La France porcherie
Rues, routes et autoroutes françaises déroutent aujourd’hui par leur saleté. Toutes les régions ne sont pas concernées avec la même intensité, mais partout ce problème prend de l’importance.
Début mars, 5 millions d’euros ont été débloqués lors d’une réunion interministérielle (il fallait bien ça), afin de nettoyer en urgence les abords des autoroutes du nord de l’Ile-de-France. Ces talus et fossés se recouvrent d’ordures, de murs sordidement tagués, d’amoncellements liés aux campements illégaux. L’image française s’écorne là aux yeux de touristes surpris. Surtout, la vie quotidienne des habitants et passants se détériore à proximité des immondices. Le phénomène ne se cantonne pas aux grandes infrastructures. Loin s’en faut. Nombre de chemins vicinaux sont jonchés de paquets de cigarettes, canettes de bières, flacons d’alcool, boîtes de pizza, sachets de fast-food, reliquats de kebabs. Sur les bas-côtés des allées moins fréquentées on découvre aussi canapés, machines à laver, tas de gravas laissés par des entrepreneurs indélicats. Sur les voies empruntées par les chauffeurs routiers, la spécialité est la bouteille plastique remplie d’urine.
Quelle est l’ampleur du problème ? Des opérateurs spécialisés estiment à 500 kilos par kilomètre par an, pour les autoroutes et routes nationales, le poids des déchets sauvages. 50 kilos pour les départementales et communales[1]. En extrapolant les chiffres des opérations annuelles de « nettoyage de printemps » menées par les départements, la déchetterie routière représenterait 30 000 tonnes. Si on y ajoute 30 000 tonnes d’objets en flottaison dans les cours d’eau, 2 000 tonnes récupérées sur les plages, 200 tonnes retrouvées sur les pistes de ski, on aboutit à un total supérieur à 60 000 tonnes de détritus délaissés. Soit un kilo par an par habitant en France. D’un sondage mené en 2014 il ressort que 95 % des Français disent ne rien jeter en dehors des poubelles publiques. Une minorité très agaçante produirait donc cette dégradation du cadre de vie. Et on ne peut pas vraiment trouver d’excuse à ces comportements venimeux. Il n’y pas, avec le jet de déchets par la fenêtre de sa voiture, une conséquence de la pauvreté, mais un résultat de la surconsommation, de l’abrutissement et, surtout, du mépris pour autrui. L’irrespect total est ici à l’œuvre.
Face à toutes ces malveillances que faire ? L’orientation actuelle relève d’abord de la sensibilisation. De beaux panneaux confirment certainement à ceux qui le pensent déjà que la propreté est l’affaire de tous. Et diverses « brigades du tri », composées de fonctionnaires ou, ponctuellement, de bénévoles, opèrent un ramassage fastidieux (travail manuel), dangereux (des aiguilles traînent), et coûteux. Après sensibilisation et réparation, il importe maintenant de mettre l’accent sur la sanction. Moins de pancartes donc, et plus de peines. Toujours volontariste, le Premier ministre a d’ailleurs prôné, aux sujets des abords autoroutiers franciliens, une « action répressive résolue ». Sur le plan répressif, des contraventions allant jusqu’à 3 000 euros peuvent être infligées, le véhicule à partir duquel l’objet a été lancé ou déposé pouvant même être saisi. Mais ces éléments du Code pénal trouvent trop peu d’application. Pourtant, une dureté sans faille doit être de mise, de manière à inverser cette courbe problématique de la détérioration des paysages. Il faut donner aux forces de l’ordre les moyens et incitations permettant de punir effectivement les contrevenants. À défaut, la France de la négligence tolérée et de la tolérance dévoyée glissera davantage encore, au moins sur le plan de ses espaces, dans une décadence bien discernable.
Julien Damon
[1]. Ces données sont communiquées par des Directions Interdépartementales des Routes (DIR), en charge du maintien et de la surveillance des routes principales.