Courte note publié dans “Sans-Abri en Europe”, magazine de la FEANTSA.
Sans-abrisme correspond à une traduction littérale de homelessness. C’est un néologisme encore très peu employé en France, sauf dans certains cercles spécialisés, à l’Université ou dans l’administration.
Plutôt que sans-abrisme, ce sont des expressions comme « exclusion », « grande exclusion », « errance », « question sans-abri » ou « question SDF » qui désignent le phénomène. Pour avoir une idée de la très faible pénétration du vocable sans-abrisme, jusqu’à aujourd’hui, en France, on peut reprendre les résultats d’un exercice consistant à décompter les occurrences de certains termes dans le titre des dépêches AFP.
On peut le faire pour quelques termes traditionnellement associés au sans-abrime, en l’occurrence sans-abri, SDF, clochard. Le graphique est particulièrement clair.
Il donne, d’abord, une image de l’importance que revêt le sujet sur l’agenda médiatique et politique français. Deux pics sont notables. 1993, tout d’abord, quand le thème prend une place de premier rang dans le débat politique, avec deux hivers très froids, une récession économique, une grande mobilisation politique et l’apparition du marché des journaux de rue, qui confère une grande visibilité au problème. Le deuxième pic s’observe en 2007. Ce sommet est la résultante du mouvement des « Enfants de Don Quichotte », consistant à implanter des tentes dans Paris. Le mouvement et ses répercussions politiques iront juste qu’au vote d’une loi sur le droit au logement « opposable », cette année 2007.
Occurrences des termes « SDF », « clochard », et « sans-abri » dans le titre des dépêches AFP
Ce graphique – au-delà des variations de l’intensité du sujet – fournit également des informations sur les transformations de la dénomination. On y observe que l’abréviation SDF, que l’on retrouve dès le XIXème siècle sur les registres de police, s’est imposée très récemment. Elle associe les significations de sans-logis (absence de logement), de sans-abri (victime d’une catastrophe), de clochard (marginal n’appelant pas d’intervention publique), de vagabond (qui fait plutôt peur), ou encore de mendiant (qui sollicite dans l’espace public). Alors que jusqu’au début des années 1990, on parlait surtout de clochards et de sans-abri, les trois lettres désignant les sans domicile fixe ont supplanté toutes les autres dénominations à partir de 1993. Relevons que le terme clochard a quasi intégralement disparu, tandis que celui de sans-abri se maintient. À mesure que le sujet des SDF retombe, en pression, sur l’agenda politique, le terme de sans-abri reprend de l’importance relative. Il faut avoir à l’esprit qu’il désigne aussi, très souvent, des victimes d’incendies, de tremblements de terre ou d’inondation.
Depuis 1993, chaque année le terme SDF est apparu, en moyenne dans plus de 200 titres de dépêches. Le terme « sans-abrisme » n’apparaît qu’une seule fois, en 2009. Il n’apparaît qu’une unique fois dans le titre d’une dépêche, mais c’est, en réalité, la seule dépêche qui ait jamais employé le terme dans tout son texte (et pas seulement dans son titre). C’est donc peu dire que le mot même de « sans-abrisme » ne s’est pas implanté dans le vocabulaire courant.
On rétorquera qu’il ne s’agit là que d’une source particulière d’information. C’est exact, mais cette source singulière rend compte de tout ce qui se dit dans les autres supports médiatiques et dans l’ensemble des discours du prisme politique. L’absence totale (à une dépêche près) du terme est bien le signe de son utilisation encore extrêmement marginale.
Reste que chez les opérateurs et les spécialistes, il s’est progressivement implanté, en lien notamment avec les efforts de coordination européenne et les échanges de bonnes pratiques. Pour autant, il demeure bien confiné à un cercle d’experts et n’a pas encore eu de reconnaissance généralisé par un emploi très large. Au contraire même, le terme peut même parfois susciter de l’interrogation et du dédain (entre autres, pour son caractère trop « administratif »). C’était le cas du sigle « SDF », assez contesté au début des années 1990, comme masquant des réalités humaines douloureuses dans du jargon bureaucratique.
Au final, si sans-abrisme, en France, n’est apparu que dans certains cercles, il permet tout de même, assurément, des échanges mieux compris et plus fournis avec l’ensemble des autres pays dans le monde, qui emploient le mot anglais homelessness ou ses des traductions qui doivent ressembler, souvent, à sans-abrisme, avec son étrangeté lexicale mais également une certaine clarté de ce qu’il veut bien dire.