en évidence six vertus à une RSE de qualité : augmentation des ventes et des parts de marché ; renforcement de la marque ; amélioration de l’image ; attractivité pour de nouveaux talents ; réduction des coûts ; charme pour les investisseurs. En gros, la RSE, est une formule miracle, qui, de surcroît, conduit à un monde meilleur. La caricature pourrait être facile. L’ouvrage regorge néanmoins d’exemples et d’arguments qui illustrent une thèse simple : les entreprises qui réussissent, dans tous les domaines, sont celles qui ne voient pas la RSE comme une obligation extérieure, mais comme levier d’efficacité. Rédigé comme un guide de recettes à destination des décideurs, le livre fourmille d’idées sur les façons de s’associer à une cause ou sur le mécénat de compétences (la mise à disposition temporaire d’experts). Le décideur pressé lira les développements consacrés à la nécessité de bien choisir ses sujets et de s’engager dans la durée, au risque de passer pour opportuniste, cynique ou hypocrite. Un gros problème en effet.
S’engager sur des valeurs
Les propos sur la RSE tiennent souvent du gloubiboulga. Il en va d’un prêchi-prêcha pompeux ponctué d’écosystème, de sociétal, de parties prenantes, etc. Ancien doyen de la Saïd Business School d’Oxford Colin Mayer veut mettre un peu d’ordre. Il considère que les discours sur la RSE, en plus d’être vagues, sont vains. L’essentiel doit tenir dans un renouveau des valeurs. Mayer, précis, les définit comme les obligations d’une entreprise qui vont au-delà des seules dispositions contractuelles. Ambitieux, il estime qu’il ne sert à rien d’adapter marginalement l’entreprise à son environnement. Il faut réviser les fondements de cette fiction légale devenue une créature dévorante. Mayer se livre à une critique fournie d’un capital, à l’anglo-saxonne, anonyme, dispersé et déterritorialisé. Conséquence : la dilution des engagements et responsabilités, des actionnaires comme des dirigeants. Il l’oppose à un capitalisme qui resterait d’extraction familiale chez les émergents notamment (voir Tata, en Inde). Mayer, très théorique, fait trois propositions. Que les entreprises définissent leurs valeurs (celles dont le respect doit l’emporter sur la création de valeur). Qu’elles établissent des « gardiens des valeurs » dans leur gouvernance. Qu’elles puissent pondérer les droits de vote des actionnaires en fonction du temps de détention des actions, ceci afin de favoriser l’engagement de long terme. Mayer tente de faire le clair et il apporte bien des remarques et idées. Il tombe cependant lui aussi pour finir dans le gnangnan habituel en appelant, à la fin, à un « changement de paradigme ». Ce qui ne mange pas beaucoup de pain, mais laisse sur sa faim.
Le partenariat est un art
Deux enseignants de Harvard reviennent sur les mérites et défauts respectifs des deux secteurs privé et public. Sans potion magique adaptée à toutes les situations, ils plaident pour un équilibre de relations mutuellement avantageuses. Ils baptisent leur trouvaille conceptuelle, dans la famille des mots désignant la gestion de services collectifs, la « gouvernance collaborative ». Un peu comme dans un mariage, disent les auteurs, il n’y a pas là une relation de donneur d’ordre à prestataire, mais partage des moyens et du pouvoir. La « gouvernance collaborative » n’est pas une délégation classique. C’est un programme mené en commun, où chacun trouve ses gratifications, avec des marges de liberté qui demeurent. Ce n’est pas de la commande publique. L’analyse repose sur de multiples exemples, décortiqués dans plusieurs villes américaines, autour de sujets aussi divers que l’accueil de la petite enfance, la gestion des parcs publics, les urgences médicales ou encore la formation professionnelle. Sans cahier des charges uniforme, le partenariat est un art que doivent apprendre à maîtriser des fonctionnaires appelés à « orchestrer des collaborations » plus qu’à gérer des agences. Soyons francs. Il n’y a pas forcément quelque chose d’exceptionnellement original. L’argumentation rappelle tout de même que les liaisons public/privé peuvent mener à des réalisations spectaculaires (les parcs de New York et Chicago), intéressantes (les célèbres Charter Schools qui associent large autonomie et financement public) ou calamiteuses (chacun trouvera son exemple). Les partenariats bien compris, ne passant pas forcément par un contrat, autorisent entreprises et pouvoirs publics à réaliser des opérations jouissant de davantage de légitimité et de ressources. L’intérêt général (comme on dit en français) passe par là.
Philip Kotler, David Hessekiel, Nancy R. Lee, Good Works! Marketing and Corporate Initiatives that Build a Better World… and the Bottom Line, John Wiley & Sons, 2012, 282 pages.
Colin Mayer, Firm Commitment. Why the Corporation is Failing us and How to Restore Trust in it, Oxford University Pess, 2013, 306 pages.
John D. Donahue, Richard J. Zeckauser, Collaborative Governance. Private Roles for Public Goals in Turbulent Times, Princeton University Press, 2011, 305 pages.
Idée, pour parler de RSE avec moins de langue de bois.
Sauf erreur de ma part, la RSE implique un partage le plus équitable possible de la richesse produite entre les différentes « parties prenantes ».
Les salariés sont une composante de ces parties prenantes. Comment les faire participer davantage aux richesses produites, sans risquer de couler l’entreprise ?
Il me semble qu’il est possible, par accord d’entreprise, de modifier volontairement le mode de calcul de la réserve de participation. Cette réserve se calcule de la façon suivante : RSP = ½ (B – 5%C) x S/VA.
On commence par diminuer le bénéfice d’une somme correspondant à 5% du capital, puis on multiplie le résultat par la masse salariale, on le divise par la valeur ajoutée, et le tout est retenu à hauteur de ½. (Techniquement, il faut rentrer davantage dans le détail, mais l’essentiel est là).
Pourquoi ne pas retenir volontairement 52%, 55%, 57% voire 60% du résultat obtenu, au lieu de se limiter à la formule légale, qui prévoit de ne retenir que 50% (1/2) de ce résultat obtenu ? Selon wikipédia, ce coefficient 1/2 qui fut surnommé « coefficient scélérat » en 1967, trouvait alors sa justification avec le taux d’impôt sur les sociétés (50 % à l’époque). Il a donc perdu beaucoup de son sens.
Cette proposition comporte peut-être des effets pervers, mais ils m’ont échappé.
Cordialement
Baron de Champignac