En finir avec la pauvreté
Julien Damon
Professeur associé à Sciences Po
Les Nations Unies ont adopté les nouveaux objectifs du développement durable (ODD). La communauté internationale s’engage pour éliminer la pauvreté, réduire les conséquences du changement climatique, garantir une éducation de qualité. Deux ouvrages en anglais proposent un panorama des dynamiques à l’œuvre et un cadre stratégique pour atteindre le premier ODD : l’éradication de l’extrême pauvreté.
Un monde qui progresse
Conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU, l’économiste Jeffrey Sachs compte parmi les personnalités les plus influentes en matière de développement durable. Inspirateur des 8 objectifs du millénaire pour le développement (OMD) qui ont couru de 2000 à 2015, Sachs sait briller et être entendu dans tous les milieux. Après le succès mitigé des OMD, sauf en ce qui concerne la pauvreté qui a véritablement considérablement baissé, 17 ODD voient actuellement le jour, pour la période 2015-2030. Avec ce copieux ouvrage, Sachs propose un panorama des situations, évolutions, préoccupations du monde contemporain, face aux défis des 15 prochaines années. Les spécialistes critiqueront son manque de recul par rapport à ses propres théories, conceptualisant le développement durable à la fois comme une voie pour comprendre le monde et comme une méthode pour en solutionner les problèmes. Mais ils ne pourront pas ne pas saluer les résultats de son entreprise : une vaste fresque sur la condition mondiale et ses perspectives. 14 chapitres très documentés, graphiques et illustrations à la clé, permettent non pas un survol mais l’établissement de jalons sur l’alimentation, la biodiversité, l’éducation, les inégalités ou encore l’urbanisation. Le professeur Sachs produit un opus de référence, extrêmement bien composé. Il s’agit d’ailleurs du compagnon en papier d’un MOOC (un cours en ligne) sur « l’âge du développement durable ». Ce livre, volontariste et optimiste, rendant compte d’une matière considérable, a sa place non seulement dans les bibliothèques, mais sur les bureaux.
Une pauvreté qui régresse
Éradiquer la pauvreté – premier ODD – mérite bien aussi un gros volume. Experts et praticiens de la lutte contre la pauvreté extrême, réunis sous l’égide de la Brookings Institution, rappellent d’abord que pour en terminer avec la pauvreté, il faut la définir de manière absolue. Selon les agences onusiennes, sont en situation de pauvreté extrême les personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour. Ce seuil vient tout juste de passer à 1,9 dollar, mais l’évolution ne change rien à l’analyse. Au début du 19ème siècle, plus de 80 % de la population mondiale se trouvait sous ce seuil de pouvoir d’achat. Ce n’est plus le cas, en 2010, que de 20 % de l’humanité. Ce chemin que le monde a suivi en deux siècles, la Chine l’a suivi en vingt ans. À l’inverse, la Côte d’Ivoire, qui était un bon élève de la classe, à moins de 10 % d’extrême pauvreté en 1985 se trouve aujourd’hui à plus de 35 %. Globalement, avec une nette accélération depuis les années 1990, le monde connaît une puissante réduction de la pauvreté, nourrie par la croissance des pays émergents. Sur la route qui mène à la fin du dénuement total (ce qui laissera toujours des inégalités et de la pauvreté relative), le dernier kilomètre est le plus difficile à terminer. Les auteurs ne traitent pas des recettes magiques ou à la mode (le « social business » par exemple). Ils estiment que l’élimination de la pauvreté nécessite trois « ingrédients » : de la paix, des emplois, de la résilience. Ce triptyque est stratégique. D’abord sécuriser, car si la pauvreté peut produire de l’insécurité c’est l’insécurité qui appauvrit et empêche de se développer. Ensuite, tout faire pour l’expansion du travail productif et formel, de manière à procurer gains et garanties aux populations. Enfin, assurer face à la vulnérabilité des conditions, ceci à partir de mécanismes de protection sociale. Cette approche n’est pas ternaire, mais intégrée. Les trois dimensions d’une lutte efficace contre la pauvreté passent par l’établissement et le respect de droits civils, économiques et sociaux. Moins que par les bons sentiments (au risque de la déception) et les dépenses colossales d’aide publique (au risque, entres autres, de la corruption).
Jeffrey Sachs, The Age of Sustainable Development, Columbia University Press, 2015, 543 pages.
Laurence Chandy, Hiroshi Kato, Homi Kharas (dir.), The Last Mile. In Ending Extreme Poverty, Brookings, 2015, 415 pages.