« Kennedy, Churchill et l’avenir du monde », Les Échos, 22 novembre 2013

L’avenir par le passé, les données et la volonté

Deux auteurs majeurs, d’extraction bien différente, proposent, afin de comprendre les années récentes et pour envisager les prochaines, d’en revenir à Kennedy et à Churchill, comme figures et étapes majeures (à critiquer ou pour s’en inspirer). Alan Greenspan affirme la possibilité d’améliorer la prévision économique tandis que Anthony Giddens plaide pour du volontarisme politique.

 

Des prévisions économiques plus inspirées

Alan Greenspan, qui a dirigé la Réserve Fédérale pendant près de vingt ans, a longtemps bénéficié d’une réputation de Maestro et d’oracle. Les critiques, après la déflagration de 2008, ont ensuite fusé contre les prévisionnistes qui n’avaient rien vu venir. Greenspan date les origines de la crise de la présidence Kennedy. Depuis cette période les budgets, dettes et déficits publics, gonflés par les programmes sociaux, ont augmenté. Pour Greenspan cette expansion, grevant investissement, croissance et productivité, explique l’érosion contemporaine des revenus des classes moyennes et modestes. Prêtant moins à polémique Greenspan a recours à Keynes pour mettre en avant l’importance de nos « esprits animaux », cet ensemble de pulsions qui interdisent d’envisager l’homme (et surtout l’investisseur) comme un acteur purement rationnel. Pour l’ancien patron de la FED, la prévision économique doit intégrer dans ses modèles les progrès des sciences comportementales. Greenspan a certainement raison de dénoncer, adaptant ainsi l’une de ses formules, un « enthousiasme exubérant » dans une croyance : celle de la montée continue de la valeur des actifs. Il a aussi l’art de décrire les choses. Ainsi, écrit-il, si la production américaine a fortement augmenté en valeur depuis les années 1970, ce n’est pas le cas en poids. Le « made in USA » de 2013 aurait, au total, le même poids qu’en 1977. Une illustration du tournant de l’économie vers le tertiaire ! Reçu avec enthousiasme par ses adeptes et de vives réserves par ses contempteurs cet ouvrage de Greenspan est une pièce importante. Son opus précédent, « Le temps des turbulences » a été traduit. On peut prévoir que ce sera le cas de ce « La carte et le territoire », mais sous un autre titre, pour ne pas trop concurrencer en son pays Michel Houellebecq. Malgré l’intérêt prononcé de Greenspan pour la concurrence.

 

Pour une intégration européenne renforcée

Enthousiasmé par un discours de Churchill de 1946 sur les « Etats-Unis d’Europe », le sociologue Anthony Giddens (qui a notamment dirigé la London School of Economics), revient sur la crise européenne et sur les perspectives de l’Union. Dans un contexte d’Euro contesté, chômage et endettement public connaissent des pics. Giddens souligne un profond déficit démocratique. À côté des institutions officielles (Commission, Conseil, Parlement), le vrai pouvoir se trouve chez quelques leaders (l’anglais Giddens ne cite que l’Allemagne et la France), à la BCE et au FMI. Contre les eurosceptiques de gauche comme de droite, Giddens (qui a été le principal théoricien de la « troisième voie ») pense que l’interdépendance augmente. Il estime que l’intégration doit encore se renforcer, pour aller jusqu’au fédéralisme. Concrètement, il convient de stabiliser l’Euro, mais aussi de transférer des compétences fiscales au niveau communautaire. Partisan résolu d’un approfondissement européen, il considère que l’élargissement doit aussi se poursuivre (avec la Serbie, après la Croatie). Il veut que l’Union devienne une puissance pleinement souveraine. Affirmant un « impératif cosmopolitique » et un « interculturalisme » (pour tenter de dépasser les tensions multicurelles), Giddens soutient aussi la nécessité d’agir de façon intégrée pour la politique sociale (devenant une « politique d’investissement social), pour la politique industrielle (en mettant l’accent sur le digital) ou contre les paradis fiscaux. Livrée pour la discussion, cette analyse intelligente mais d’abord militante, est incontestable sur un point : une Europe fragmentée a moins de chances de faire entendre sa voix. Reste à savoir si elle peut vraiment avoir une voix. À lire dans la perspective des élections européennes de 2014 qui seront certainement les premières à être centrées sur des enjeux pleinement européens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alan Greenspan, The Map and the Territory. Risk, Human Nature, and the Future of Forecasting, Allen Lane, 2013, 388 pages.

 

Anthony Giddens, Turbulent and Mighty Continent. What Future for Europe?, Polity, 2013, 242 pages.

 

Laisser un commentaire