Métropoles de compétitivité
La métropole, en tant que construction juridique et réalités concrètes, pénètre le droit et le quotidien français. Échelle pertinente de nos vies réelles et unités compétitives de l’économie globale, les métropoles agglomèrent efficacement les personnes et les activités. C’est la thèse soutenue par trois récents ouvrages en anglais. Très pro-urbains.
La révolution métropolitaine américaine
Bruce Katz et Jennifer Bradley de la Brookings Institution publient un livre important (avec un excellent site metrorevolution.org comprenant notamment de la vidéo de promotion). Ils rappellent que les 100 principales métropoles américaines ne représentent que 12 % du territoire, mais rassemblent 66 % de la population (dont 90 % des travailleurs qualifiés) et génèrent 75 % du PIB. Aux Etats-Unis, les métropoles sont un concentré des dynamiques démographiques : augmentation, vieillissement et diversification des populations. La révolution métropolitaine (une tradition américaine, dans la mesure où la Révolution y fut urbaine) est, surtout, un grand renversement. Ce n’est plus l’Etat qui donne le la. Ce sont les métropoles qui composent leur mélodie. L’Etat, désarçonné par la crise, n’est plus un parent devant des enfants. Les métropoles sont devenues adultes, plus indépendantes et plus efficientes, prenant leur destin en main. Dans l’après-crise, des écosystèmes locaux, des « districts d’innovation », se sont affirmés, grâce aux coopérations entre élus, entreprises, universités, organisations civiques. En matière d’innovation, d’attractivité, de transport, d’intégration ou d’environnement c’est à cette échelle que se joue la performance. Mais la faillite récente de Detroit, rétorquera-t-on. Pour les auteurs ce ne serait qu’un cas isolé (ce qui est très discuté). Et ce désastre sert de point de référence pour expérimenter ce qui peut être fait afin de renaître. Pour Katz et Bradley la plus grande faillite est celle de Washington (de l’Etat). Selon nos auteurs les métropoles sont devenues des agglomérations assez grandes pour les grands problèmes (démographie et économie) et assez petites pour les petits (la vie des gens). Ils célèbrent les maires entrepreneurs, dans une vision peut-être idyllique de la ville comme solution à un monde désormais plus en réseau qu’en hiérarchie, plus en entreprenariat qu’en bureaucratie. Ils convainquent en édifiant la métropole en moteur de la croissance et en échelle pertinente et pragmatique, opposée à un Etat paralysé par la polarisation partisane et par la perspective d’une faillite généralisée liée aux coûts de la santé et des retraites. Ce faisant, ils ouvrent, dans une « nation métropolitaine », bien des questions sur l’avenir de la souveraineté.
Les ateliers de l’économie mondiale
Michael Storper, qui enseigne l’économie géographique en Europe et aux Etats-Unis, propose un autre ouvrage important (et plus dense). Il rappelle, lui aussi, que les économies nationales sont, de fait, de plus en plus, des réseaux d’économies métropolitaines. Storper livre les clés des métropoles, ou « villes-régions », en se penchant sur quatre dimensions : économie, institutions (avec i majuscule ou minuscule), relations sociales, justice. Critiquant les théories en vogue sur l’efficacité des villes à haute qualité de vie pour les personnes « créatives », l’auteur estime que les métropoles ne sont pas des parcs d’attraction (pour riches et retraités) mais des ateliers, interconnectés, permettant la concentration d’activités et l’innovation. À rebours des modèles à la mode sur l’attractivité, Storper écrit que ce sont les entreprises, les emplois et les investissements qui font venir les gens et les talents. Et non l’inverse. Pourquoi ici la croissance et là le déclin ? Il n’y a certainement pas de recette miracle ni de gouvernance enchantée pour comprendre et/ou pour soutenir le développement métropolitain. Il faut de la tuyauterie informatique, comme du face-à-face, pour autoriser de hauts niveaux d’interaction, et atteindre un certain équilibre d’équité et d’efficience. Et chaque métropole, avec son propre génie local, doit trouver ses voies de spécialisation pour créer du revenu. Elle doit ouvrir des opportunités plutôt que des aménités, ceci pour soutenir prospérité et productivité. C’est la condition de son intégration à un monde de l’innovation disruptive (« la disruption c’est le développement ») qui passe, par ailleurs, nécessairement par des inégalités. De la fresque de Storper, on peut aussi retenir que la métropole est conflit d’experts, mais surtout conflit d’usages, de préférences et d’espaces.
La métropole, c’est bon
Moins académique et plus anecdotique, le britannique Leo Hollis, spécialiste de Londres, célèbre la métropole. Contre les urbanophobes (comme Jean-Jacques Rousseau et Henry Ford), l’auteur aime la ville. Et il attribue bien des vertus à ces « établissements humains » (comme on dit à l’ONU). Les métropoles permettent de vivre en meilleure santé. Elles sont favorables à l’environnement. Et elles sont des terres d’opportunité pour créer et innover. L’auteur, dont les propos n’ont rien de vraiment original, promène le lecteur, avec bonheur, à travers le monde. Dans l’univers technologique de Songdo en Corée, à Londres, Dubaï ou Shanghai, dans les immenses bidonvilles, ou encore dans Nairobi où le système de paiement M-Pesa (sur téléphone portable) autorise la bancarisation et améliore la vie urbaine. Hollis regrette certaines évolutions, notamment quand la technologie est mise au service d’options sécuritaires. Il en célèbre d’autres. En particulier lorsqu’il note que davantage que les services et les bâtiments, et davantage encore que les gens, c’est la confiance qui fait la ville. Si tout n’est pas neuf, et rien n’est faux, c’est la perspective enjouée qui compte ici.
Bruce Katz, Jennifer Bradley, The Metropolitan Revolution. How Cities and Metros are Fixing Our Broken Politics and Fragile Economy, Brookings Institution Press, 2013, 258 pages.
Michael Storper, Keys to the City. How Economics, Institutions, Social Interaction, and Politics Shape Development, Princeton University Press, 2013, 288 pages.
Leo Hollis, Cities Are Good for You. The Genius of the Metropolis, Bloomsbury Press, 2013, 416 pages.