Samu Social : la vingtaine problématique
in Actualités sociales hebdomadaires, n° 2839, 27 décembre 2013
Le Samu Social de Paris, créé fin 1993 par Xavier Emmanuelli, a vingt ans. On cite souvent à l’occasion d’un tel anniversaire le propos de Paul Nizan : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Et toute célébration consiste à dire, pour celui ou celle qui arrive à la vingtaine, que Nizan a tort. Mais n’a-t-il pas raison dans le cas du Samu Social ?
Si des Samu sociaux, dont l’opérateur est la Croix Rouge dans la majorité des cas, existent sur tout le territoire national, celui de Paris est aussi spécifique qu’iconique. Devenu une institution de gros volume (150 millions d’euros de budget, avec environ 500 salariés), il incarne les difficultés à gérer ce qu’il a contribué à nommer « urgence sociale » à Paris.
Il s’agit, dans son principe fondateur, d’un recueil nocturne des personnes SDF stricto sensu (vivant dans la rue). Le recueil, à vocation médicalisée, s’accompagne de la gestion de places d’hébergement et de soins. Le Samu Social de Paris est né du constat de l’insuffisance de la prise en charge des SDF « les plus en difficulté », correspondant à la figure du clochard. La Brigade d’Assistance aux Personnes Sans-Abri (BAPSA), créée en 1954 par la Préfecture de Police de Paris sous le nom d’ « Équipe de ramassage des vagabonds », est contestée. Il faut dire que les délits de vagabondage et de mendicité viennent d’être supprimés.
Au milieu des années 1990, dans une dynamique improvisée, associant volontarisme et messianisme, s’est ainsi peu à peu imposé un nouvel instrument visant à réduire la « fracture sociale » en se concentrant sur la « grande exclusion ». Les appellations sont ensuite entrées dans le vocabulaire courant de l’action sociale. Le Samu Social de Paris se présentait comme un dispositif d’« extrême urgence », un « outil de sauvetage au service des grands exclus ». À côté de ses premiers salariés, il mobilisait des bénévoles, baptisés « samaritains ».
Dès ses balbutiements –en pleine lumière médiatique – le Samu Social de Paris a été critiqué – plus ou moins en sourdine. En tant, d’abord, qu’il participait à la dualisation de la protection sociale. En tant, ensuite, qu’il n’inventait rien : son principe d’action « aller vers » relevant totalement de la pratique des éducateurs de prévention spécialisée. En tant, enfin, qu’il n’était qu’un « taxi social », détourné par des personnes qui n’en avaient pas vraiment besoin.
La principale réserve n’a fait que se renforcer. Elle porte sur l’empilement et la concurrence des équipes mobiles. La « maraude » (la paternité de l’usage social du terme peut aussi être attribuée au Samu Social) dans les rues de Paris a ceci de particulier qu’aucune autre ville ne voit autant d’équipes, pédestres ou automobiles, financées en tout ou partie sur fonds publics, aller au devant des sans-abri. Avec le temps se sont accumulées les opérations et flottilles de maraude chargées de sillonner les rues de la capitale. En sus des policiers de la BAPSA, on compte les équipes du Samu Social, celles de la RATP, celles de diverses associations, plus ou moins complètement soutenues par les pouvoirs publics. Il en va de la Croix Rouge aux Restos du Cœur en passant par Médecins du Monde ou encore depuis 2013, une « Mobil’douche », une salle de bains itinérante pour les sans-abri. La conséquence de cette inflation est connue : une quête permanente de coordination et des SDF parfois réveillés plusieurs fois par nuit par des services différents.
Mais ces défauts de coordination (qui, répétons-le, distingue pleinement Paris du reste de la France comme du reste du monde) ne sont pas le principal sujet d’interrogation. Il en va, plus largement, de la mission même du Samu Social. Celui-ci est devenu un outil de masse. Gérant le 115 il reçoit, 2 millions d’appels et en traite le quart. Alors que ce numéro gratuit était destiné à des habitants désireux de signaler des difficultés de personnes à la rue, il est devenu outil de réservation des hébergements. Si le Samu Social se concentrait, et continue à centrer sa communication, sur les individus isolés, les 3 millions de nuits d’hébergement proposées en 2012 concernent des familles dans 80 % des cas. Sur son 0,15 milliards d’euros de budget (ce qui n’est pas mince), 80 % sont consacrés à des dépenses hôtelières. En un mot, le Samu social n’a plus grand-chose à voir avec son projet d’origine. Certes les problèmes ont évolué, et le Samu social de Paris a certainement contribué à faire bouger des cartes. Confronté à l’ouverture des frontières européennes, aux problématiques sensibles du droit d’asile et de la clandestinité, le Samu social reste au cœur de l’actualité de la question SDF. Créé pour aller au devant des clochards parisiens, développé aujourd’hui pour héberger, dans des hôtels coûteux, des sans-papiers venus du monde entier, son avenir est compliqué. Ses vingt bougies, une nouvelle présidence qui vient de prendre place et les prochaines élections municipales doivent inviter à une profonde reconfiguration. Pour le bien-être de tous, des SDF aux finances publiques en passant par l’ensemble des personnels investis.