Allocations familiales : le sujet, c’est la petite enfance

Dans tous les débats actuels sur les allocations familiales, on oublie, en partie, l’essentiel. Cette prestation – les « allocs » – dite d’« entretien » (car elle vient couvrir ou « compenser » une partie du coût des enfants) ne correspond plus à la priorité des politiques familiales. Celles-ci, de plus en plus, visent non pas uniquement à « compenser » la charge d’enfant, mais à permettre une meilleure conciliation vie familiale/vie professionnelle des parents.

Les courbes des dépenses sont claires. Avant le milieu des années 1980, la branche famille ne dépensait rien, ou presque, pour l’accueil du jeune enfant (i.e lorsqu’il a moins de trois ans). Depuis lors les innovations et créations ont très largement porté sur ce dossier. Et depuis 2010, la branche Famille dépense plus en matière d’accueil du jeune enfant qu’en allocations familiales. C’est ce que ce schéma présente clairement. Et il ne rend compte que des prestations directes aux ménages. Si on ajoute l’action sociale (qui permet d’investir et de faire fonctionner des équipements comme les crèches), cela fait depuis le milieu des années 2000 que la priorité est bien passé, à partir de ce croisement de courbe, de la compensation générale de la charge d’enfant à l’accueil de la petite enfance.

Dépenses de la branche Famille pour les allocations familiales et pour les jeunes enfants (PAJE) – en milliards d’euros courants

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Source : CNAF

La petite enfance comme préoccupation grandissante

En raison de l’extension de l’activité féminine et souvent pour l’encourager, les nouvelles mesures en faveur des familles ont consisté, depuis les années 1970, en interventions visant la petite enfance.

La stratégie petite enfance tient en trois axes :

  • accroissement du nombre et des aides au financement des équipements d’accueil (crèches) ;
  • développement de prestations couvrant une partie des frais de garde par une assistante maternelle ;
  • rémunération des congés parentaux lors du retrait partiel ou total d’un des parents du marché du travail.

Dès 1970, l’Etat et les CAF décident de subventionner les crèches, par de l’action sociale. En 1977, les nourrices, rebaptisées assistantes maternelles (mais toujours appelées « nounous », au moins par les enfants), se voient conférer un statut par la loi. A partir de 1980 les CAF aident financièrement les parents employeurs. A partir de 1983 les CAF passent des « contrats crèches » avec les communes qui investissent. En 1989 des déductions fiscales sont aménagées pour frais de garde.

En 1985, sous un gouvernement de gauche, une allocation parentale d’éducation (APE) est créée à l’attention du parent (quasi-systématiquement la mère) renonçant partiellement ou totalement à son activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de ses enfants (à partir du troisième enfant). Cette allocation se situe à l’intersection des mesures pour résorber le chômage et des mesures classiques de politique familiale.

En 1986, sous un gouvernement de droite, une allocation pour la garde d’enfant à domicile (AGED) est mise en place, favorisant de fait les foyers aisés, mais permettant également de participer au développement des emplois de service, tout en luttant contre le travail au noir.

Après la création de l’aide aux familles pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) en 1990, la loi famille de 1994 a élargi le bénéfice de l’APE au deuxième enfant.

D’un côté des prestations proposent donc aux parents (la mère) la possibilité d’interrompre leur carrière pour garder leurs enfants ; de l’autre des prestations aident les parents à pouvoir faire garder leurs enfants pendant qu’ils travaillent. Le principe affiché au fondement du développement des accueils collectifs, des prestations individuelles pour la garde des enfants, et de la rémunération des congés parentaux est celui du « libre choix ». Les pouvoirs publics souhaitent soutenir toutes les aspirations des familles (des mères) : soit demeurer ou revenir au foyer, soit s’investir dans une activité professionnelle.

Les différents paramètres de ces diverses modalités d’intervention ont fait l’objet de nombreux débats, et d’évolutions dans des sens variés. L’AGED a ainsi donné lieu, comme tous les avantages fiscaux liés à la garde des enfants, à des aménagements plus ou moins favorables selon les majorités au pouvoir. Là aussi les tensions ont pu s’apaiser (avant peut-être de reprendre un jour), et le souci affiché est toujours de développer l’offre, sous toutes ses formes, de mode de garde.

La petite enfance comme priorité contemporaine

La volonté a également été de simplifier un dispositif jugé trop éparpillé. En 2004 a ainsi été créée la Prestation d’Accueil du Jeune Enfant (PAJE).

La PAJE, répond au double objectif de simplifier la législation en faveur de la garde des jeunes enfants et de favoriser un libre choix des parents. Cette prestation doit leur permettre de choisir le type d’accueil qu’ils jugent préférable pour leur enfant ou de réduire, voire suspendre, leur activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de leur enfant. Pour toute naissance ou adoption les familles peuvent bénéficier de cette prestation nouvelle qui vient en remplacer cinq. Elle comprend une prime à la naissance ou à l’adoption et une allocation de base. Elle comprend aussi un complément de libre choix d’activité (CLCA), un complément de libre choix du mode de garde (CMG). Ce dernier est versé lorsque des parents exerçant une activité professionnelle choisissent de faire garder leur enfant à domicile ou bien, plus souvent, par une assistante maternelle. Ce complément remplace l’AFEAMA et l’AGED. Le CLCA se substitue à l’APE, et s’en différencie car il est attribuable dès le premier enfant.

Pour participer à ce développement, tous azimuts, de l’accueil de la petite enfance, les entreprises ont aussi été appelées à se mobiliser. La possibilité d’ouvrir et de gérer des équipements, avec des subventions, a été ouverte au secteur privé. Les entreprises peuvent bénéficier de crédits d’impôts pour des mesures en faveur de leurs employés chargés de famille. Depuis 2004 elles peuvent recevoir un financement public (jusqu’à 80 % de l’investissement) pour créer leur propre crèche.

En 30 ans l’effort est ainsi allé croissant en faveur de la petite enfance. Les aides spécifiques à la petite enfance sont passées du quart au tiers du montant total des prestations familiales versées par les CAF. Par ailleurs les collectivités territoriales se sont impliquées fortement dans le développement des modes d’accueil, pour atteindre une offre totale de 350 000 places en 2008.

Les toutes récentes années ne se distinguent pas par des innovations radicales, mais par des réflexions fondamentales. Depuis 2007, deux projets, largement convergents, sont ponctuellement évoqués. Il s’agirait d’aller vers un « service public de la petite enfance » ou bien vers un « droit opposable à un mode de garde ». Dans les deux cas, le principe, inspiré des politiques des pays scandinaves, serait de proposer à tous les enfants de moins de trois ans, une solution d’accueil. C’est en tout cas précisément dans les pays du Nord de l’Europe que sont signalées les politiques les plus denses et les mieux notées pour la petite enfance.

Pour la France, aller vers une telle réorganisation (service public et/ou droit opposable), suppose une refonte générale de la gouvernance de la politique familiale française. Ce qui n’est pas à l’ordre du jour.

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