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LÉON BOURGEOIS

Solidarité et solidarisme

Léon Bourgeois (1851-1925) a eu une vie bien remplie. Docteur en droit, avocat, préfet, député, plusieurs fois ministre (de la Justice, de l’Intérieur, de l’Instruction publique, des Affaires étrangères, du Travail et de la Prévoyance sociale), il a également eu l’occasion de devenir président du Conseil, président du Sénat, président de la Chambre des députés ou encore président de la Société des nations (ancêtre de l’ONU) naissante. Toute cette carrière a été couronnée par le prix Nobel de la paix en 1920. C’est donc peu dire que Léon Bourgeois, dignitaire du parti radical et de la franc-maçonnerie, a fait bien des choses…

Le nom de Bourgeois est indissociable de la doctrine dite du « solidarisme ». Comme « l’homme naît débiteur de l’association humaine », il est l’obligé de ses contemporains, mais aussi de ses aînés et de ses descendants. Le solidarisme naît de l’idée d’une « dette sociale » qui implique, pour tous les individus, des droits à une éducation, un socle de biens de base pour exister et des assurances contre les principaux risques de la vie. Pendant de ces droits, chacun a un « devoir social ». Principes moraux et méthodes scientifiques doivent s’accorder pour dépasser la simple charité dans une solidarité organisée collectivement. Pour traiter de la question sociale et se soucier justement des déshérités de toute nature, Bourgeois appelle, avec des succès divers, la création d’un impôt sur le revenu, un repos hebdomadaire, une organisation des retraites ouvrières, une séparation des Églises et de l’État. Constatant la proximité de sa notion de solidarité avec celle de fraternité (présente dans la devise républicaine) il souligne un « lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres », faisant à tous « un devoir d’assister ceux de nos semblables qui sont dans l’infortune ». Il en déduit la nécessité d’une intervention de l’État pour garantir, au risque parfois de dérives tutélaires, la chaîne des solidarités.

Critiquée par les marxistes, comme petite-bourgeoise (si si…), et par les libéraux, comme attentatoire aux libertés, la doctrine de Bourgeois, inscrite entre l’individualisme libéral et le socialisme révolutionnaire, va considérablement inspirer la philosophie sociale de la IIIe République. Ancêtre, en quelque sorte d’une « troisième voie », synthétisant et débordant à la fois le socialisme et le libéralisme, ce théoricien à l’œuvre et aux actes plus que notables était féru de sociologie naissante et de balisage juridique pour une protection de ce qu’il baptisait une « société de semblables ». Bourgeois est incontestablement une référence cardinale de tout débat sur les fondements et mutations de la protection sociale.

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