L’opposabilité est en vogue. La mise en oeuvre concrète du droit au logement opposable _ désigné sous l’acronyme « Dalo » _ occupe les esprits et les ministres. Parallèlement se précise le projet d’un droit à une garde opposable pour l’accueil des jeunes enfants. Baptisons-le « Dago ». Dans la mesure où les problèmes de mobilité deviennent également plus présents, certains plaident pour un droit à la mobilité. Il pourrait lui aussi être dit « opposable ». On le baptiserait alors « Damo ». Des urbanistes malins actualiseraient volontiers le « droit à la ville » en droit à la ville opposable. Le « Davo ». Sur le registre de l’emploi et de la formation professionnelle émergeraient assez aisément les droits au travail et à la formation opposables, les « Dato » et « Dafo ». Pour aller encore plus loin, des utopistes seraient maintenant fondés _ en particulier avec tout ce débat autour des indicateurs sociaux _ à imaginer un droit au bonheur opposable. Un « Dabo », donc.
Naturellement, tout ceci prête à sourire. Tous ces droits opposables, créés, envisagés ou rêvés, témoignent de la propension française à l’inflation juridique dans le domaine social. Il est à bien des égards justifié de s’opposer à l’opposabilité. Pour autant, il y a quelque chose de très sérieux dans cette idée et ce principe. Au-delà de l’effectivité et de la justiciabilité d’un droit subjectif (attaché à une personne), il s’agit avec l’opposabilité de conférer aux politiques publiques un objectif de résultat et non seulement de moyens. En un mot, établir un droit opposable _ ce qui est aisé à décrier et à brocarder _ c’est se situer au coeur de la mutation voulue de l’action publique. Il faut à cet effet trouver les bons domaines d’application (le logement, la garde des enfants, voire la mobilité semblent plus judicieux que la ville et le bonheur). Il faut ensuite trouver les instruments, les voies de recours et les modes d’organisation adaptés. Enfin, il faut trouver les financements. Et ce n’est probablement pas là _ sur le papier _ que le bât baisse le plus…
Toutes ces adaptations et modernisations du droit sont coûteuses. Elles appellent des investissements conséquents. L’unité de compte pour la réalisation du droit opposable à un logement ou à un mode d’accueil pour les jeunes enfants n’est pas le milliard d’euros, mais le point de PIB. Il s’ensuit que la traduction de ces options dans la réalité ne saurait véritablement s’effectuer que dans le cadre de la révision la plus rigoureuse possible des politiques du logement et de l’accueil des jeunes enfants. Rupture et rigueur doivent se conjuguer pour la concrétisation de ces avancées. Celles-ci invitent à revoir et à redéployer les budgets, pour les ajuster à des priorités contemporaines, plutôt qu’à trouver de nouveaux financements et établir de nouveaux prélèvements.
Il en ressort que les droits opposables ne sauraient être qu’en nombre limité. Aux pouvoirs publics et aux partenaires sociaux de les délimiter et les définir. Au courage politique de choisir ce qui, à côté d’eux, pourra être abandonné ou diminué. A défaut, le droit opposable sera uniquement bavardage juridique et voeu pieu.