Locatif : trop protéger c’est punir
Dans le secteur du logement on rappelle souvent, après l’économiste suédois Assas Lindberck, que le contrôle des loyers serait « le moyen le plus efficace de détruire une ville, avec le bombardement ». La formule, un rien exagérée, rappelle qu’un niveau exorbitant de sécurité offert aux ménages qui paient pour louer va à l’encontre des intérêts de ceux qui mettent en location. Des garanties excessives en faveur des premiers s’étendent au détriment des seconds, qui se retirent du marché. Et l’ambition vertueuse de protéger les locataires, alimentant une pénurie croissante de logements, se transforme en pénalité.
Ce thème, remis à l’ordre du jour par la récente discussion de la loi dite Duflot, fait l’objet de disputes classiques entre experts, entre le camp des propriétaires et celui des locataires. Tout nouveau crachouillis règlementaire en faveur des locataires est salué par les associations spécialisées (de défense des locataires et des mal-logés) et décrié par la profession (promoteurs et constructeurs).
La protection du locataire est nécessaire. Qui tolérerait qu’un ménage, ne présentant aucune difficulté de comportement et payant rubis sur l’ongle ses loyers, puisse être du jour au lendemain expulsé ? Tout est cependant affaire d’équilibre. Qui tolérerait, en effet, qu’un propriétaire ne puisse rien faire à l’encontre d’un locataire ne payant plus son loyer depuis un an ? Le problème naît quand les effets positifs de la protection (stabilisation des relations locatives) deviennent nettement inférieurs à ses effets pervers (déstabilisation préoccupante de la production de logements). Protéger démesurément les locataires, par encadrement trop bureaucratique des loyers, par restriction croissante des prérogatives des propriétaires, a trois effets pervers. Une telle orientation rend, les propriétaires sélectifs, à la recherche de garanties toujours plus importantes afin de ne pas vivre le parcours du combattant face aux incidents de paiement et aux procédures juridiques de recouvrement des loyers. Elle rend, également, les investisseurs méfiants, à la recherche d’autres marchés moins risqués. Elle met, enfin, les locataires potentiels dans l’embarras. Qui sont ces locataires potentiels ? Les jeunes qui veulent s’installer, les mal-logés qui aspirent à mieux se loger, les ménages qui déménagent. Tous pâtissent d’un marché qui, se rigidifiant, se contracte dangereusement.
La situation française est maintenant particulièrement préoccupante. Il en va certes des prix du logement (plus à l’achat cependant qu’à la location) et des volumes du mal-logement (3,5 millions de personnes selon la Fondation abbé Pierre). Il en va aussi d’une donnée essentielle à marteler : l’abandon des investisseurs institutionnels découragés.
Quelques chiffres illustrent la singularité française. 58 % des ménages sont propriétaires de leur logement. 17 % sont locataires du parc social qui, par construction, protège fortement ses habitants. Les 25 % restants, locataires du secteur privé (dit aussi secteur « libre »), sont ciblés par toute nouvelle mesure de protection, comme le contrôle des loyers. Dans 95 % des cas, ils ont pour bailleurs des personnes physiques : de petits propriétaires qui ont là leur principal capital et principal investissement. Les locataires privés n’ont que dans moins de 5 % des cas un propriétaire institutionnel. Cette proportion est la plus faible parmi les pays de la zone OCDE. Les propriétaires institutionnels ont fui, en France, l’immobilier locatif résidentiel privé pour se tourner, notamment, vers les bureaux. Afin de compenser ce désengagement, les pouvoirs publics soutiennent l’investissement locatif individuel (par des mesures fiscales aux conséquences discutées) et le développement du parc social. Depuis le début des années 2000, la part du logement social dans la construction neuve s’est nettement accentuée, passant d’environ 10 % à plus du quart aujourd’hui.
La haute protection des locataires sociaux pose, d’ailleurs, des problèmes particuliers. Une image osée permet de se faire une idée des conséquences de la protection très renforcée des locataires HLM. Entrer dans une secte est très aisé, puisque l’on est activement prospecté. En sortir est compliqué, puisque tout est fait pour contraindre à y rester. À l’inverse, dans la franc-maçonnerie il est – dit-on – compliqué d’entrer mais il est libre et facile d’en sortir. Le secteur du logement social combine les deux difficultés. L’entrée est très demandée et on compte ainsi presque deux millions de demandeurs. En sortir est problématique car trouver, sur le marché, ces prix et ce niveau de qualité est impossible. Et comme le droit au maintien dans les lieux est très puissant dans les HLM, le niveau de rotation dans le parc est très faible : 21 % dans le parc privé, 9 % dans le secteur social, 5 % dans le secteur social parisien.
Propriétaires, investisseurs et locataires sont méfiants, dans un contexte de pouvoirs publics méfiants à l’égard du marché. Avec cet environnement de haute méfiance réciproque, la confiance ne reviendra certainement pas de nouveaux contrôles. La politique du logement appelle, comme d’autres domaines, un choc de simplification mais aussi un choc de confiance ! Il n’en va pas de la situation des plus défavorisées, qui fait l’objet des priorités de l’action publique. Il n’en va pas de celle des plus favorisés, qui trouvent à bien se loger. Il en va de celle des classes moyennes, de tous ces métiers qui font vivre la ville sans pouvoir maintenant se la payer. En raison, entre autres, de cette volonté de faire le bien des locataires, avec leur gré, mais sans prise au sérieux des raisonnements économiques de base.
Julien Damon
Locatif : le désinvestissement
Parc locatif par type de bailleur – France métropolitaine en milliers
Parc locatif | 1984 | 1995 | 2010 |
Locataires du secteur social | 3 222 | 4 395 | 4 969 |
Locataires de personnes physiques | 5 277 | 5 440 | 6 156 |
Locataires de personnes morales | 1 187 | 496 | 281 |
Total | 9 686 | 10 331 | 11 406 |
Source : Comptes du logement
Répartition du parc locatif privé par type de propriétaires (en %)
Personnes physiques | Institutionnels | Autres | |
France | 95 | 3,3 | 1,6 |
Belgique | 86 | 14 | |
Espagne | 86 | 6,7 | 7,2 |
États-Unis | 78 | 13 | 5 |
Royaume-Uni | 75 | 25 | |
Suisse | 63 | 23 | 12 |
Allemagne | 61 | 17 | 9 |
Pays-Bas | 44 | 37 | 19 |
Source : ANIL