La redistribution selon Jouvenel (1951)

La redistribution revisitée

 

Le propos. Traduction de conférences prononcées à Cambridge en 1951, ce court ouvrage de Bertrand de Jouvenel est à la fois une charge contre les « redistributionnistes » et une contribution séduisante à l’étude des transferts socio-fiscaux. Des communautés primitives aux sociétés contemporaines, le sujet de la redistribution est passé d’une quête de justice dans la répartition des terres à une volonté de répartir autrement les revenus. Alors qu’il s’agirait de viser une redistribution verticale (des nantis vers les défavorisés), Jouvenel estime que la redistribution est « oblique ». Elle s’opère, sous l’emprise grandissante des pouvoirs publics, au sein et généralement au détriment de la classe moyenne. L’auteur s’intéresse en des termes d’une remarquable actualité à la fixation des planchers et plafonds de revenus pour une vie jugée descente.

 

L’intérêt. À rebours d’un certain consensualisme béat ce document procède d’une pensée instruite, forte et claire. Avec des analyses saisissantes, sur la pauvreté, les sentiments d’injustice, le niveau de vie décent

 

L’ouvrage. Bertrand de Jouvenel, L’Éthique de la redistribution, Les Belles Lettres, 2014, 142 pages, 17,5 €.

 

 

 CITATIONS

La redistribution, plutôt qu’un transfert de revenu disponible des riches vers les pauvres, est en réalité une redistribution de pouvoir de l’individu à l’État.

C’est par commodité de langage qu’on pris de nos jours l’habitude de désigner comme « juste » tout ce qui paraît émotionnellement désirable.

De tout temps, la prise de conscience de la pauvreté a produit un choc sur l’esprit des privilégiés : elle les a poussés à se sentir coupables de leur prodigalité personnelle, incités à distribuer leurs richesses et à se mélanger aux pauvres.

L’argent avait jadis paru scandaleux face à la pauvreté ; désormais c’est la pauvreté qui devenait objet de scandale face à l’argent.
Ce qui entre dans la définition de la redistribution, ce sont tous les systèmes qui soulagent un individu d’une dépense qu’il aurait payée de sa propre poche parce qu’il le pouvait ou vraisemblablement le voulait, et qui, en libérant ainsi une part de son revenu, peuvent s’assimiler à une hausse de ce revenu

Non seulement nous condamnons qu’on se gave de caviar quand d’autres sont privés de pain, mais notre opprobre est absolu (le procès du caviar et du pain)

Il est bien attesté que le « peuple » supporte mieux le spectacle d’un grand train de vie que la classe moyenne. Quand ce type de train de vie revêt un caractère ostentatoire, comme chez les aristocrates ou de nos jours chez les acteurs et des personnages publics comparables, le « peuple » manifeste à son propos une grande tolérance.

Depuis la fin du Moyen Age jusqu’à nos jours, la fortune du riche marchand a inspiré bien plus de ressentiment que le faste dont s’entouraient les dirigeants

Nous nommerons plancher le revenu minimum tenu pour nécessaire, et plafond le revenu maximum tenu pour désirable

L’utilité marginale du revenu est en réalité un nom compliqué pour désigner une satisfaction ou un plaisir retirés de la dernière unité de revenu

Les Classes Moyennes Émergentes : Miracle ou Mirage ?

Le marché des classes moyennes dans les pays émergents : quelle réalité ? quelles opportunités ?, Coll. « Prospective et entreprise », CCIP, 2014.

POUR COMMANDER L’ÉTUDE :

http://www.etudes.cci-paris-idf.fr/publication/230-marche-des-classes-moyennes-dans-les-pays-emergents

SYNTHÈSE

À côté de l’érosion, ressentie ou observée, des classes moyennes occidentales, l’expansion des classes moyennes dans les pays émergents passionne les démographes, les économistes et les entreprises. Ces affirmations nationales des classes moyennes émergentes, alimenteraient un mouvement général de moyennisation du monde.

Cette étude fait le point sur les connaissances et dynamiques à l’oeuvre. Les classes moyennes émergentes, dont il faut souligner qu’elles seraient considérées généralement comme pauvres dans les pays riches, sont, avec des intensités variées, en cours de consolidation. En position intermédiaire entre la consommation luxueuse des très riches et la consommation de nécessité des moins favorisés, les aspirations et comportements de consommation des classes moyennes ouvrent sur des marchés incontestablement prometteurs. Par-delà les problèmes, d’imprécision statistique, d’instabilité politique et d’incertitude économique, c’est pays par pays, voire même métropole par métropole, qu’il faut raisonner et mesurer les opportunités et difficultés pour les entreprises françaises.

Cette étude est présentée en cinq parties :

1/ Classes moyennes : mais de quoi parle-t-on ?
Il faut souligner que les classes moyennes émergentes seraient considérées comme pauvres dans les pays riches si on leur appliquait les mêmes outils de mesure.

2/ Les classes moyennes émergentes et la classe moyenne mondiale
Les classes moyennes sont, avec des intensités variées, en cours de consolidation dans les pays émergents. Ce phénomène s’opère alors que les classes moyennes sont, a contrario, en recul dans les pays occidentaux. La classe-moyennisation des pays émergents est fortement associée au phénomène d’urbanisation.

3/ Les conséquences de l’affirmation des classes moyennes émergentes
Cette affirmation des classes moyennes dans les pays émergents a de nombreuses conséquences en termes politiques (nouvelles aspirations socio-politiques et demandes d’infrastructures) et en termes économiques (nouvelles consommations).

4/ Quatre illustrations
Quatre pays sont ici choisis pour illustrer cette montée en puissance des classes moyennes dans les pays émergents et pré-émergents : le Brésil, la Chine, le Kenya et le Nigeria.

5/ Opportunités à saisir et obstacles à surmonter par les entreprises
Pour les entreprises occidentales et françaises, il en résulte un ensemble d’opportunités mais aussi un ensemble de réorientations en termes de positionnement de marques et de stratégie de conquête des marchés émergents.

 

 

APPEL À CONTRIBUTIONS – Revue française de sociologie – Périurbain

 

APPEL À CONTRIBUTIONS

Numéro spécial Revue française de sociologie

« Sociologie du périurbain »

Coordination scientifique :

Julien Damon (Sciences Po/Master Urbanisme)

Hervé Marchal (Université de Lorraine)

Jean-Marc Stébé (Université de Lorraine)

 

Si le phénomène n’est pas neuf, le périurbain a pris, ces dernières années, une place importante dans les analyses et discussions des géographes et des urbanistes-aménageurs.

En France, aux États-Unis, dans les autres pays développés ou encore dans les pays en développement, ces territoires donnent lieu à de nombreux travaux qui portent notamment sur les raisons et conséquences de l’étalement urbain. Les sociologues prennent naturellement part à ces travaux, mais sans que se soient encore dégagés les principaux enseignements et les principales lignes de débat qui relèvent spécifiquement de la sociologie.

Cet appel à contributions vise à mobiliser la communauté des sociologues autour de quatre grandes questions : de quoi parle-t-on ? Quels modes de vie ? Quelles dynamiques générales ? Quelles transformations de la sociologie urbaine ?

Les contributions que cet appel sollicite peuvent, d’abord, porter sur les contours du périurbain, à travers différentes époques et sous diverses dénominations, mais aussi, aujourd’hui, dans une optique résolument comparative. Des études du contenu des diverses approches de délimitation (par les définitions, les formes, les fonctions, les représentations) semblent tout à fait opportunes. Les perspectives historiques et internationales seront bienvenues. Au croisement de logiques sociales et spatiales, comment analyser le périurbain ? Qu’est-ce qui est commun à des territoires périurbains de fait très différents ? Quels enseignements, méthodologiques et théoriques, tirer des études sur le périurbain ?

Les articles pourront traiter, à partir d’analyses empiriques (enquêtes spécifiques ou exploitation d’enquêtes dans lesquelles peuvent se dégager des spécificités périurbaines), des aspirations, contraintes, situations, mobilités et évolutions des habitants du périurbain. Qu’ils soient subis ou choisis, quelles sont les caractéristiques et évolutions de ces modes de vie ? En quoi renseignent-ils, plus généralement, sur des modes de vie partout plus urbains ?

Les articles pourront aborder, au prisme de ces territoires particuliers, les dynamiques plus générales qui contribuent à leur extension ou, simplement, à la mise sur agenda de la question périurbaine. Au-delà de la description des populations et des territoires, il s’agit de s’interroger sur les mécanismes et logiques qui affectent les territoires périurbains. Quels sont les liens entre ségrégation, fragmentation et périurbanisation ? Peut-on rapprocher ce nouveau découpage territorial, qui met le périurbain en avant, avec des stratifications sociales qui remettent à l’honneur la question des classes moyennes ? Quelle place particulière tient le périurbain dans les nouvelles analyses des inégalités socio-territoriales ?

Enfin, les articles pourront s’intéresser à la place singulière du périurbain dans la sociologie urbaine. Qu’il s’agisse d’une relecture des classiques, d’une discussion des approches théoriques plus récentes, l’ambition est ici de mettre en évidence ce que les études du périurbain apportent à la sociologie urbaine, ce qu’elles invitent à confirmer, amender ou infirmer. Existe-il même une sociologie du périurbain ? Comment rendre compte des diverses positions et controverses traitant des questions périurbaines ? Comment évaluer, à l’aune des travaux sur le périurbain, des théories comme celles de la ville diffuse, de la ville compacte ou de l’urbain généralisé ?

Si l’appel à contributions est proposé à l’intention des sociologues, il est également présenté à l’attention d’autres disciplines qui dégageraient et discuteraient les aspects proprement sociologiques de leurs démarches.

 

 

Bibliographie

– Abbott C. (1987), The New Urban American Growth and Politics in Sunbelt Cities, Wilmington, University of North Carolina Press Enduring Editions.

– Arnould P., Bonerandi E, Gillette C. (2009), « Rural/urbain », in Stébé J.-M., Marchal H. (dir.), Traité sur la ville, Paris, PUF, 91-152.

– Cartier M., Coutant I., Masclet O, Siblot Y. (2008), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte.

– Charmes É. (2005), La vie périurbaine face à la menace des gated communities, Paris, L’Harmattan.

– Dubois-Taine G., Chalas Y. (dir.) (1997), La ville émergente, Paris, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube.

– Fishman R. (1987), Bourgeois Utopias. The Rise and Fall of Suburbia, New York, Basic Books.

– Garreau J. (1991), Edge City: Life on the New Frontier, New York, Anchor Books.

– Lang R. (2003), Edgeless cities: Exploring the Elusive Metropolis, Washington DC, Brookings institution.

– Raymond H., Haumont N., Haumont A., Dezès M.-G. (2001), L’habitat pavillonnaire, Paris, L’Harmattan.

– Secchi B. (2000), Prima Lezione di urbanistica, Rome-Bari, Laterza.

– Webber M. (1996), L’urbain sans lieu ni bornes, La Tour d’Aigues, Éd. de L’Aube.

– « Tous périurbains ! », Esprit, n° 393, 2013.

 

 

Les propositions de contribution (min. 500 mots – max. 1 000 mots), en français ou en anglais, devront être adressées à Christelle GERMAIN (christelle.germain[at]cnrs.fr), secrétaire de rédaction, ainsi qu’aux trois coordinateurs, Julien DAMON (julien.damon[at]orange.fr), Hervé MARCHAL (herve.marchal[at]univ-lorraine.fr) et Jean-Marc STÉBÉ (stebe[at]univ-lorraine.fr) avant le 31 janvier 2015. Elles feront l’objet d’un examen conjoint par les signataires de cet appel. La notification d’acceptation sera rendue aux auteurs au plus tard le 31 mars 2015.

 

Les auteurs dont la proposition a été retenue devront remettre leur texte, dont la longueur ne dépassera pas 60 000 signes (espaces, figures et tableaux compris), au plus tard le 15 septembre 2015. Chaque article sera évalué indépendamment par les coordinateurs scientifiques du dossier et, de manière anonyme, par le comité de lecture de la Revue.

Un entretien avec Laurent Davezies sur les villes, les élections, les dépenses publiques (Le Point, 13 mars 2013)

L’économiste Laurent Davezies, dans un petit ouvrage à grand succès, rappelle que le modèle social français constitue assurément un amortisseur de crise. Dans La Crise qui vient (Seuil, 2012), tout récemment distingué par le Prix de l’École Nationale de la Sécurité Sociale (En3s), il souligne que les mécanismes stabilisateurs constituent également un amortisseur de reprise. Selon ses termes, les remèdes traditionnels consistant à injecter dans les territoires du salaire public et de la prestation sociale deviennent des poisons. Revue de situations et de perspectives.

 

On oppose maintenant souvent une France des métropoles, qui réussirait, et une France périphérique, qui serait mise de côté. Cette vision binaire des territoires a-t-elle vraiment un sens ?

La question « être ou ne pas être une métropole » devient absolument cruciale. Pour autant, il faut veiller à ne pas verser dans l’hystérie sur la fracture territoriale comme, un temps, on s’est trop focalisé sur la fracture sociale. Christophe Guilluy – qui a montré des phénomènes importants, et qui très écouté  – a raison même si son analyse pousse le bouchon. Il distingue une France métropolitaine (avec 40 % des habitants, 80 % du PIB, 80 % des immigrés) et une France périphérique (avec, donc, 60 % des habitants dits oubliés ou invisibles). Cette image duale est très exagérée. Ce sont plutôt 20% de la population qui se trouvent dans des territoires vraiment pénalisés ; ce qui est déjà trop. L’important est de bien souligner l’émergence d’une nouvelle géographie et de nouvelles logiques territoriales. On s’intéressait auparavant aux fractures internes des métropoles. C’est-à-dire à une opposition, au sein des métropoles, entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Nous sommes passées aujourd’hui à une autre lecture géographique – dans les discours publics – avec une opposition entre les métropoles et le reste du territoire. Ces discours ont un puissant impact, laissant penser à la majorité des territoires qu’ils sont marginalisés. Et au même moment on institue par la loi les métropoles, envoyant ainsi un signal de leur privilège. Toutes ces évolutions et décisions créent assurément une addition de troubles.

 

Mais vous même vous parlez d’une nouvelle « fracture territoriale ». Et elle serait plus à venir que déjà repérable…

Les changements sont à la fois perceptibles et à venir. Ils sont alimentés par deux mécanismes. Tout d’abord l’injonction à la compétitivité met principalement les métropoles sur le devant de la scène. Et les chiffres sont là. Ils indiquent effectivement une dissociation entre les métropoles et le reste du pays. En France, le nombre total d’emplois est plus faible en décembre 2012 qu’en décembre 2007. Sur les 700 aires urbaines françaises, 10 ont pourtant significativement créé de l’emploi sur la période. C’est le cas des métropoles : Ile-de-France, Lille, Lyon, Marseille-Aix, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes. Le deuxième changement est largement à venir. Il sera la résultante des décisions qui seront prises sur la diminution des dépenses publiques. Le Président de la République est allé pleinement dans ce sens. Cette inflexion, qui est loin d’être amorcée, va puissamment réduire le filet de protection que l’on a tendu, depuis 20 ou 30 ans, sur les territoires. Avec des effets très différenciés mais très puissants sur les territoires. Les espaces non métropolitains, que l’on a voulu protéger de l’ajustement à la mondialisation, vont maintenant faire face à une voilure réduite en matière de dépenses publiques et sociales. Ce sont les villes et campagnes qui dépendent le plus de l’emploi public et de la redistribution qui vont être pénalisés. Avant 2007, ces périphéries marchaient mieux que les métropoles en termes de démographie, d’emploi, de revenu. C’était une anomalie. Ce vers quoi on tend est plus logique, mais pas forcément réjouissant. Les territoires moteurs de la croissance française vont en tirer plus en bénéfice. Et les territoires entraînés par croissance des métropoles vont ralentir.

 

On a longtemps opposé Paris et le désert français, Paris vidant les provinces de leurs richesses. Or c’est, selon vous et selon bien d’autres, l’inverse qui prévaut. Pourquoi tant de gens et d’élus sont-ils encore persuadés que Paris et l’Ile-de-France vit aux dépens du reste du pays ?

Paris et l’Ile-de-France ne vivent pas sous perfusion de la province. C’était, il y a encore quelques décennies, vrai sur le plan démographique. La capitale attirait puissamment les jeunes de province. Ce n’est plus vrai. En tout cas l’attraction est moins puissante. En revanche, du point de vue de la redistribution des richesses, la métropole parisienne est de loin la plus grosse contributrice. Ce constat se vérifie aussi dans nombre d’autres pays. Le Grand Londres est une machine à redistribuer pour tout le Royaume-Uni. Ce sont les régions riches qui financent les régions pauvres car elles génèrent plus de ressources fiscales et sociales qu’elles n’en bénéficient. Et au fond, il n’y rien que de bien normal à cela. Ces énormes transferts, explicites ou implicites, permettent de faire Nation.

 

Quelles dépenses publiques diminuer ?

Je ne peux pas fournir la liste, et je ne peux que souligner combien le sujet est compliqué et douloureux. Puisque nous sommes arrivés au taquet sur les prélèvements obligatoires, puisque la relance de la croissance ne se décrète pas, l’option, aujourd’hui annoncée au plus niveau de l’Etat, est de réduire la dépense. Celle-ci représente 57 % du PIB. Pour vraiment diminuer déficit et dette, c’est plusieurs points de PIB d’économie, soit à chaque fois 20 milliards d’euros, qu’il faut trouver. En gros, si on nous parle de 50 milliards d’euros de diminution, c’est peut-être 100 milliards qu’il faut viser. C’est absolument colossal. Les pouvoirs publics peuvent tenter de puiser dans les dépenses sociales. Mais en période de crise elles sont sanctuarisées et mécaniquement appelées à augmenter. Donc il sera très pénible, et politiquement très périlleux, de s’y attaquer. Les pouvoirs publics peuvent aussi s’attaquer aux dépenses des collectivités territoriales. En l’espèce, les masses en jeu, tout en restant considérables, ne sont pas aussi importantes. Mais il est possible, politiquement, d’agir là de façon un peu moins dangereuse. Ce sont donc les collectivités territoriales qui seront dans le collimateur. Au fond, je suis tout de même assez pessimiste sur la capacité de s’accorder sur les nécessaires modérations avant qu’elles ne soient imposées. Je pense tout de même que la RGPP aura été un bien. La logique en était brutale, mais il faut remercier la RGPP d’avoir enclenché le mouvement. On doit pouvoir maintenant continuer à tenter de diminuer la dépense publique en étant plus intelligent. Le paradoxe cruel est que la nécessité de cette baisse concorde avec des demandes de hausse dans de nombreux secteurs…

 

Que penser des annonces récentes sur sur les recompositions de l’administration territoriale ? Quel échelon faudrait-il supprimer ?

Ces affaires, très sensibles, de découpage et d’organisation des territoires, ne font l’objet d’aucune doctrine, d’aucune philosophie. La gestion multicouche, à plusieurs niveaux, de nos politiques, résulte de l’histoire et du bricolage bien plus que de principes rigoureusement mis en œuvre. Et il en va ainsi dans la plupart des pays. C’est assez troublant. On peut citer Solon, Montesquieu, toute la philosophie politique. On trouve tout sur la démocratie et l’équilibre des pouvoirs mais rien sur les territoires et leur organisation. Pour une rationalisation et une diminution, nécessairement empiriques, de la dépense publique, on voit bien qu’il faut rendre l’action publique plus efficace et plus frugale.  Dans la compétition historique des propositions, ce sont aujourd’hui les régions qui sont visées. On nous indique qu’il faudrait en réduire le nombre. Pourquoi pas ? Mais ce n’est certainement pas à hauteur des enjeux. S’il ne faut pas verser dans une quête infinie de l’optimum, il faut surtout une organisation moins dispendieuse et plus adaptée à la réalité de nos existences quotidiennes. Et ce n’est pas neuf. Déjà dans les années 1970, quand j’étudiais à Sciences Po, la question était récurrente. Avec des dilemmes entre proximité des services et économies d’échelle, entre justice et efficacité. Concrètement, c’est au niveau des départements qu’il faut agir. Les régions pourraient intégrer les fonctions départementales qui ne seraient pas prise par des métropoles comme c’est le cas à Lyon. L’ambition serait de faire des régions de vrais poids lourds de l’action publique, avec des budgets vraiment consistants, des missions structurantes et une capacité à attirer de grands entrepreneurs politiques. Les régions, qui ont une trentaine d’années, sont encore adolescentes. Il faut profiter de la dynamique d’affirmation des métropoles pour trouver un équilibre avec elles, et les mener à maturité.

Et les 36 000 communes ?

Dans la compétition des arguments, entre nécessaire volontarisme pour économiser et nécessaire conservation de la proximité, je plaide pour le maintien formel des maires et des mairies. En France, plus d’un adulte sur cent est un élu local. C’est une formidable irrigation démocratique. Dans un monde où les décisions et les politiques semblent de plus en plus s’imposer, de très haut, aux populations, il ne faut pas leur enlever ce qui est proche et identifié. Il faut donc conserver nos communes, tout en transférant plus systématiquement les compétences à l’échelle intercommunale.

 

Dans cette campagne municipale, on entend beaucoup parler de ville durable ou de ville intelligente. Ça veut dire quelque chose ?

Ce sont des modes de vocabulaire. Mais ces modes sont plutôt positives. Pour la ville durable,  fabriquer des villes vertes, c’est en soi positif, même si ça ne résout pas les problèmes environnementaux qui sont mondiaux. Plutôt que pour des économies minuscules dans des écoquartiers, on ferait peut-être mieux d’investir dans de la recherche sur le stockage des énergies qui profiterait au monde entier. Sur la Smart City c’est très bien. Les systèmes d’information peuvent optimiser nos modes de vie en ville, de la gestion de toutes nos consommations, à l’amélioration des circulations. Dans les deux cas, ville verte et ville intelligente, il ne faut pas se flageller. Au contraire ! Les villes françaises sont des vitrines. Nous sommes bons –techniquement et en termes de gestion publique- pour gérer efficacement et écologiquement des villes, pour organiser des délégations et concessions de service public que nous vendons partout. J’estime que la réflexion et les propositions sur les villes, en France, ne doivent pas se produire sur le seul mode culpabilisant du « moins polluer », mais sur le mode gratifiant de notre capacité à concevoir et fournir des modèles (mais aussi des biens et des services) à vocation universelle.

 

 

 

Deux ouvrages anglais sur l’immigration (Le Point, 21 novembre 2013)

David Goodhart, The British Dream. Successes and Failures of Post-War Immigration, Londres, Atlantic Books, 2013, 381 pages.

 

Paul Collier, Exodus. Immigration and Multiculturalism in the 21st Century, Londres, Allen Lane, 2013, 320 pages.

 

L’immigration, une chance pour l’Occident ?

 

Les questions migratoires sont hautement polémiques, qu’il s’agisse des plus défavorisés en quête d’une vie meilleure ou des plus talentueux que se disputent les universités. Deux essais anglais récents, qui nourrissent la discussion outre-Manche, permettent de revenir sur des thèmes très sensibles. Une approche commune : il faut se dégager de l’émotion et de l’actualité pour évaluer rigoureusement bienfaits et difficultés de l’immigration. Un constat conjoint : le multiculturalisme est et sera, dans les pays riches, de plus en plus problématique.

 

Dans son livre, dédicacé à ses parents et à son ordinateur portable, David Goodhart soutient une thèse vive. En une soixantaine d’années, « un pays assez homogène, au cœur d’un empire multiracial est devenu un pays multiracial, sans empire ». Calculant qu’il arrive plus d’immigrés en Angleterre chaque année qu’il n’en est arrivé entre 1066 et 1950, Goodhart estime que l’immigration est aujourd’hui le principal problème du pays. Attention, il n’y a pas là un brûlot signé par un récent converti. Toujours à la tête du Think Tank de centre-gauche Demos, Goodhart souligne que les nouveaux arrivants sont, forcément, en concurrence avec les établis notamment parmi les catégories les plus modestes de la population. Les immigrés tirent les revenus vers le bas. Ils sont en compétition dans l’accès aux services publics et aux logements. Classiquement, Goodhart indique aussi que les Somaliens sont plus difficiles à intégrer que les Australiens. Autour de ces arguments on pourrait gloser techniquement sur les mérites respectifs d’une coupe instantanée ou d’un regard longitudinal, pour dégager ce qui de malheureux maintenant deviendrait avantageux dans le long terme. Le sujet principal est autre. Reprenant des arguments assez répandus, et empiriquement plutôt bien soutenus, de la littérature économique, Goodhart rappelle que les sociétés les plus hétérogènes sont les moins favorables à la protection sociale. C’est ce qu’il baptise le « dilemme progressiste ». La diversification, passant par la ségrégation plus que par le métissage, alimente de puissantes critiques à l’encontre de l’État-providence. Équilibré, l’auteur rapporte que la ségrégation serait tout de même en baisse par exemple dans des villes comme Bradford. Il relève que les imans sont plus souvent anglophones qu’auparavant. Point important, il note que les descendants d’immigrés pakistanais et chinois sont souvent meilleurs élèves que les enfants anglais. D’où, peut-être, encore du ressentiment. En tout cas les immigrés n’apportent pas seulement la diversité. Ils sont eux-mêmes la diversité. Et c’est ce changement de société (que d’autres, en France, baptisent avec force polémique, le « grand remplacement ») que Goodhart érige en péril pour le « rêve anglais ».

 

Selon l’économiste d’Oxford Paul Collier, dans un livre d’ailleurs très apprécié par Goodhart, la question de l’immigration est, la plupart du temps, mal posée. Pour ce grand spécialiste de l’Afrique et des populations pauvres, il ne s’agit pas tant de savoir si elle est bénéfique ou maléfique. D’ailleurs Collier ne veut pas nous amener à une opinion sur l’immigration, mais à un cadre pour se forger des opinions. La vraie question est de mesurer l’impact de l’immigration à trois échelles. Il en va, d’abord, des migrants eux-mêmes. Ceux-ci gagnent toujours à immigrer, en particulier quand ils proviennent de pays très défavorisés. À défaut, ils rentreraient chez eux ou partiraient encore ailleurs. Il faut aussi mesurer l’impact sur les pays de départ, en particulier quand ils sont pauvres. Le solde est, globalement, positif car les émigrés renvoient des devises et de bonnes idées. Mais au-delà d’un certain seuil d’émigration, les effets deviennent négatifs car il y a fuite des cerveaux (voir ce qui se passe en Haïti ou en Afrique du Sud). Quant aux conséquences pour le pays d’accueil, le thème du seuil (quasiment inaudible dans le brouhaha du débat français) est le plus important. Un peu de diversité amène, selon Collier, du dynamisme pour le pays et de l’originalité pour certains quartiers. Mais il considère, avec Goodhart (et bien d’autres experts), que le consentement à payer l’impôt baisse dans des sociétés se diversifiant, à partir de diasporas grandissantes. Pour Collier le problème n’est pas tant celui de l’identité que celui de la continuation possible des systèmes d’État-providence à l’européenne.

 

Alors que Goodhart propose peu (sinon de tenter de faire adhérer toute la population aux mythes et rituels britanniques), Collier se dit favorable à des restrictions sur le regroupement familial et à une croissance de l’immigration des étudiants et travailleurs qualifiés. Sans remettre en cause le droit d’asile, il est favorable au renvoi chez eux des réfugiés après amélioration de la situation dans leur pays d’origine. Au total deux ouvrages qui mettent en pièce la vision académique et enchantée du multiculturalisme. Et qui mettent les pieds là où ça fait mal.

 

 

 

Une note “visuelle” sur la France dans 10 ans

France dans 10 ans

Contribution rapide aux réflexions sur le modèle social et le modèle républicain

 

Deux dimensions dans ces trois pages de courte note (à télécharger ICI) :

–       une rétrospective comparative sur le « modèle français » à partir d’une source originale ;

–       deux tendances lourdes, parfois mises de côté, à ne pas oublier : la métropolisation et le métissage.

 


Le sujet du modèle français (sur ses deux volets républicain et social) recouvre une littérature considérable. Le thème regorge d’analyses et de données. On passera ici par des images, issues d’une seule source : les couvertures de The Economist. Agrémentées de quelques commentaires rapides. L’ambition est de produire une rapide rétrospective (sur dix ans) toujours utile à une prospective (dans dix ans). Pourquoi The Economist ? Non par adhésion à l’orientation explicitement libérale de l’hebdomadaire, mais bien parce qu’il s’agit de l’une des principales sources véritablement internationales, faisant systématiquement le tour du monde, et permettant donc quelques remarques assurément comparatives sur le modèle français.

 

Leçons principales : 1/ il y a dix ans, le modèle français, pour ses réformes, se comparait très valablement au modèle allemand ; 2/ au début de la crise le modèle français est célébré comme amortisseur de crise ; 3/ aujourd’hui le modèle est contesté comme amortisseur de reprise. En un mot, la leçon comparative est que le modèle est devenu insoutenable, économiquement.

PUBLICATION NOUVELLE

Petit précis de culture économique. Lectures contemporaines “

 

Cet ouvrage est une compilation de comptes rendus d’ouvrages. Il est constitué de chroniques parues mensuellement, depuis 2007, dans Les Échos. À l’occasion de chacune de ces chroniques – 150 rassemblées ici –, trois livres publiés en anglais sont choisis, présentés et critiqués de façon à en faire ressortir les principales conclusions et qualités.

Se procurer le livre : http://2doc.net/am6s3

Ce livre met à disposition en dix rubriques la substance d’environ 150 livres. Ce recueil ne se veut ni un digest de type « 150 livres en un » (même s’il pourra être utilisé de la sorte) ni une anthologie de référence (même s’il pourra être rangé dans ce rayon des bibliothèques).

 

L’ambition est de fournir des clés de lecture sur les réalités et questions contemporaines à l’aune de lectures particulières. Chaque chronique, ajustée et actualisée, parfois développée, est prétexte à aborder un sujet à partir de trois textes, sous des angles souvent complémentaires mais avec des perspectives parfois divergentes, voire opposées. Les économistes croisent ainsi des sociologues, des historiens, des journalistes, des philosophes, des géographes, des lobbyistes, des fonctionnaires, des psychiatres, des juristes, des élus. Bref, tout ce qui fait le sel de la vie dans l’univers de l’édition d’essais.

 

 

Table des matières

1. Questions et politiques sociales

2. Questions et politiques familiales

3. Questions et politiques urbaines

4. Questions de philosophie et d’organisation sociales

5. Questions de pauvreté et de richesse

6. Questions d’entreprise et de management

7. Questions d’innovation et d’éducation

8. Questions et positions d’économistes

9. Questions et préoccupations de crise

10. Questions d’avenir et de prospective

Livres chroniqués et mots-clés

NOUVELLE PUBLICATION

Petit précis de culture économique. Lectures contemporaines “

 

Cet ouvrage est une compilation de comptes rendus d’ouvrages. Il est constitué de chroniques parues mensuellement, depuis 2007, dans Les Échos. À l’occasion de chacune de ces chroniques – 150 rassemblées ici –, trois livres publiés en anglais sont choisis, présentés et critiqués de façon à en faire ressortir les principales conclusions et qualités.

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Ce livre met à disposition en dix rubriques la substance d’environ 150 livres. Ce recueil ne se veut ni un digest de type « 150 livres en un » (même s’il pourra être utilisé de la sorte) ni une anthologie de référence (même s’il pourra être rangé dans ce rayon des bibliothèques).

 

L’ambition est de fournir des clés de lecture sur les réalités et questions contemporaines à l’aune de lectures particulières. Chaque chronique, ajustée et actualisée, parfois développée, est prétexte à aborder un sujet à partir de trois textes, sous des angles souvent complémentaires mais avec des perspectives parfois divergentes, voire opposées. Les économistes croisent ainsi des sociologues, des historiens, des journalistes, des philosophes, des géographes, des lobbyistes, des fonctionnaires, des psychiatres, des juristes, des élus. Bref, tout ce qui fait le sel de la vie dans l’univers de l’édition d’essais.

 

 

Table des matières

1. Questions et politiques sociales

2. Questions et politiques familiales

3. Questions et politiques urbaines

4. Questions de philosophie et d’organisation sociales

5. Questions de pauvreté et de richesse

6. Questions d’entreprise et de management

7. Questions d’innovation et d’éducation

8. Questions et positions d’économistes

9. Questions et préoccupations de crise

10. Questions d’avenir et de prospective

Livres chroniqués et mots-clés

PARUTION NOUVELLE

Petit précis de culture économique. Lectures contemporaines “

 

Cet ouvrage est une compilation de comptes rendus d’ouvrages. Il est constitué de chroniques parues mensuellement, depuis 2007, dans Les Échos. À l’occasion de chacune de ces chroniques – 150 rassemblées ici –, trois livres publiés en anglais sont choisis, présentés et critiqués de façon à en faire ressortir les principales conclusions et qualités.

Se procurer le livre : http://2doc.net/am6s3

Ce livre met à disposition en dix rubriques la substance d’environ 150 livres. Ce recueil ne se veut ni un digest de type « 150 livres en un » (même s’il pourra être utilisé de la sorte) ni une anthologie de référence (même s’il pourra être rangé dans ce rayon des bibliothèques).

 

L’ambition est de fournir des clés de lecture sur les réalités et questions contemporaines à l’aune de lectures particulières. Chaque chronique, ajustée et actualisée, parfois développée, est prétexte à aborder un sujet à partir de trois textes, sous des angles souvent complémentaires mais avec des perspectives parfois divergentes, voire opposées. Les économistes croisent ainsi des sociologues, des historiens, des journalistes, des philosophes, des géographes, des lobbyistes, des fonctionnaires, des psychiatres, des juristes, des élus. Bref, tout ce qui fait le sel de la vie dans l’univers de l’édition d’essais.

 

 

Table des matières

1. Questions et politiques sociales

2. Questions et politiques familiales

3. Questions et politiques urbaines

4. Questions de philosophie et d’organisation sociales

5. Questions de pauvreté et de richesse

6. Questions d’entreprise et de management

7. Questions d’innovation et d’éducation

8. Questions et positions d’économistes

9. Questions et préoccupations de crise

10. Questions d’avenir et de prospective

Livres chroniqués et mots-clés

NOUVELLE PARUTION

Petit précis de culture économique. Lectures contemporaines “

 

Cet ouvrage est une compilation de comptes rendus d’ouvrages. Il est constitué de chroniques parues mensuellement, depuis 2007, dans Les Échos. À l’occasion de chacune de ces chroniques – 150 rassemblées ici –, trois livres publiés en anglais sont choisis, présentés et critiqués de façon à en faire ressortir les principales conclusions et qualités.

Se procurer le livre : http://2doc.net/am6s3

Ce livre met à disposition en dix rubriques la substance d’environ 150 livres. Ce recueil ne se veut ni un digest de type « 150 livres en un » (même s’il pourra être utilisé de la sorte) ni une anthologie de référence (même s’il pourra être rangé dans ce rayon des bibliothèques).

 

L’ambition est de fournir des clés de lecture sur les réalités et questions contemporaines à l’aune de lectures particulières. Chaque chronique, ajustée et actualisée, parfois développée, est prétexte à aborder un sujet à partir de trois textes, sous des angles souvent complémentaires mais avec des perspectives parfois divergentes, voire opposées. Les économistes croisent ainsi des sociologues, des historiens, des journalistes, des philosophes, des géographes, des lobbyistes, des fonctionnaires, des psychiatres, des juristes, des élus. Bref, tout ce qui fait le sel de la vie dans l’univers de l’édition d’essais.

 

 

Table des matières

1. Questions et politiques sociales

2. Questions et politiques familiales

3. Questions et politiques urbaines

4. Questions de philosophie et d’organisation sociales

5. Questions de pauvreté et de richesse

6. Questions d’entreprise et de management

7. Questions d’innovation et d’éducation

8. Questions et positions d’économistes

9. Questions et préoccupations de crise

10. Questions d’avenir et de prospective

Livres chroniqués et mots-clés

“Politique familiale : le virage vers la petite enfance”, Le Monde (.fr), 13 juin 2013

 

Depuis les premières lois d’assistance de la fin du XIXème siècle, jusqu’à l’ensemble des mécanismes socio-fiscaux contemporains, en passant par la mise en place d’une branche Famille de la Sécurité sociale après-guerre, le périmètre de la politique familiale n’a fait que s’étendre.

Aux prestations gérées par les CAF, il convient d’ajouter d’autres dépenses publiques. Certaines de ces aides sont à l’intersection d’autres politiques comme les politiques du logement, de l’éducation, de l’emploi ou de la lutte contre la pauvreté. Aux prestations familiales monétaires « classiques », il faut additionner, en particulier, une certaine fraction des prestations logement, les dépenses fiscales liées aux singularités du système français d’imposition, et les prestations différées que sont les avantages familiaux de retraite.

On peut décomposer la politique familiale en quatre cercles concentriques intégrant les principales dépenses. Dans un premier cercle, on trouve les dépenses « famille » et « maternité », telles que présentées dans les nomenclatures statistiques européennes. Outre les prestations familiales des CAF, on trouve dans cet agrégat les dépenses d’aide sociale à l’enfance, gérées par les collectivités territoriales, les dépenses maternité, gérées par l’assurance maladie. Il faut, en complément, considérer certains dispositifs qui concourent à la redistribution en faveur des familles. Les prestations logement et certains minima sociaux incorporent ainsi dans leurs barèmes des modulations qui sont fonction de la composition de la famille. Il faut, encore, rapporter les avantages prenant la forme de réduction d’impôts. On parle souvent de « dépenses fiscales », au sens de pertes de recettes fiscales, complétant les dépenses sociales. Ces réductions d’impôts en faveur des familles – au premier rang desquelles on trouve le mécanisme du quotient familial –  comprennent les divers avantages liés aux enfants dans le calcul de l’impôt. Enfin, pour établir un périmètre large de la politique familiale, on doit recenser les avantages familiaux de retraite : bonification de pension pour enfants, majoration de durée d’assurance. Avec ces conventions, la politique familiale représente, dans un sens strict, 3 % du PIB. Et dans un sens élargi, 5 % du PIB. C’est dire son importance.

Le plus important virage de la politique familiale n’est pas le plus commenté. On parle très souvent du passage d’une politique familiale vers une politique sociale, avec les mises sous condition de ressource de certaines prestations ou encore les abaissements du plafond du quotient familial. Ces sujets, à nouveau discutés avec les récentes annonces gouvernementales, masquent une transformation bien plus importante. En raison de l’extension de l’activité féminine et souvent pour l’encourager, les principales nouvelles mesures en faveur des familles ont consisté, depuis les années 1970, en interventions visant la petite enfance.

Les courbes des dépenses sont claires. Avant le milieu des années 1980, la branche famille ne dépensait rien, ou presque, pour l’accueil du jeune enfant (i.e lorsqu’il a moins de trois ans). Depuis lors, les innovations et créations ont très largement porté sur ce dossier. Depuis 2010, la branche Famille dépense plus en matière d’accueil du jeune enfant qu’en allocations familiales. Et les collectivités territoriales s’impliquent, en lien avec les CAF, considérablement. L’ensemble, cependant, demeure insatisfaisant. Ne serait-ce que parce qu’il manque un nombre considérable de places.

Dans tous les débats très contemporains sur le quotient familial et les allocations familiales, on oublie, en partie, l’essentiel. Cette réduction d’impôt et cette prestation dite d’« entretien » (car elle vient couvrir ou « compenser » une partie du coût des enfants) ne correspondent plus à la priorité des politiques familiales. Celles-ci, de plus en plus, vise non pas uniquement à « compenser » la charge d’enfant, mais à permettre une meilleure conciliation vie familiale/vie professionnelle des parents.

Le sujet important pour la politique familiale n’est donc pas de savoir comment rogner et bricoler avec les paramètres du système en place, mais de résolument investir afin que tous les parents et tous les enfants puissent bénéficier de services de qualité. En matière de petite enfance, deux projets, largement convergents, sont ponctuellement évoqués. Il s’agirait d’aller vers un « service public de la petite enfance » ou bien vers un « droit opposable à un mode de garde ». Dans les deux cas, le principe, inspiré des politiques des pays scandinaves, serait de proposer à tous les enfants de moins de trois ans, une solution d’accueil. Pour la France, aller vers une telle réorganisation (service public et/ou droit opposable), suppose une refonte générale de la gouvernance de la politique familiale française. Ce qui n’est pas à l’ordre du jour. On préfère souvent raboter et complexifier (ce qu’incarnent les décisions récentes), plutôt que simplifier et réaffecter (ce qu’incarnerait une visée stratégique claire). C’est dommage.

Évolution des dépenses d’allocations familiales et de prestations d’accueil pour le jeune enfant (en Milliards d’euros)

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Source : CNAF

Mendicité des enfants : 17 mai 2013 parisien…

Dans le débat sur la mendicité des enfants : trois photos, pour illustrer.
Simple résultat de déplacements professionnels du jour, à vélo.

Trois trajets : trois rencontres.

Dans le premier cas (femme en rouge), discussion avec la dame. Quelques questions, et toujours la même réponse, souriante d’ailleurs : “Monnaie. Monnaie. Roumanie”. Appel au 17. Résultat : “Monsieur, nous n’avons pas le temps. Il n’y a pas trouble à l’ordre public”. Etc. Appel au 115. Pas de réponse. Appel au 119. Idem. Sur le plan de la caractérisation de la mendicité, l’enfant et l’adulte tiennent alternativement le petit gobelet. S’il n’y a pas exploitation directe de la mendicité de l’enfant, que suis-je donc en train d’observer ?

Dans le deuxième cas, place de la Bastille, un bébé dans les bras d’une dame qui, comme dans le cas précédent d’ailleurs, semble bien trop âgée pour pouvoir être la mère. Le bébé dort tranquillement (ou sous tranquillisant ?). Pas le temps d’appeler. La dame me demande “Madame, s’il vous plaît”. Elle n’incite pas le bébé à la mendicité, mais l’état de servitude de ce petit enfant me semble bien involontaire…

Dans le troisième cas, la petite fille fait la manche avec la dame (cette fois-ci plus jeune). Elle va chercher de l’argent dans les différentes boutiques de la rue (celle, soit dit en passant, où il est dit qu’habite le Ministre de l’Intérieur).

Que disent les bonnes et belles âmes ????

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Allocations familiales : le sujet, c’est la petite enfance

Dans tous les débats actuels sur les allocations familiales, on oublie, en partie, l’essentiel. Cette prestation – les « allocs » – dite d’« entretien » (car elle vient couvrir ou « compenser » une partie du coût des enfants) ne correspond plus à la priorité des politiques familiales. Celles-ci, de plus en plus, visent non pas uniquement à « compenser » la charge d’enfant, mais à permettre une meilleure conciliation vie familiale/vie professionnelle des parents.

Les courbes des dépenses sont claires. Avant le milieu des années 1980, la branche famille ne dépensait rien, ou presque, pour l’accueil du jeune enfant (i.e lorsqu’il a moins de trois ans). Depuis lors les innovations et créations ont très largement porté sur ce dossier. Et depuis 2010, la branche Famille dépense plus en matière d’accueil du jeune enfant qu’en allocations familiales. C’est ce que ce schéma présente clairement. Et il ne rend compte que des prestations directes aux ménages. Si on ajoute l’action sociale (qui permet d’investir et de faire fonctionner des équipements comme les crèches), cela fait depuis le milieu des années 2000 que la priorité est bien passé, à partir de ce croisement de courbe, de la compensation générale de la charge d’enfant à l’accueil de la petite enfance.

Dépenses de la branche Famille pour les allocations familiales et pour les jeunes enfants (PAJE) – en milliards d’euros courants

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Source : CNAF

La petite enfance comme préoccupation grandissante

En raison de l’extension de l’activité féminine et souvent pour l’encourager, les nouvelles mesures en faveur des familles ont consisté, depuis les années 1970, en interventions visant la petite enfance.

La stratégie petite enfance tient en trois axes :

  • accroissement du nombre et des aides au financement des équipements d’accueil (crèches) ;
  • développement de prestations couvrant une partie des frais de garde par une assistante maternelle ;
  • rémunération des congés parentaux lors du retrait partiel ou total d’un des parents du marché du travail.

Dès 1970, l’Etat et les CAF décident de subventionner les crèches, par de l’action sociale. En 1977, les nourrices, rebaptisées assistantes maternelles (mais toujours appelées « nounous », au moins par les enfants), se voient conférer un statut par la loi. A partir de 1980 les CAF aident financièrement les parents employeurs. A partir de 1983 les CAF passent des « contrats crèches » avec les communes qui investissent. En 1989 des déductions fiscales sont aménagées pour frais de garde.

En 1985, sous un gouvernement de gauche, une allocation parentale d’éducation (APE) est créée à l’attention du parent (quasi-systématiquement la mère) renonçant partiellement ou totalement à son activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de ses enfants (à partir du troisième enfant). Cette allocation se situe à l’intersection des mesures pour résorber le chômage et des mesures classiques de politique familiale.

En 1986, sous un gouvernement de droite, une allocation pour la garde d’enfant à domicile (AGED) est mise en place, favorisant de fait les foyers aisés, mais permettant également de participer au développement des emplois de service, tout en luttant contre le travail au noir.

Après la création de l’aide aux familles pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) en 1990, la loi famille de 1994 a élargi le bénéfice de l’APE au deuxième enfant.

D’un côté des prestations proposent donc aux parents (la mère) la possibilité d’interrompre leur carrière pour garder leurs enfants ; de l’autre des prestations aident les parents à pouvoir faire garder leurs enfants pendant qu’ils travaillent. Le principe affiché au fondement du développement des accueils collectifs, des prestations individuelles pour la garde des enfants, et de la rémunération des congés parentaux est celui du « libre choix ». Les pouvoirs publics souhaitent soutenir toutes les aspirations des familles (des mères) : soit demeurer ou revenir au foyer, soit s’investir dans une activité professionnelle.

Les différents paramètres de ces diverses modalités d’intervention ont fait l’objet de nombreux débats, et d’évolutions dans des sens variés. L’AGED a ainsi donné lieu, comme tous les avantages fiscaux liés à la garde des enfants, à des aménagements plus ou moins favorables selon les majorités au pouvoir. Là aussi les tensions ont pu s’apaiser (avant peut-être de reprendre un jour), et le souci affiché est toujours de développer l’offre, sous toutes ses formes, de mode de garde.

La petite enfance comme priorité contemporaine

La volonté a également été de simplifier un dispositif jugé trop éparpillé. En 2004 a ainsi été créée la Prestation d’Accueil du Jeune Enfant (PAJE).

La PAJE, répond au double objectif de simplifier la législation en faveur de la garde des jeunes enfants et de favoriser un libre choix des parents. Cette prestation doit leur permettre de choisir le type d’accueil qu’ils jugent préférable pour leur enfant ou de réduire, voire suspendre, leur activité professionnelle pour se consacrer à l’éducation de leur enfant. Pour toute naissance ou adoption les familles peuvent bénéficier de cette prestation nouvelle qui vient en remplacer cinq. Elle comprend une prime à la naissance ou à l’adoption et une allocation de base. Elle comprend aussi un complément de libre choix d’activité (CLCA), un complément de libre choix du mode de garde (CMG). Ce dernier est versé lorsque des parents exerçant une activité professionnelle choisissent de faire garder leur enfant à domicile ou bien, plus souvent, par une assistante maternelle. Ce complément remplace l’AFEAMA et l’AGED. Le CLCA se substitue à l’APE, et s’en différencie car il est attribuable dès le premier enfant.

Pour participer à ce développement, tous azimuts, de l’accueil de la petite enfance, les entreprises ont aussi été appelées à se mobiliser. La possibilité d’ouvrir et de gérer des équipements, avec des subventions, a été ouverte au secteur privé. Les entreprises peuvent bénéficier de crédits d’impôts pour des mesures en faveur de leurs employés chargés de famille. Depuis 2004 elles peuvent recevoir un financement public (jusqu’à 80 % de l’investissement) pour créer leur propre crèche.

En 30 ans l’effort est ainsi allé croissant en faveur de la petite enfance. Les aides spécifiques à la petite enfance sont passées du quart au tiers du montant total des prestations familiales versées par les CAF. Par ailleurs les collectivités territoriales se sont impliquées fortement dans le développement des modes d’accueil, pour atteindre une offre totale de 350 000 places en 2008.

Les toutes récentes années ne se distinguent pas par des innovations radicales, mais par des réflexions fondamentales. Depuis 2007, deux projets, largement convergents, sont ponctuellement évoqués. Il s’agirait d’aller vers un « service public de la petite enfance » ou bien vers un « droit opposable à un mode de garde ». Dans les deux cas, le principe, inspiré des politiques des pays scandinaves, serait de proposer à tous les enfants de moins de trois ans, une solution d’accueil. C’est en tout cas précisément dans les pays du Nord de l’Europe que sont signalées les politiques les plus denses et les mieux notées pour la petite enfance.

Pour la France, aller vers une telle réorganisation (service public et/ou droit opposable), suppose une refonte générale de la gouvernance de la politique familiale française. Ce qui n’est pas à l’ordre du jour.

” Allocations familiales : le choc de complication”, Le Monde, 2 avril 2013.

L’annonce d’une modulation des allocations familiales en fonction des revenus mérite d’être appréciée sur trois registres. Sur le plan des principes, il y a mise en œuvre d’un « universalisme ciblé », comme au Royaume Uni pendant le dernier épisode travailliste. Tout le monde touche quelque chose, mais les « riches » un peu moins. Cette orientation, qui n’est pas totalement inédite dans le cadre de l’horlogerie sophistiquée de l’ensemble des prestations familiales, est assez « troisième voie ». Blairiste après l’heure pourrait-on dire. En tout cas une telle option est plus originale et moins radicale que la mise sous condition de ressources (tout le monde cotise, mais les « riches » ne touchent rien). Sur le plan des nécessaires économies, les chiffres seront fonction des paramètres retenus. Si les 20 % des familles les plus aisées voient le montant de leurs allocations familiales divisé par deux (soit environ 700 euros par an de moins pour une famille avec deux enfants,  1 700 pour une famille de trois enfants), ce pourrait être un milliard d’euros de réduction de dépense pour la branche Famille de la Sécurité sociale. Notons qu’en 1998 la mise sous condition de ressource, sur laquelle le gouvernement était revenu rapidement, ne concernait que les 10 % des familles les plus aisés, rapportant, globalement, la même somme. On a donc, avec la nouvelle idée, une multiplication par deux du volume des supposés riches, pour le même résultat budgétaire. Mais c’est sur un troisième plan, celui de la gestion, que la mesure est la plus problématique. Souvent négligée lors des annonces politiques, la gestion des prestations sociales est de plus en plus complexe.

La modulation des allocations familiales va commander la vérification des ressources de tous les allocataires, qu’ils aient droit à des allocations familiales à taux plein ou à taux réduit. L’exercice sera, certes, facilité par les liens désormais bien établis entre les CAF et l’administration fiscale. Cependant, les nouveaux critères de gestion des allocations familiales, prenant en considération les ressources des allocataires, vont amener des révisions importantes. Tout d’abord, comme pour les allocations logement, les ménages se verront servir un montant d’allocations familiales qui sera fonction de leurs ressources d’années passées et non du présent. Des évènements classiques de la vie familiale, comme l’arrivée ou le départ d’un enfant, une remise en couple pour une famille monoparentale, n’auront plus les mêmes conséquences prévisibles sur les allocations familiales qui seront moins lisible pour les destinataires et plus délicates à suivre par le gestionnaire. Surtout, pour les familles recomposées, pour le cas des enfants en résidence alternée, c’est un puissant choc de complication qui est amené par la modulation. Dans des situations où il est possible d’opérer le partage des allocations familiales (à moitié pour chacun des ménages où des enfants résident alternativement) il va devenir acrobatique de savoir qui a droit à quoi. Va-t-on tenter de prendre en compte la somme des deux revenus des deux ménages, en le divisant par deux ? Certainement pas. Des solutions alambiquées sont possibles. Mais, de toutes les manières, la modulation va avoir pour premier impact une complexification des circuits et des systèmes d’information.

Au total, ce bricolage, qui peut rapporter quelques sous et qui peut se défendre d’un certain point de vue, va opacifier encore davantage le système socio-fiscal que l’on veut, par ailleurs, simplifier. Il est pourtant d’autres possibilités. La fiscalisation des allocations familiales en est une. Rapportant, a priori, autant aux finances publiques que la modulation, elle a été écartée au nom d’un argument très discutable : on ne va pas reprendre d’une main (la fiscalité) ce que l’on donne de l’autre (des prestations). Il existe pourtant des revenus pour lesquels il en va exactement ainsi, le traitement des fonctionnaires en premier lieu. Un autre choix, plus radical, pour les allocations familiales est de les adapter aux familles contemporaines. L’épure du système date de l’après-guerre et distingue la France dans l’Union européenne. Par exemple par l’absence d’allocation familiale au premier enfant.  Une piste de réforme structurelle tient dans la forfaitisation des allocations : le même montant pour tous les enfants, quel que soit leur rang dans une fratrie et quelles que soient les ressources de leurs parents. En refondant les allocations familiales et le quotient familial (qui à eux deux pèsent plus de 26 milliards d’euros) pour l’affecter à ces allocations plus adaptées à la diversité et à la fluidité des formes familiales, il pourrait même être possible de faire des économies. En augmentant les allocations pour tous les enfants, certes en rognant assez fermement sur le quotient familial, une réforme positive est possible. Soulignons que cette voie d’adaptation à la modernité familiale contribuerait au choc souhaité de simplification ! Il est vrai que la critique est aisée et la réduction des dépenses publiques compliquée.

Dans chaque niche fiscale – on le sait – se trouve un chien pour mordre. On va voir, à nouveau, dans les semaines qui viennent que dans toute prestation sociale il y a un dragon qui sommeille. Il vaut probablement mieux lui couper la tête d’un coup sec et positif que de chercher à l’écrêter.

 

Publié : « Simplifions le système des allocations familiales », Le Monde, 2 avril 2013.

Sémantique du sans-abrisme en France

Courte note publié dans “Sans-Abri en Europe”, magazine de la FEANTSA.

Sans-abrisme correspond à une traduction littérale de homelessness. C’est un néologisme encore très peu employé en France, sauf dans certains cercles spécialisés, à l’Université ou dans l’administration.

Plutôt que sans-abrisme, ce sont des expressions comme « exclusion », « grande exclusion », « errance », « question sans-abri » ou « question SDF » qui désignent le phénomène. Pour avoir une idée de la très faible pénétration du vocable sans-abrisme, jusqu’à aujourd’hui, en France, on peut reprendre les résultats d’un exercice consistant à décompter les occurrences de certains termes dans le titre des dépêches AFP.

On peut le faire pour quelques termes traditionnellement associés au sans-abrime, en l’occurrence sans-abri, SDF, clochard. Le graphique est particulièrement clair.

Il donne, d’abord, une image de l’importance que revêt le sujet sur l’agenda médiatique et politique français. Deux pics sont notables. 1993, tout d’abord, quand le thème prend une place de premier rang dans le débat politique, avec deux hivers très froids, une récession économique, une grande mobilisation politique et l’apparition du marché des journaux de rue, qui confère une grande visibilité au problème. Le deuxième pic s’observe en 2007. Ce sommet est la résultante du mouvement des « Enfants de Don Quichotte », consistant  à implanter des tentes dans Paris. Le mouvement et ses répercussions politiques iront juste qu’au vote d’une loi sur le droit au logement « opposable », cette année 2007.

Occurrences des termes « SDF », « clochard », et « sans-abri » dans le titre des dépêches AFP

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Ce graphique – au-delà des variations de l’intensité du sujet – fournit également des informations sur les transformations de la dénomination. On y observe que l’abréviation SDF, que l’on retrouve dès le XIXème siècle sur les registres de police, s’est imposée très récemment. Elle associe les significations de sans-logis (absence de logement), de sans-abri (victime d’une catastrophe), de clochard (marginal n’appelant pas d’intervention publique), de vagabond (qui fait plutôt peur), ou encore de mendiant (qui sollicite dans l’espace public). Alors que jusqu’au début des années 1990, on parlait surtout de clochards et de sans-abri, les trois lettres désignant les sans domicile fixe ont supplanté toutes les autres dénominations à partir de 1993. Relevons que le terme clochard a quasi intégralement disparu, tandis que celui de sans-abri se maintient. À mesure que le sujet des SDF retombe, en pression, sur l’agenda politique, le terme de sans-abri reprend de l’importance relative. Il faut avoir à l’esprit qu’il désigne aussi, très souvent, des victimes d’incendies, de tremblements de terre ou d’inondation.

Depuis 1993, chaque année le terme SDF est apparu, en moyenne dans plus de 200 titres de dépêches. Le terme « sans-abrisme » n’apparaît qu’une seule fois, en 2009. Il n’apparaît qu’une unique fois dans le titre d’une dépêche, mais c’est, en réalité, la seule dépêche qui ait jamais employé le terme dans tout son texte (et pas seulement dans son titre). C’est donc peu dire que le mot même de « sans-abrisme » ne s’est pas implanté dans le vocabulaire courant.

On rétorquera qu’il ne s’agit là que d’une source particulière d’information. C’est exact, mais cette source singulière rend compte de tout ce qui se dit dans les autres supports médiatiques et dans l’ensemble des discours du prisme politique. L’absence totale (à une dépêche près) du terme est bien le signe de son utilisation encore extrêmement marginale.

Reste que chez les opérateurs et les spécialistes, il s’est progressivement implanté, en lien notamment avec  les efforts de coordination européenne et les échanges de bonnes pratiques. Pour autant, il demeure bien confiné à un cercle d’experts et n’a pas encore eu de reconnaissance généralisé par un emploi très large. Au contraire même, le terme peut même parfois susciter de l’interrogation et du dédain (entre autres, pour son caractère trop « administratif »). C’était le cas du sigle « SDF », assez contesté au début des années 1990, comme masquant des réalités humaines douloureuses dans du jargon bureaucratique.

Au final, si sans-abrisme, en France, n’est apparu que dans certains cercles, il permet tout de même, assurément, des échanges mieux compris et plus fournis avec l’ensemble des autres pays dans le monde, qui emploient le mot anglais homelessness ou ses des traductions qui doivent ressembler, souvent, à sans-abrisme, avec son étrangeté lexicale mais également une certaine clarté de ce qu’il veut bien dire.

Quelques chiffres sur l’homoparentalité

Les associations de défense des droits des homosexuels et des familles homoparentales ont longtemps soutenu que le nombre d’enfants concernés par l’homoparentalité était très élevé. Elles continuent, d’ailleurs, à afficher des chiffres très importants, ce qui est, somme toute, de bonne guerre. Toute cause a besoin d’effectifs conséquents pour mobiliser à la fois l’opinion et le législateur.

Ainsi les associations de promotion des droits des homosexuels – l’APGL au premier rang -, évaluent, depuis le début des années 2000, à 300 000 le nombre de familles concernées. Concrètement, cela signifie, ou au moins cela doit être étendu comme ceci : au moins 300 000 enfants (comprendre mineurs de moins de 18 ans) vivent avec deux adultes homosexuels.

Ce chiffre est, bien entendu, très très élevé et peut être aisément contesté. Interrogés, les responsables d’associations de familles homoparentales répliquent parfois qu’il ne s’agit pas d’enfants vivant actuellement avec des parents homosexuels, mais de descendants (donc de tous les âges possibles) d’un ou de parents homosexuels. Cette affirmation, en l’état des enquêtes, est invérifiable.

Une étude de l’INED, publiée à la fin des années 2000, estimait le nombre d’enfants actuellement élevés par des couples du même sexe dans une fourchette de 25 000 à 40 000.

Ces deux estimations, très éloignées, étaient citées dans l’étude d’impact du projet de loi instituant le mariage “pour tous”.

Début 2013, l’INSEE a publié de nouveaux chiffres, à partir de la grande enquête « Famille et logements ».

 Nombre et répartition des personnes se déclarant en couple de même sexe

Total des personnes en couple

Hommes

Femmes

Effectifs

Part (%)

Effectifs

Part (%)

Effectifs

Part (%)

Pacsé

85 500

43

54 000

47

31 500

38

Union libre

112 500

57

62 000

53

50 500

62

Total

198 000

100

116 000

100

82 000

100

Cohabitant

167 000

84

97 500

84

69 500

85

Non cohabitant

31 000

16

18 500

16

12 500

15

Total

198 000

100

116 000

100

82 000

100

Champ : France métropolitaine, population des ménages ordinaires, personnes de 18 ans ou plus déclarant être actuellement en couple avec un conjoint de même sexe.
Source : Insee, enquête Famille et logements 2011.

 

Que tirer de ces informations précises ?

1. 200 000 personnes se déclarent homosexuelles vivant en couple (mais environ 35 000 d’entre elles, vivant en couple, ne vivent pas sous le même toit). En tout état de compte, ceci nous donne 100 000 couples homosexuels.

2. Dans 10 % des cas, il y a au moins un enfant dans ce couple. Ce qui nous fait un minimum de 10 000, et un très très grand maximum – avec cette étude – à 25 000 enfants (avec une hypothèse maximaliste à 2,5 enfants par couple) vivant, au moins une partie du temps, dans un couple homosexuel.

3. Sur le plan de la structure de la famille homoparentale : dans 80 % des cas de couples vivant avec des enfants, il s’agit de couples de femmes. Et dans 90 % de ces cas, l’enfant préexistait à la constitution du couple homoparental (lesbien). Dans les autres cas, l’enfant est vraiment l’aboutissement d’un projet – compliqué – de couple, avec adoption ou PMA. Donc, au total, l’homoparentalité est, très majoritairement, un phénomène féminin, issu principalement de décompositions de couples hétérosexuels.

En termes généraux, il faut donc souligner que, de facto, la quasi intégralité des familles homoparentales sont des familles recomposées. On pourrait aussi dire, avant la mise en œuvre du mariage pour tous et de ses conséquences sur l’adoption, que l’intégralité des familles homoparentales sont des familles recomposées. Puisque, précisément, il s’agit de familles dans lesquelles un enfant vit avec deux adultes, dont l’un n’est pas un de ses parents.

Enfin, il demeure un petit problème statistique, plus compliqué encore, celui du nombre d’enfants vivant avec un parent homosexuel. Il peut s’agir d’enfants vivant avec leurs deux parents, de sexe différent, mais l’un d’entre eux (et pourquoi pas les deux) avec des orientations sexuelles principalement homosexuelles. Moins exotique, existe aussi la situation d’enfants vivant, au moins une partie du temps, avec un parent homosexuel isolé. Si la situation n’est pas si marginale que cela, il reste à savoir la dénommer. Peut-on valablement parler de “famille homomonoparentale” ? Probablement pas.

 

Sources :
. Les chiffres publiés en 2013 par l’INSEE : www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1435#inter8.
. Une estimation plus ancienne (Enquête sur l’Histoire Familiale) du nombre de couples homosexuels : www.ined.fr/lili_efl2010/cahier_ined_156/ci_156_partie_9.32.pdf  (les experts comptent alors un tout petit peu plus de 20 000 couples homosexuels, mais soulignent les limites de leur démarche)
. Une présentation animée récente (2013) par l’INED : www.ined.fr/fr/tout_savoir_population/fiches_actualite/difficile_mesure_homoparentalite/

« Allocations familiales : cibler ou taxer ? », Actualités sociales hebdomadaires, n° 2798, 22 février 2013.

Le serpent de mer de la révision, pour cause d’économie, des allocations familiales refait surface. Cette fois-ci, il s’agirait de les taxer (c’est-à-dire de les compter dans le revenu imposable des ménages) ou de les plafonner (c’est-à-dire de les mettre sous condition de ressources). À ce jour, rien n’est encore décidé. Expertises, tribunes (dont celle-ci) et controverses s’accumulent. Tentons un peu de clarté pour un sujet qui représente environ 13 milliards d’euros.

Les allocations familiales – cette prestation servie à toutes les familles à partir de deux enfants – sont universelles (pas de condition de revenu), forfaitaires (un même montant pour tous) et progressives en fonction du nombre d’enfants (rien pour un enfant, 130 € pour deux, 290 € pour trois). Déjà, en 1998, elles avaient été placées dix mois sous conditions de ressource. La mesure avait alors suscité de nombreuses controverses avant que le gouvernement ne revienne sur sa décision, tout en réduisant les avantages du mécanisme fiscal de quotient familial. Depuis des années qu’il fait débat le thème est assez bien balisé.

Le rentrage sur les plus modestes pose le problème de la définition des seuils à partir desquels les ménages peuvent être dits dans la modestie. Les plafonds des conditions de ressources, pour d’autres prestations que les allocations familiales, sont aujourd’hui variés. La très grande majorité des familles peuvent bénéficier de la prime de naissance contenue dans la Prestation d’accueil du jeune enfant. En revanche les plafonds de ressource de minima sociaux comme le RSA socle ou de dispositifs comme la CMU en limitent l’attribution à une partie restreinte, mais très défavorisée, de la population. D’un côté le ciblage peut concerner 90 % de la population, de l’autre 10 %. Dit, de manière inversée, d’un côté 10 % des personnes sont exclues du dispositif ; de l’autre plus de 90 %…

Une telle option présente trois possibles effets pervers. Effet de seuil : des personnes en situation similaire ne peuvent bénéficier de la même prestation car les ressources dont elles disposent, pour certaines tout juste au-dessus du seuil, pour les autres tout juste en dessous, les séparent. Le ciblage est, ici, couperet. Effet de marquage : le ciblage, car il désigne des cibles, passe par une caractérisation négative de ses cibles. Ainsi marquées, des populations sont renvoyées à leurs particularités. Effet de délitement : limitant l’accès de certaines prestations à des catégories particulières, le ciblage peut produire une fracture entre les bénéficiaires des prestations et ceux qui les financent. Ce dernier effet pervers est le plus préoccupant. La systématisation du ciblage pourrait aboutir à l’effondrement d’une protection sociale seulement restreinte à une population marginale.

À défaut (ou en complément) de leur plafonnement, on peut rendre les allocations familiales imposables. C’est ce que le Premier président de la Cour des Comptes a évoqué. Une telle proposition a l’avantage de ne pas remettre en question l’universalité de la prestation, tout en rapportant 800 millions d’Euros à l’Etat. Cependant, politiquement, elle est dérangeante car elle peut affecter une part très importante de la population.

Si vraiment on veut jouer avec le critère des ressources, on peut, plutôt qu’une mise sous condition de ressource, établir une modulation des allocations familiales. Toutes les familles toucheraient donc quelque chose, les plus défavorisés un peu plus. Les Anglais – qui viennent, eux, de mettre leurs allocations familiales sous un sévère plafond de ressource – baptisaient cette orientation « l’universalisme ciblé ». Mais deux problèmes surviennent. Celui, classique, des seuils de modulation. Et celui, plus embarrassant, de la prise en compte des ressources dans les cas de résidence alternée des enfants. En effet, depuis quelques années, il est possible de partager les allocations familiales entre les deux foyers d’alternance. En cas de modulation des prestations en fonction des ressources, quelles ressources prendre en compte ? Rien n’est simple…

Pour finir, toujours dans la complexité typique de la politique familiale, il faut souligner que bien d’autres sources d’économies sont possibles. Sur un plan financièrement anecdotique, on pourrait tout bonnement supprimer les trucs comme les Points Informations Familles (PIF – gadgets ?) qui ne servent pas à grand chose. Sur un financièrement astronomique, on pourrait drastiquement réviser les avantages familiaux de retraite (bonification et majoration) qui représentent des sommes importantes (autour de 10 milliards d’euros) et qui ne concernent pas les enfants. En un mot, plutôt que de se faire peur avec taxation et plafonnement, on peut attendre une mise à plat et une direction claires de cette horlogerie sophistiquée des dépenses familiales. Et on pourrait même envisager, par redéploiements, une réforme plus substantielle : forfaitiser le montant des allocations, pour tous les enfants. Ce qui permettrait, entre autres, de créer une allocation familiale au premier enfant.

Veltz et Davezies : deux ouvrages formidablement intéressants sur la France et son avenir…

Deux ouvrages récents captivants. Le premier de Laurent Davezies rencontre le succès. Il porte sur la future crise territoriale liée à l’endettement public (et donc à la sortie des dépenses publiques des territoires…). Le second de Pierre Veltz montre que la France est plus unitaire qu’on ne le pense…. Mais aucune contradiction. Tous les deux parlent d’un avenir français qui est celui des métropoles. Pour le reste du territoire, ce sera moins glorieux…

CHOC TERRITORIAL EN VUE
Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, « La République des idées », 2012, 111 pages, 11,8 €.

La crise est, en réalité, à venir. Après les secousses des crises environnementales, financières et du coût de l’énergie, bien amorties par le modèle social français, les  contrecoups de l’endettement public frapperont très différemment les territoires d’une France encore bercée de ses deux idées d’unité et d’égalité.

Le Davezies nouveau, sur la « nouvelle fracture territoriale », a toutes les vertus de l’auteur. Professeur au CNAM, il sait compter, écrire et provoquer. Compter, car il aime fouiller dans les bases de données afin de décrire les réalités d’une France qui, rétive à la mondialisation, s’est adaptée par densification de son système de redistribution sociale. Écrire, car il aime la synthèse et  les formules frappantes (il en va ainsi de sa réserve sur l’INSEE qui aurait « le calcul entre deux chaises »). Provoquer, car sa thèse générale ne manque pas de faire sursauter. Ces qualités provoquent le succès d’un ouvrage qui soutient que, loin d’être tirée d’affaire, la France va bientôt vivre la déflagration des conséquences du surendettement public.

Le modèle social français constitue un amortisseur de chocs économiques. Mais les mécanismes stabilisateurs, contenus dans l’importance de l’emploi public (majoritairement féminin) et de la protection sociale, sont d’une efficacité coûteuse et, potentiellement, ruineuse. Selon les mots de l’auteur, les remèdes consistant à injecter du salaire public et de la prestation sociale deviennent des poisons. Et tout ceci s’opère très différemment selon les lieux. Aussi il importe de « déglobaliser » la crise afin de placer la focale à l’échelle territoriale. Les territoires de l’hexagone sont, pour le moins, bariolés en ce qui concerne la source des revenus de leurs habitants. Les salaires publics représentent, selon les zones d’emploi, de 8 à 25 % du revenu disponible des ménages, les prestations sociales de 9 à 27 %, et les pensions de 13 à 42 %.L’Ile-de-France, moins dépendante des dépense publiques, souffrirait moins de leur baisse que d’une augmentation des prélèvements. Il en va totalement à l’inverse pour le Limousin.

Davezies distingue, didactiquement, quatre France. Une France marchande dynamique (40 % de la population), qui rassemble les métropoles désindustrialisées. Une France non marchande dynamique (40 % de la population) qui est une France « keynésienne » des retraités et des salaires publics. Ces territoires s’en sortiront. Il n’en ira pas forcément de même pour les deux autres France (chacune représentant 10 % de la population), l’une marchande mais non dynamique, qui a déjà un genou à terre, l’autre ni dynamique ni marchande, vivant essentiellement des revenus sociaux.

Favorable à l’établissement d’une comptabilité territoriale, l’expert propose, en quelque sorte, entre micro et macro une sorte de géoéconomie locale, une territo-économie. C’est, en tout cas, tout un modèle de développement, d’aménagement et de croissance, celui d’une consommation alimentée par l’endettement, qui est remis en question. Ces pages vives, peut-être par endroit trop bardées de chiffres, rappellent fondamentalement que les politiques sociales (implicitement territoriales) et les politiques territoriales (explicitement sociales) sont intimement liées. Elles rappellent également, comme une adresse à la Ministre Duflot en charge du portefeuille, que la notion d’égalité des territoires ne va pas de soi. Et de moins en moins…

MÉTROPOLE FRANCE
Pierre Veltz, Paris, France, Monde. Repenser l’économie par le territoire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’aube, 2012, 238 pages, 15 €.

L’exceptionnelle configuration urbaine française fait du pays, dans sa globalité, une métropole. Avec de puissantes atouts, mais aussi bien des défis à relever.

Pierre Veltz, ancien directeur de l’école des Ponts, aujourd’hui à la tête du projet d’aménagement du plateau de Saclay, propose un retour aux réalités et aux actualités géographiques. Dans son analyse de l’encastrement contemporain des dynamiques économiques et territoriales, il revient sur l’histoire longue et tumultueuse des relations entre Paris et les régions. Surtout, à rebours des déclinistes patentés, il insiste sur la « force agissante » de l’édifice territorial à la française. Son observation tient dans un constat qu’il partage avec Michel Serres : la France est une métropole, dont le TGV est le RER. « Métropole distribuée », elle est constituée de territoires de front office ou de back office, de plaisir ou de relégation, de résidence ou de production.

Cette configuration urbaine, avec ses lourdeurs (une gouvernance d’un autre âge) et ses difficultés (permanence voire amplification des clivages et des inégalités), est unique au monde. Alors que l’aménagement du territoire s’est appuyé sur une certaine urbaphobie, un anti-parisiannisme et, partant, un souci de lutter contre le désert français, il faut aujourd’hui soutenir la puissance parisienne et le « concert français ». Toutes les agglomérations, plus en symbiose qu’en concurrence, partagent un destin lié. Dans un monde hyperindustriel et postnational, avec des nouvelle combinaison des idées, des biens matériels et des services, les contraintes géographiques ne sont plus les mêmes. Si les distances n’ont pas été abolies, le monde, vivant comme un archipel de grandes métropoles, est désormais accessible de partout. C’est un monde où la mobilité des personnes est plus importante que celle des capitaux. Un monde où le capital va désormais au travail (qualifié) quand l’inverse a très longtemps prévalu. La France, dans ce contexte, a son unité, autorisée notamment par le système national de redistribution qui permet la coexistence des territoires, leur convergence sur le plan macro, même si les divisions sur des échelles plus restreintes peuvent s’étendre.

Le Grand Paris (première ville universitaire mondiale) a des atouts : sa diversité de filières, sa qualité de vie, sa symbiose avec le reste du pays. Mais tout n’est pas rose. Paris court le risque d’une « patrimonialisation luxueuse » (à la Venise). L’équation francilienne d’allègement des coûts de logement et d’amélioration des conditions de transport est difficile à résoudre. La trop grande fragmentation communale au pays des 36 000 communes et des 300 fromages pèse. D’où la nécessité de simplifier, de renforcer politiquement l’intercommunalité, et, concrètement, de faire absorber Montreuil ou Boulogne par Paris. Bien des propositions et observations pour une analyse particulièrement roborative. À relire dans quelques années, pour voir ce qui se sera passé.

“NIMBY, WIMBY, BIMBY, SIMBY…”, Actualités Sociales Hebdomadaires, n° 2780, 26 octobre 2012

 

L’expression « vivre ensemble », qui est progressivement devenue un substantif, le « vivre-ensemble », relève pour beaucoup du bla-bla bobo. Tout devrait être fait pour améliorer, soutenir, permettre ce vivre-ensemble. Mais qu’en pensent les principaux concernés, c’est-à-dire nous tous ? Il est loin d’être assuré que tout le monde soit d’accord pour vivre ensemble. Au contraire – et tous les mécanismes de ségrégation l’illustrent –, il semble que l’on souhaite bien davantage vivre entre nous, voire chez soi. Le « entre nous » et le « chez soi » ne se sont pourtant pas transformés en expressions d’usage courant. Pour les aborder de façon imagée, on peut passer par la reprise de sigles tirés d’analyses anglo-saxonnes, de plus en plus présents dans les débats français. Ces acronymes autorisent une peinture de bien des réalités et résistances que les politiques publiques voudraient contrecarrer, mais que les habitants – nous tous – font vivre.

NIMBY (Not In My Backyard, « pas dans mon jardin ») est probablement l’un des acronymes les plus connus. Issu de l’urbanisme, il est devenu objet de théorisations savantes et argument de polémiques militantes. Il désigne, en la dépréciant ironiquement, l’opposition locale à l’implantation ou au développement d’infrastructures, d’équipements et de logements, en raison des nuisances probables ou supposées que ces installations pourraient engendrer. On peut souhaiter que tout le monde soit bien logé, mais on refuse les hébergements et logements sociaux à côté de chez soi. On apprécie d’avoir de l’électricité, mais on ne veut pas de centrale près de chez soi. En gros : d’accord sur les principes, mais pas de ça chez moi !

Le sigle NIMBY est apparu durant les années 1980 dans le vocabulaire d’urbanistes anglo-saxons. Depuis, d’autres acronymes imagés sont venus s’ajouter pour décrire ou décrier les oppositions locales à l’implantation d’équipements. De nouveaux raccourcis comme LULU (Locally Un­wanted Land Use, « usage indésirable d’un terrain local ») ou NOOS (Not On Our Street, « pas dans notre rue ») viennent remplacer ou compléter NIMBY. A une échelle plus large, on parle volontiers de NOPE (Not On Planet Earth, « pas sur la planète terre »), notamment en ce qui concerne les débats sur le nucléaire. Des termes plus politiques sont apparus comme NIMEY (Not In My Electoral Yard, « pas dans ma circonscription ») ou NIMTOO (Not In My Term Of Office, « pas durant mon mandat »). Ces termes, érigés en slogans, s’ajoutent à une collection d’expressions très critiques. Certaines désignent des catégories particulières d’habitants, comme les CAVE (Citizens Against Virtually Everything, « citoyens contre tout »). D’autres soulignent les périls associés aux conséquences collectives de ces replis particuliers. C’est, par exemple, le conseil BANANA (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anyone, « ne rien construire quelque part à proximité de quiconque ») qui invite à ne plus rien entreprendre. Et qui résonne assurément avec une maxime bien française : un maire qui bâtit est un maire battu !

De manière volontariste, quasiment utopique, certains ont plaidé, à rebours du NIMBY, pour le WIMBY (Welcome In My Backyard, « bienvenue dans mon jardin »), mais sans contenu précis ni grande postérité. Il n’en va pas de même, en France, pour le dernier né, le BIMBY (Build In My Backyard, « construisez dans mon jardin »). Sous ce terme, une idée forte : il est possible, à la fois, de densifier les villes et de proposer de nouveaux logements à prix accessibles tout en s’adaptant aux évolutions sociodé­mographiques d’une ville, le tout sans provoquer l’opposition des riverains. Le projet a une direction précise : la densification par la maison individuelle. Et cette « nouvelle filière de production de la ville » est en phase d’expertise par de très sérieux chercheurs, réunis dans le cadre d’un projet soutenu par l’Agence nationale de la recherche.

La boucle n’est pourtant pas bouclée. On peut proposer une nouvelle abréviation dont le point d’entrée, en l’occurrence, n’est plus la problématique de la densité, mais celle de la mobilité. Le SIMBY (Stay In My Backyard, « rester dans mon jardin ») pourrait illustrer, à l’avenir, ce qui relèvera d’un mélange d’aspirations (limiter les déplacements professionnels désagréables) et de contraintes (les coûts élevés des déplacements): je veux rester autour de chez moi… Embarrassés traditionnellement par le NIMBY, les responsables politiques et opérateurs des villes pourraient, à l’avenir, devenir les promoteurs et organisateurs du SIMBY, pour des mobilités douces et réduites. Alors que le NIMBY incarne l’égoïsme local, le SIMBY pourrait venir désigner une mobilité raisonnable et des modalités de vivre-ensemble acceptables. A imaginer…

Âge à partir duquel un enfant peut avoir son portable

L’Observatoire Cetelem a produit une étude « à la rencontre des classes moyennes dans douze pays » : Allemagne, Espagne, France, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie et Slovaquie[1].

Sans entrer dans les milles débats sur les contours et définitions de ces catégories centrales, ce sondage auprès des classes moyennes part d’une définition simple : il s’agit des 60 % de la population se situant entre les 20 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches en jargon statistique, les trois quintiles centraux de revenus).

Parmi les quelques informations intéressantes sur ce que ressentent et vivent les classes moyennes, en voici une qui intéressera les parents. Il s’agit de l’âge à partir duquel – selon les personnes comptées comme appartenant aux classes moyennes – un enfant doit posséder un téléphone portable. En moyenne, pour les classes moyennes européennes, cet âge serait de 12 ans et demi. Les Français de leur côté, considèrent que le bon âge, se situe à 14 ans et demi. Les Russes, à 10 ans.

Et vous, vous êtes Russe ou Français ? Même si vous n’êtes pas forcément de la classe moyenne…

À votre avis, à quel âge un enfant devrait-il posséder son propre téléphone portable ?

 

Source : Observatoire Cetelem, 2012

 


Les Français : les plus moyens ?

En France, les résultats de sondages d’opinion indiquent régulièrement que deux personnes sur trois s’identifient spontanément aux classes moyennes. Le résultat, toujours actuel, confirme ce que Valéry Giscard d’Estaing résumait dans le titre d’un de ses ouvrages : « deux Français sur trois ».

Cette forte identification française aux classes moyennes est certainement à relativiser dans la mesure où le sentiment d’appartenance à des classes sociales diminue. La moitié seulement des personnes vivant en France estiment appartenir à une classe sociale, la propension étant plus élevée d’ailleurs pour les cadres que chez les ouvriers.[1]

Ce niveau élevé d’adhésion spontanée à l’idée d’appartenir aux classes moyennes s’explique en partie par la sous-déclaration des individus appartenant aux catégories les moins bien loties, qui préfèrent l’image valorisante des classes moyennes à celle plus ternie attachée aux classes défavorisées. Les déclarations des groupes les plus favorisés sont victimes d’un biais symétrique. Peu conscients de leur aisance, ceux-ci se considèrent en grande majorité comme faisant partie des classes moyennes.

Des enquêtes récentes menées par le CREDOC ou pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), il ressort bien que les deux tiers des Français veulent bien se classer dans cette catégorie. Ceci ne leur confère pas une identité de classe, mais confirme que les Français se représentent, pour les deux tiers d’entre eux, au centre de la distribution des revenus et des positions sociales.

Deux tiers de Français estiment appartenir aux classes moyennes

Enquête Ifop, Fondation pour l’Innovation politique (2010)

Les défavorisés

Les catégories modestes

Les classes moyennes

Les classes moyennes supérieures

Les favorisés ou les aisés

4 %

29 %

52 %

13 %

2 %

 

 

Total « classes moyennes » : 65 %

Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français » CREDOC, 2008

Défavorisés

Classes populaires

Classe moyenne inférieure

Classe moyenne supérieure

Aisés, privilégiés

6 %

21 %

44 %

22 %

5 %

 

 

Total « classes moyennes » : 66 %

Sources : Fondapol, CREDOC

 

Cette importance subjective des classes moyennes, en France, se retrouve en comparaison internationale, européenne au moins. Dans une récente enquête Eurobaromètre il apparaît que 60 % (soit presque deux tiers) des Français estiment que leur ménage se trouve dans une situation « ni riche, ni pauvre ». En moyenne dans l’Union, c’est le cas de 49 % des ménages. La France, sur ce plan, est au premier rang européen.

Il y a là illustration de l’importance particulière que revêtent, en France, le sujet des classes moyennes, celui des constats qui peuvent être faits de leurs progrès ou de leurs difficultés, et celui des politiques qui les distinguent, les oublient ou les défavorisent (relativement).

Relevons que les Hollandais sont les seuls en Europe à s’estimer, majoritairement (62 % !), riches. À l’inverse, la majorité des Bulgares (61 % !) se disent pauvres. Dans une certaine mesure, et dans ces deux cas, on a – un peu plus de vraisemblance que dans les esprits français.

Part de la population estimant que son ménage est dans une situation… (en %)

Source : Eurobaromètre, décembre 2010



[1]. Voir France Guérin-Pace, Olivia Samuel, Isabelle Ville (dir.), En quête d’appartenances. L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités, Paris, INED, 2009.

Les Français, le libéralisme et le pessimisme. Toujours aussi forts

Une enquête Eurobaromètre, réalisée fin décembre 2011 dans les 27 Etats-membres, livre de précieuses informations sur les perceptions qu’ont les Européens de leur situation actuelle, et sur ce qu’ils imaginent à l’égard de l’Union européenne pour l’avenir.

Du pessimisme
La question est assez classique. Et les résultats aussi. On demande aux personnes interrogées si elles estiment que la vie de leurs enfants sera plus difficile que la leur. Plus de six Européens sur dix sont d’accord avec une telle affirmation. Ce pessimisme a déjà été rapporté par d’autres enquêtes[1].

La Finlande est le seul pays où les habitants sont plus nombreux à croire que la vie des enfants demain sera plus aisée (40 % des réponses) plutôt que plus difficile (33%). Un quart des Finlandais estiment que ce sera la même chose. Si on range les pays selon le degré de pessimisme, en prenant en considération la réponse selon laquelle la qualité de vie des enfants sera dégradée quant ils auront atteint l’âge adulte, alors la Grèce arrive en tête du pessimisme (85 % des Grecs pensent de la sorte). La France est tout juste derrière avec plus de huit personnes sur dix qui pensent de la sorte. L’information n’est pas neuve, mais confirme bien le haut niveau de pessimisme français à l’égard de l’avenir. À des niveaux si élevés traditionnellement, il n’y pas eu de progression significative depuis la précédente enquête posant cette question, en 2009. En revanche, dans certains pays, particulièrement frappés par la crise, la progression est nette : 17 points en plus au Portugal, 10 points en plus en Espagne, 8 points en plus en Grèce.

La vie des enfants demain sera plus difficile que pour notre génération (en %)

Interrogés sur la vie en 2030, plus de la moitié des ressortissants européens pensent qu’elle sera plus difficile. Moins de 20 % pensent qu’elle sera plus facile. Les autres répondent qu’elle ne sera ni meilleure ni pire. Ce pessimisme a fortement progressé depuis 2009. Dans trois pays seulement, comptant parmi les moins aisés de l’Union, la Bulgarie, la Lettonie et la Lituanie, les optimistes sont plus nombreux que les pessimistes. Dans tous les autres le pessimisme est de mise. Dans le peloton de tête des plus inquiets, on trouve les Grecs et les Chypriotes mais aussi les Luxembourgeois, les Belges et les Français. Les deux-tiers de ces derniers pensent qu’en 2030 la vie sera plus difficile pour les citoyens européens.

À l’horizon 2030 la vie des citoyens européens sera plus difficile (en %)

Les Français et le libéralisme…
Une information frappante est pour la fin de l’enquête. Comme pour le pessimisme, il s’agit plus de confirmation que de réelle nouveauté. Mais l’ampleur du phénomène est très claire. Alors que les deux-tiers des Européens considèrent que la concurrence libre est la meilleure garantie pour la prospérité économique, la France est dernière du classement. Certes les Français sont majoritaires (55 %) à se dire d’accord, mais, dans le concert européen, ils sont les derniers. Très loin derrières les habitants des pays Baltes, les Allemands ou les Danois.

« La libre concurrence est la meilleure garantie pour la prospérité économique » (accord, en %).

C’est sur ce point, capital, des réserves à l’égard du libéralisme économique, que les Français détonnent totalement. Même s’ils ne sont pas mauvais  en matière de pessimisme.

Source : Futur of Europe, Eurobaromètre spécial, n° 379, 2012.

 



[1]. Voir, par exemple, l’Eurobaromètre spécial n° 72, en 2009, qui rapporte des résultats globalement similaires.