« Faire cesser la mendicité avec bébés », Actualités sociales hebdomadaires, n° 2867, 26 avril 2013.

On glose à foison sur la pauvreté et la crise depuis – disons – une trentaine d’années. Les dépenses sociales, sur la période, n’ont fait qu’augmenter. Des initiatives majeures – le RMI en premier lieu – ont été prises. Et il faut se souvenir que l’un des objectifs assignés à cette innovation consistait à « obvier à la mendicité ». Le législateur, avec cette expression, reprenait, dans les rapports préalables à la loi, une formule issue de la première rédaction du Code pénal.

Aujourd’hui, la France est le pays, au monde, qui affecte la plus grande part de sa richesse nationale aux mécanismes de protection sociale (plus de 30 % du PIB, dont 4 à 5 % pour la seule politique familiale). Elle insuffle ou cherche à insuffler du volontarisme, sur le plan social, au niveau européen. Elle donne, peut-être un peu moins maintenant, des leçons de droits de l’homme (en interne comme à l’international). Alors comment, dans ce contexte, tolérer, dans les rues des grandes villes françaises, un phénomène absolument insupportable, celui de petits enfants qui, pour susciter la compassion, accompagnent des adultes qui mendient ; quand ils ne mendient pas eux-mêmes. Ils dorment à même la rue ou dans des cabines téléphoniques. Ils vivent dans des bidonvilles insalubres où s’accumulent toutes les illégalités. Ils sont, parfois, de simples objets exploités par des réseaux mafieux de traite humaine.

Les réalités sont proprement choquantes. Notamment au regard de la densité (institutionnelle et financière) du système de prise en charge. Déclarations d’indignation mais aussi déclarations d’impuissance s’accumulent. Aux pétitions d’habitants outrés répondent souvent des pétitions de principe du type « il faut préserver la relation entre l’enfant et les parents » ou, dans un autre camp, « de toutes les manières, c’est culturel, pour ce genre de population ». Mais que constate-t-on ? Rien ne bouge. Et la situation se dégrade par augmentation visible du problème. Il suffit de ne pas fermer les yeux.

La tournée des experts, opérateurs et décideurs ne donne pas grand-chose. La police se dit peu concernée, même si les délits de provocation et d’exploitation des mineurs pour la mendicité sont, théoriquement, sévèrement condamnables. Les gradés répondent être au fait des sujets mais cherchent, d’abord, à démanteler les réseaux structurés. Les municipalités renvoient vers l’Etat, et vice-versa. Les ministères soulignent que les décisions sont du ressort du juge. Qui renvoie, à son tour, aux travailleurs sociaux.

Dans ces conditions, que faire ? Plutôt que de blablater, une proposition ferme : il faut placer ces enfants, et tout singulièrement les nourrissons. Pourquoi, comment et jusqu’où ? D’abord pourquoi. Parce que personne ne peut nier qu’ils sont en danger. Qui oserait soutenir  que ces situations ne comptent pas parmi les plus dégradées ? Elles correspondent exactement, et à très forte raison, aux critères appelant l’intervention de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Alors que dans de nombreux départements, des enfants, parfois très jeunes, sont séparés de leurs parents à des niveaux de traitement et d’environnement défaillants moins élevés, il est incompréhensible que l’on n’agisse pas pour ces enfants, traînant dans les rues aux heures où ils devraient être scolarisés, et, tout particulièrement, pour ces bébés. Ensuite, le comment. Le sujet des mineurs isolés et/ou exploités, surtout s’ils sont étrangers, est particulièrement sensible et compliqué. Certes. Mais celui des bébés l’est un tout petit peu moins. Ne serait-ce qu’en raison du fait que ces enfants tout petits, placés, ne s’enfuiraient pas immédiatement (comme peuvent le faire leurs aînés). Le grand sujet, en réalité, est financier. Car l’ASE coûte cher (45 000 euros par an pour un placement). Une piste à creuser, le problème étant pleinement européen et pas uniquement hexagonal, consiste à passer par les financements communautaires. Certains d’entre eux sont affectés à l’insertion des minorités et sont, pour l’instant, peu consommés. Il n’y a pas là une solution budgétaire miracle, mais un appel à la nécessaire européanisation du dossier. Les institutions de l’Union s’intéressent, d’ailleurs, de plus en plus au trafic d’êtres humains (dont relève, explicitement, l’incitation à la mendicité).

Mais jusqu’où aller ? Les uns vont critiquer des bases juridiques fragiles. D’autres, s’appuyant sur le slogan « la pauvreté n’est pas un crime », vont signaler amalgame et stigmatisation de populations singulières. Ils vont rétorquer que la petite bourgeoisie ne supporte pas la vue, à proximité, de la misère du monde. D’autres encore vont considérer que des telles possibilités de prise en charge des enfants alimentent une pompe aspirante pour des migrations indésirables. De tous les côtés, on trouvera donc de gros arguments pour ne rien faire.

On attribue à Nietzche l’aphorisme « Celui qui a un pourquoi peut supporter tous les comment ». La cause des bébés à la rue commande, probablement, quelques révisions dans les textes, mais surtout des actions décisives. Il en va, individuellement de l’avenir de ces enfants, et, collectivement,  de la reproduction ad vitam æternam de ces problèmes indignes de sociétés d’abondance.

Et quelques photos, de la semaine, pour illustrer…

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