“Politique familiale : le virage vers la petite enfance”, Le Monde (.fr), 13 juin 2013

 

Depuis les premières lois d’assistance de la fin du XIXème siècle, jusqu’à l’ensemble des mécanismes socio-fiscaux contemporains, en passant par la mise en place d’une branche Famille de la Sécurité sociale après-guerre, le périmètre de la politique familiale n’a fait que s’étendre.

Aux prestations gérées par les CAF, il convient d’ajouter d’autres dépenses publiques. Certaines de ces aides sont à l’intersection d’autres politiques comme les politiques du logement, de l’éducation, de l’emploi ou de la lutte contre la pauvreté. Aux prestations familiales monétaires « classiques », il faut additionner, en particulier, une certaine fraction des prestations logement, les dépenses fiscales liées aux singularités du système français d’imposition, et les prestations différées que sont les avantages familiaux de retraite.

On peut décomposer la politique familiale en quatre cercles concentriques intégrant les principales dépenses. Dans un premier cercle, on trouve les dépenses « famille » et « maternité », telles que présentées dans les nomenclatures statistiques européennes. Outre les prestations familiales des CAF, on trouve dans cet agrégat les dépenses d’aide sociale à l’enfance, gérées par les collectivités territoriales, les dépenses maternité, gérées par l’assurance maladie. Il faut, en complément, considérer certains dispositifs qui concourent à la redistribution en faveur des familles. Les prestations logement et certains minima sociaux incorporent ainsi dans leurs barèmes des modulations qui sont fonction de la composition de la famille. Il faut, encore, rapporter les avantages prenant la forme de réduction d’impôts. On parle souvent de « dépenses fiscales », au sens de pertes de recettes fiscales, complétant les dépenses sociales. Ces réductions d’impôts en faveur des familles – au premier rang desquelles on trouve le mécanisme du quotient familial –  comprennent les divers avantages liés aux enfants dans le calcul de l’impôt. Enfin, pour établir un périmètre large de la politique familiale, on doit recenser les avantages familiaux de retraite : bonification de pension pour enfants, majoration de durée d’assurance. Avec ces conventions, la politique familiale représente, dans un sens strict, 3 % du PIB. Et dans un sens élargi, 5 % du PIB. C’est dire son importance.

Le plus important virage de la politique familiale n’est pas le plus commenté. On parle très souvent du passage d’une politique familiale vers une politique sociale, avec les mises sous condition de ressource de certaines prestations ou encore les abaissements du plafond du quotient familial. Ces sujets, à nouveau discutés avec les récentes annonces gouvernementales, masquent une transformation bien plus importante. En raison de l’extension de l’activité féminine et souvent pour l’encourager, les principales nouvelles mesures en faveur des familles ont consisté, depuis les années 1970, en interventions visant la petite enfance.

Les courbes des dépenses sont claires. Avant le milieu des années 1980, la branche famille ne dépensait rien, ou presque, pour l’accueil du jeune enfant (i.e lorsqu’il a moins de trois ans). Depuis lors, les innovations et créations ont très largement porté sur ce dossier. Depuis 2010, la branche Famille dépense plus en matière d’accueil du jeune enfant qu’en allocations familiales. Et les collectivités territoriales s’impliquent, en lien avec les CAF, considérablement. L’ensemble, cependant, demeure insatisfaisant. Ne serait-ce que parce qu’il manque un nombre considérable de places.

Dans tous les débats très contemporains sur le quotient familial et les allocations familiales, on oublie, en partie, l’essentiel. Cette réduction d’impôt et cette prestation dite d’« entretien » (car elle vient couvrir ou « compenser » une partie du coût des enfants) ne correspondent plus à la priorité des politiques familiales. Celles-ci, de plus en plus, vise non pas uniquement à « compenser » la charge d’enfant, mais à permettre une meilleure conciliation vie familiale/vie professionnelle des parents.

Le sujet important pour la politique familiale n’est donc pas de savoir comment rogner et bricoler avec les paramètres du système en place, mais de résolument investir afin que tous les parents et tous les enfants puissent bénéficier de services de qualité. En matière de petite enfance, deux projets, largement convergents, sont ponctuellement évoqués. Il s’agirait d’aller vers un « service public de la petite enfance » ou bien vers un « droit opposable à un mode de garde ». Dans les deux cas, le principe, inspiré des politiques des pays scandinaves, serait de proposer à tous les enfants de moins de trois ans, une solution d’accueil. Pour la France, aller vers une telle réorganisation (service public et/ou droit opposable), suppose une refonte générale de la gouvernance de la politique familiale française. Ce qui n’est pas à l’ordre du jour. On préfère souvent raboter et complexifier (ce qu’incarnent les décisions récentes), plutôt que simplifier et réaffecter (ce qu’incarnerait une visée stratégique claire). C’est dommage.

Évolution des dépenses d’allocations familiales et de prestations d’accueil pour le jeune enfant (en Milliards d’euros)

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Source : CNAF

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