« Il faut incarner la ville durable », Actualités sociales hebdomadaires, N° 2830, 25 octobre 2013.

Ville durable : des bâtiments ou des bonshommes ?

Julien Damon

 

Ville durable, ville durable, ville durable. L’expression, assez neuve, irrigue les discours politiques, les publications scientifiques, les querelles d’experts, et nombre de dispositions issues de la démarche Grenelle de l’environnement. Mais de quoi parle-t-on ? Une méthode originale consiste à se demander, dans une visée didactique d’étonnement, ce que serait le contraire d’une ville durable. Sémantiquement, en raisonnant en quelque sorte par l’absurde, on trouverait quelque chose comme « campagne éphémère ». Cette autre expression, inusitée, ne veut pas dire grand-chose. Tout le monde en conviendra. Symétriquement, son opposé, (notre « ville durable » donc) ne rayonne pas de clarté. Chacun y place ce qu’il y veut, en termes d’ambitions, de réalisations, de législations. Et d’autres notions viennent en renfort pour préciser ce que serait le contenu de la ville durable : écologie urbaine, mixité sociale, urbanisme responsable, démarche citoyenne.

 

On se gargarise souvent ainsi de mots, ceux-ci venant maintenant alimenter une copieuse littérature. Le sujet, s’il est empreint de flou, n’en reste pas moins aussi sérieux qu’important. Des techniques sont à l’œuvre : développement de l’énergie photovoltaïque, circuits courts de logistique, analyses économiques sur le cycle de vie. Des moyens sont dégagés. Des normes sont établies. La grande question tient dans une alternative au fond assez simple. La ville durable relève-t-elle d’abord d’un bâti durable (immeubles, réseaux, voiries, mobilier urbain, etc.) ou d’habitants durables (au sens d’habitants aux comportements écologiquement et socialement vertueux) ? Cette double option peut s’incarner à travers l’un des sigles phare du sujet : le BBC. Connu pour désigner les bâtiments basse consommation, le BBC peut valablement désigner les bonshommes basse consommation. L’un et l’autre vont certainement bien ensemble.

 

Il faut néanmoins savoir ce qui prime : le contenu ou le contenant, les gens ou les équipements. Or ce sont certainement les comportements et les usages qui prévalent. Le plus beau BBC (bâtiment) du monde ne pourra donner que ce qu’il a. Il ne sera vraiment basse consommation que si ses occupants sont eux-mêmes basse consommation. Si ces derniers roulent en 4×4, prennent des douches interminables et se chauffent fenêtres ouvertes les caractéristiques énergétiquement économes de leur habitat n’auront que peu de conséquences positives. Pour les problématiques – appelées certainement à devenir plus préoccupantes encore – de précarité énergétique, une dimension du sujet est bien de savoir si ce sont les bâtiments (les désormais célèbres « passoires thermiques ») ou les comportements (l’usage parcimonieux des équipements domestiques) qu’il faut viser (pour les réhabiliter ou les réorienter). Bien entendu la réponse évidente semble immédiatement fuser : les deux mon capitaine ! Pour autant, il faut toujours des priorités.

 

Ces digressions, nourries d’un rien d’ironie, n’ont pas d’autre objet que de souligner combien, certes, bêton et bâti comptent. Mais l’essentiel procède des représentations et comportements des habitants. Il est une troisième acception possible du sigle BBC, permettant de dépasser l’opposition habitat/habitants. Par incitations, technologiques notamment, il est possible que les habitations et les bureaux nous poussent à être plus sobres et plus efficients sur le plan écologique. Des compteurs (d’eau ou d’électricité) dits « intelligents » vont ainsi par exemple se développer. Nous avons dès lors la perspective de voir s’étendre des bâtiments bons comportements (toujours BBC donc). Au-delà des mots, la logique est de concilier les trois canaux possibles pour une ville durable : les conceptions, les utilisations et les incitations. Dans le cas de la précarité énergétique, et plus largement pour tout ce qui relève de la pauvreté, il faut bien noter que l’environnement immédiat des habitants concernés ne permet probablement pas d’agir d’abord, par incitations, sur les comportements. C’est au niveau des bâtiments et équipements, qui doivent atteindre des standards minimaux, qu’il faut d’abord intervenir. L’idée générale est qu’il ne faudrait pas parler de ville durable que pour les classes moyennes et aisées…

 

Relevons que durable n’est pas le seul qualificatif à être à la mode pour la ville. On parle de plus en plus de ville intelligente. Comme pour la durabilité, la question de l’intelligence ne doit pas être désincarnée. Car – tout le monde en conviendra – ce n’est pas la métropole qui est elle-même intelligente (à l’inverse, que serait une ville sotte ?), ce sont, d’abord, ses habitants, ses élus, son administration, ses entreprises, ses fonctionnaires. Une métropole intelligente c’est une ville qui permet une meilleure maîtrise des informations et circulations urbaines, à l’ère de la révolution numérique. Et elle ne doit pas se limiter à ses quartiers favorisés. C’est aussi, certainement, une ville qui optimise ses systèmes d’information de manière, notamment, à ce que ses services sociaux soient les plus efficients, en faveur des habitants.

 

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