« Le grand renversement démographique mondial », Les Échos, 18 avril 2014.

Régression démographique

Julien Damon
Professeur associé à Sciences Po (Master Urbanisme)

 

À la fin des années 1960, la supposée menace d’une bombe « P » (pour population) nourrissait des craintes très prononcées à l’égard de la surpopulation. Aujourd’hui c’est la bombe « D » (pour dépopulation) qui inquiète des experts, mais qui reçoit encore peu d’attention. Une question de fond est de savoir en quoi une perspective de décroissance démographique est vraiment problématique.

 

Un monde avec moins d’enfants…

Le monde connaît, partout ou presque, le vieillissement. L’âge médian est ainsi passé de 23 ans en 1950 à 29 ans aujourd’hui. Il pourrait atteindre 36 ans en 2050. Dans les années 1950, les femmes mettaient au monde 5 enfants. Elles n’en ont plus que 2,5 aujourd’hui. La descendance finale des femmes, dans la plupart des pays riches, est significativement inférieure au seuil de renouvellement des générations. Et il semble, selon la vingtaine d’auteurs réunis dans ce volume savant, que les politiques n’y puissent pas grand-chose. Les programmes à visée nataliste n’auraient que des effets très modestes. Si les spécialistes en discutent, personne n’ose accorder aux mesures en place la faculté d’inverser les tendances à l’œuvre. Une contribution originale porte sur l’influence des séries télévisées. Les comportements qui y sont valorisés seraient les plus susceptibles d’être adoptés. Ceci s’est vérifié, en matière de réduction de la fécondité, en Inde, au Mexique ou au Brésil. Mais cela ne veut pas dire que des épisodes et stéréotypes plus axés sur la maternité feraient repartir la courbe des naissances à la hausse. On notera le texte du sociologue Gosta Esping-Andersen qui plaide inlassablement pour une logique dite d’investissement social, en appelant à arbitrer les dépenses en faveur de l’accueil de la petite enfance. Tous les signataires de ces textes ne sont pas forcément d’accord sur les conséquences d’une baisse de la population mondiale. Certains y voient un avantage pour l’environnement et la qualité de vie. D’autres s’effraient du fardeau (dépendance des parents, faillite des régimes de retraite) qui pèsera nécessairement demain sur les épaules des enfants contemporains.

 

… et avec davantage de problèmes ?

L’Américain Steven Kramer a fait les déplacements pour cinq études de cas, en Suède, en France, en Italie, au Japon, à Singapour. Son interrogation : comment augmenter la fécondité et éviter l’effondrement démographique ? Kramer observe que les diminutions de population ne résultent plus des fléaux collectifs (épidémies, guerres) mais des évolutions des comportements individuels et des contextes sociaux. Dissociation entre sexualité et parenté, longévité et richesse accrues, aspirations à la réalisation de soi (notamment à travers ses enfants). Pour Kramer, les faibles niveaux de fécondité, qu’il analyse surtout dans des pays de l’OCDE, constituent des menaces de sécurité intérieure. Il en va, à partir de cette sourde évolution, de la survie des nations. Il y a péril pour quatre raisons : déséquilibre démographique interne, affaiblissement de la productivité et de l’innovation, bouleversements géopolitiques liés à l’affirmation des émergents et au déclin de l’Occident ; recours problématique à l’immigration en tant que compensation. Notre auteur souligne, à raison, combien il est plus facile de limiter les naissances (parfois de façon très autoritaire) que de les encourager. Bien au clair sur les différents instruments des politiques familiales, Kramer ne célèbre pas naïvement un ensemble. Ce n’est pas parce qu’un pays dépense beaucoup dans ce domaine qu’il s’assure un certain niveau de natalité. Certaines dépenses (pour les crèches notamment) seraient plus utiles que d’autres. Par ailleurs, les politiques natalistes modernes ne seraient favorables que si le pays se montre ouvert à l’immigration et à l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est ce que montrent les deux bons élèves de l’enquête (Suède et France) et c’est ce que signalent, à l’inverse, les pays moins gagnés à l’ouverture et à la modernité (Japon et Singapour). Conscient des possibles assauts des néomalthusiens, l’auteur plaide pour une sorte d’état de stabilité de la population ceci afin d’avoir, comme disait Malthus, de la place pour tout le monde au banquet de la nature. À discuter.

 

 

 

 

 

 

 

 

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