Il faut sauver le soldat RSA
Entretien paru le 1er septembre 2014.
1) Après avoir été augmenté de 1,3% en janvier de cette année, le RSA “socle” sera à nouveau réévalué de +2% à partir du lundi 1er septembre. Avec un taux de non-recours d’un tiers pour le “socle”, et de deux tiers pour celui qui concerne le complément de revenu d’activités, le RSA jouit d’un bilan mitigé. Cette augmentation saura-t-elle palier à ses déficiences ?
Bien sûr que non. Cette revalorisation de l’un des deux mécanismes du RSA est un coup de pouce conjoncturel qui n’affecte en rien les caractéristiques structurelles de cette prestation. Celle-ci est, il faut le rappeler, double. D’un côté, ce RSA « socle » qui est, globalement, l’ancien RMI, visant, principalement, à fournir un minimum de revenu à ceux qui n’ont strictement rien. De l’autre, un RSA « activité » qui est un complément de revenu pour des personnes à faible revenu. L’ensemble est d’une redoutable complexité, cette complexité expliquant pour partie les faibles taux de recours (on pourrait dire les faibles taux de « succès ») du RSA. Je pense toutefois que l’étude mesurant ces taux de non-recours n’est pas parfaite, et que les résultats sont discutables. S’il est certain qu’une part importante des bénéficiaires potentiels du RSA, surtout du RSA « activité », ne le demandent même pas, je doute qu’il s’agisse des deux tiers.
2) Quel impact ce dispositif a-t-il eu sur la réduction de la pauvreté depuis 2007 ?
Il a contribué, utilement certainement, à son atténuation. Le RSA a aujourd’hui mauvaise presse. Parmi ceux qui ont contribué à son invention, Laurent Wauquiez au premier rang, certains aujourd’hui sonnent l’hallali. Ce qui était, entre 2005 et 2008, présenté comme une révolution sociale positive est maintenant paré de tous les défauts. Il faut savoir raison garder. Et je pense même qu’il faut sauver le soldat RSA. Cette innovation a été conçue et envoyée au combat contre la pauvreté, dans une période – on semble l’oublier – où chômage et pauvreté étaient en baisse. Une orientation du RSA est de lutter contre les pièges à pauvreté, c’est-à-dire de permettre à toute personne qui reprend un emploi de voir vraiment ses revenus augmenter. L’idée directrice était d’accompagner et accélérer la réduction de la pauvreté. Or, depuis 2007 et 2008 (le RSA a été voté le 1er décembre 2008, soit exactement vingt ans après le RMI), chômage et pauvreté progressent. Le RSA est au front pour en diminuer les conséquences mais il ne saurait atteindre les racines de problèmes macro-économiques. Et, par ailleurs, il ne saurait être conspué comme une racine fondamentale de ces problèmes. En un mot, le RSA a peut-être été trop célébré à sa naissance. Il est aujourd’hui bien trop critiqué, en particulier par les fées qui se penchaient sur son berceau.
3) Stigmatisation liée au RSA, méconnaissance du dispositif, complexité administrative… En quoi la mise en place du dispositif a-t-il été particulièrement lacunaire ?
Sa mise ne place n’a nullement été lacunaire. Elle a été accompagnée d’un expérimentation, certes imparfaite, ce qui est pour le moins rare en matière de protection sociale. Elle a également été accompagnée d’une mobilisation importante d’expertise, au sein des conseils généraux, des caisses d’allocations familiales, et chez les universitaires. Ce n’est pas tant sa mise en place, ni sa gestion d’ailleurs, qui sont à discuter. Ce sont ses fondamentaux. Ce qui est sorti du parlement, en 2008, n’est qu’un petit reflet de l’ambition de ses fondateurs, autour de Martin Hirsch. L’idée de RSA était de simplifier ! Cela paraît étrange tant le RSA, tel qu’il est aujourd’hui, est compliqué. Mais pour ses pères fondateurs (appelons-les ainsi), il ne s’agissait pas seulement de fusionner le RMI et l’API (l’allocation de parent isolé) tout en créant un mécanisme permanent d’intéressement à la reprise d’activité (le RSA activité). Il s’agissait de fusionner l’ensemble des minima sociaux pour les personnes d’âge actif, et pouvant travailler, avec la prime pour l’emploi (PPE), avec les allocations logement et même, sous certaines conditions, avec les prestations familiales. Ce qui a été lacunaire dans le RSA, c’est que le souffle politique a manqué pour faire complètement ce tournant vers de la simplification et de la clarté administratives dans la gestion des prestations sociales.
4) Le RSA prévient-il mieux, ou moins bien les fraudes que les autres aides sociales ? Quelles voies d’améliorations pourraient être imaginées en ce sens ?
Je ne sais pas s’il prévient mieux ou moins bien. C’est en tout cas la prestation la plus contrôlée. Et il est donc logique que ce soit la prestation pour laquelle on détecte le plus de fraudes. Ses paramètres étant alambiqués, il est toujours possible de se faufiler dans les arcanes du dispositif, parfois sans le savoir d’ailleurs, parfois délibérément et de façon industrielle. De fait, le RSA est mal vu sur ce plan de la fraude. Mais c’est, globalement, tout le travail au noir qui est de la fraude. Cependant le travail au noir est mieux vu. Plus largement cette question de la fraude, qui soulève les passions, est extrêmement problématique. Non pas seulement pour ses dimensions (certainement encore sous évaluées, pour l’ensemble des prestations et des cotisations sociales) mais pour les principes. Fraus omnia corrumpit (« la fraude corrompt tout ») est un adage juridique ancien, qui a toute son actualité. Pour le RSA, entre autres choses. Quant à la réduction de la fraude, elle passera à mon sens par la réduction de la complexité du dispositif. Et pour cela, il faut revenir à l’origine du projet et être ambitieux.
5) La fusion de la Prime pour l’emploi et le RSA est d’ailleurs prévue pour l’année 2016, dans une réforme dont les contours ne sont pas encore dessinés précisément. Quelles autres aides sociales pourraient pertinemment s’y agréger ?
Une nouvelle fois, il faut se pencher sur ce qu’était le projet de soldat RSA, et l’armer en conséquence. La fusion avec la PPE, qui est compliquée (comme tout, soit dit en passant), est une ardente obligation de la réforme. C’est d’ailleurs une erreur, dont gouvernement et parlement en 2008 ont la responsabilité, que de ne pas l’avoir fait à la naissance. Il faut fusionner avec d’autres minima sociaux, de manière à ne pas avoir en France presque 10 minima sociaux, mais trois : un pour les personnes âgées ; une pour les personnes handicapées ; et le RSA pour les personnes qui peuvent travailler. On doit pouvoir aussi rapprocher, à défaut de fusionner, le RSA des allocations logement. Sur le plan de la gestion, il faut décider aussi clairement de qui devrait gérer un tel ensemble : les conseils généraux (qui ont des visions diverses sur le sujet), les CAF (qui savent y faire), l’administration fiscale (qui, elle aussi, à sa manière, sait y faire). C’est un choix important.
ORIGINAL SOUS UN TITRE CONTESTABLE : http://www.atlantico.fr/decryptage/rsa-revalorise-deux-pourcents-bilan-mitige-apres-7-ans-existence-julien-damon-1728553.html