Réformer la sphère publique : trois voies
L’heure française, en matière de politique publique, est à la fermeté budgétaire, à la modernisation de l’action publique (connue sous le sigle « MAP ») et au choc de simplification. Quelques principes et perspectives, pour nourrir ces ambitions, à partir de trois ouvrages en anglais.
Information
Pour le juriste américain John McGinnis, il est grand temps, pour les vénérables démocraties, de s’adapter à l’âge de l’information. Il ne s’agit pas de gadgétiser le vote (par SMS ou Tweet). Il y a, certes, des chemins vers une démocratie plus « digitale ». Mais, plus globalement, il s’agit d’adapter la gouvernance à la multitude d’usages nouveaux rendus possibles par la numérisation de notre quotidien. Comme tous les régimes ont su, historiquement, digérer les progrès technologiques, la progression fulgurante des taux d’équipement et, surtout, des capacités de traitement peut permettre de « réinventer la gouvernance », par l’intelligence artificielle, l’analyse fouillée des données, la comparaison systématique. C’est sur ce dernier point que McGinnis met l’accent. C’est la connaissance qui est révolutionnée. Les appréciations et conséquences de l’action publique sont mieux connues et davantage prévisibles. Aussi les pouvoirs publics doivent-ils encourager le développement de comparateurs en ligne et avoir davantage recours à la procédure expérimentale. Pour McGinnis, la période de planification centralisée du New Deal (c’est son exemple) est révolue. Il convient de recourir systématiquement aux méthodes scientifiques (pour évaluer rigoureusement) et aux mécanismes de marché (pour faire émerger les meilleures solutions). La visée d’ensemble est, en quelque sorte, de gouverner par la preuve, à partir des capacités augmentées de délibération. À cet effet, s’il faut mieux réguler les technologies potentiellement dangereuses (génie génétique ou nucléaire), il faut déréguler pour celles qui soutiennent la croissance (big data). Le propos de McGinnis, qui note que de très nombreux cols blancs publics seront remplacés par les systèmes d’information, est qu’il sera bientôt mis fin à l’arrogance et à l’insularité de la technocratie. Une vision sensée ?
Comparaison
Accenture n’y va pas avec le dos de la cuillère. Le cabinet de conseil n’hésite pas, pour présenter ses travaux sur la réforme des services publics, à appeler, métaphoriquement, au « coup d’État ». Rendant compte d’une investigation dans dix pays clés (dont la France), les experts consultants estiment qu’une hausse annuelle de 1 % de la productivité publique aboutirait, dans ces dix pays, à une économie annuelle de 2 000 milliards de dollars d’ici 2025. Vieillissement des populations et hausse des demandes informées des performances accrues du secteur privé affectent puissamment les attentes à l’égard des services publics. Actuellement, la satisfaction globale des usagers citoyens est faible. 36 % seulement dans les dix pays étudiés. Pour s’en sortir, Accenture identifie quatre voies radicales, sans être forcément inédites. La première consiste à passer d’une offre standardisée à des services personnalisés. Dans l’éducation, l’époque des masses est finie. Il faut customiser pour s’adapter aux besoins individuels. La seconde voie est celle du passage des approches réactives aux approches proactives. En gros, il vaut mieux prévenir que guérir (ce qui est toujours vrai). La troisième est un appel à remplacer les lourdeurs bureaucratiques par un souffle d’entreprenariat public. Ceci passe par quelques privatisations mais aussi par de nouvelles collaborations entre le public et le privé. La dernière idée est d’investir dans la productivité globale et non dans la cascade de petites économies isolées. Le principe central est de mettre le citoyen au centre, pour en faire le destinataire, mais aussi le partenaire d’un service au design personnalisé. De multiples exemples (dont aucun n’est pris en France…) montre qu’il est possible d’établir des points d’entrée unique dans la sphère publique, d’optimiser les coûts et de simplifier la vie quotidienne des gens et des entreprises. Les « big data » sont un élément de cette révolution possible. Il y a de l’information et de la volonté dans ce document qui ouvre, surtout, sur d’autres perspectives que les querelles hexagonales tout en réouvrant le marché du conseil. De vieux vœux pieux diront les esprits chagrins. Une myriade d’innovations liront les autres.
Simplification
Le spécialiste d’économie comportementale Cass Sunstein est une célébrité. Professeur à Harvard, auteur du best-seller « Nudge » (qui analyse et recense les petites techniques simples pouvant conduire à prendre les bonnes décisions), il a occupé, sous la première administration Obama, un poste important à la Maison Blanche. Il s’y est attaché à l’efficience et à la souplesse administratives. Son ambition générale est d’introduire systématiquement de la simplification dans les régulations, ce qui – selon ses exemples – autorise des économies budgétaires et des performances publiques accrues (qu’il s’agisse de santé ou d’éducation). Le pilotage plus précis des programmes, rendu possible par la gestion des données, peut internaliser la complexité (dans les circuits d’information) et externaliser la simplicité (par des guichets personnalisés). L’action publique devrait, selon Sunstein, ressembler à nos tablettes et ordinateurs. Leur contenu est un incroyable entrelacs minimaliste de circuits électroniques qui nous échappent. Mais ces appareils, que l’on apprécie, sont utilisables sans manuel et simplifient considérablement notre existence. Il doit en aller exactement ainsi pour les pouvoirs publics. Parions que Sunstein sera invité, ou au moins discuté, par le gouvernement français qui veut son choc de simplification. Mais rappelons qu’il est toujours très simple de complexifier. Et, symétriquement, qu’il est toujours très compliqué – car périlleux pour les institutions en place – de simplifier.
John O. McGinnis, Accelerating Democracy. Transforming Governance through Technology, Princeton University Press, 2013, 213 pages.
Brian J. Moran, Steve Rohleder, Delivering Public Service for the Future: Navigating the Shifts, Accenture, 2012, 27 pages.
Cass R. Sunstein, Simpler. The Future of Government, Simon & Schuster, 2013, 272 pages.