Pour des fêtes sobres
Julien Damon
Professeur associé à Sciences Po
Le mois de janvier est propice aux bonnes résolutions. Les fêtes de fin et début d’année passées, une énième période de soldes commencées il est bon de revenir sur l’aberration consumériste du moment. Chaque année, Internet aidant, le lendemain de Noël fait l’objet d’un nouveau record. Ainsi, tous les ans les Français – et ils ne sont pas les seuls dans le monde riche – sont-ils plus nombreux à revendre en ligne certains cadeaux dont ils ne veulent pas, parce qu’ils ont été reçus en double ou parce qu’ils ne leur plaisent pas. Un petit passage par l’analyse économique la plus stricte permet de critiquer radicalement un rite qui de familial est devenu purement de consommation et de convention. Avec, naturellement, des inégalités et des frustrations exacerbées.
Dans son livre à succès, traduit dans de nombreuses langues (dont le chinois, le japonais, l’allemand, l’italien, mais pas le français), l’économiste Joel Waldfogel propose une critique bien sentie du rituel contemporain des présents de Noël. Dans Scroogenomics (dont une traduction du titre pourrait être « Faire l’économie de Noël »,) il s’attaque, avec rigueur et humour, au père Noël. Waldfogel, qui dit avoir été « endoctriné » comme économiste, est passé par les institutions académiques les plus prestigieuses (de Stanford à Yale).
Le fond de la thèse est très sérieux : les cadeaux constitueraient une allocation non optimale des ressources. Il est vrai que lorsque nous achetons des biens ou services pour nous-mêmes, chaque euro dépensé doit produire au moins l’équivalent d’un euro de satisfaction. Nous tentons, à cet effet, des choix rationnels et raisonnables. Au moins, on cherche toujours à acheter quelque chose que l’on veut vraiment. Il en va différemment pour l’acquisition de cadeaux pour les autres. Nous faisons des choix moins bien informés au risque de ne pas du tout satisfaire ceux à qui l’on souhaite faire plaisir. Dans une certaine mesure, il vaut mieux directement donner de l’argent afin d’avoir une chance de rapprocher notre don des véritables préférences des gens auxquels on offre.
Waldfogel qui s’appuie sur nombre d’enquêtes, certaines très discutables, fait aussi appel à nos souvenirs d’enfant. Depuis tout petit nous avons tous fait l’expérience de cadeaux qui ne nous plaisent pas (ceci s’étant d’ailleurs peut-être renforcé à l’âge adulte).
Tant d’insatisfaction avec ces cadeaux qui, au total, détruisent plus de valeur qu’ils n’en créent, confine au gaspillage. Les fêtes de fin d’année, décrites comme de véritables orgies consuméristes, sont l’occasion d’une gigantesque destruction de valeur. Comparant, de manière rapide, les dépenses des mois de décembre à celles de novembre et de janvier, l’auteur estime à 25 milliards de dollars le « coût » total de Noël (en termes d’évaporation de valeur) dans les pays développés. Une proposition concrète : développer les chèques-cadeaux qui, s’ils devenaient périmés, pourraient toujours se transformer en contributions aux associations caritatives.
Citant Voltaire, mais sans égard pour les travaux du sociologue français Marcel Mauss et ses célèbres essais sur le don (et le contre-don), Waldfogel fait donc un procès utilitariste et sans concession au père Noël. Il fait aussi l’apologie de la sobriété, sans mot à l’égard ou à l’encontre de la chrétienté. Père de deux enfants, qu’il dit enthousiastes à l’idée d’encourager les dons de charité, l’économiste souhaite tout de même à tous des fêtes heureuses. Signalons que l’une des premières conséquences du succès de son livre, pour notre économiste, est qu’il ne reçoit plus de cadeaux…
L’injonction au cadeau et à la dépense standardisés constitue une pression pesant sur les moins favorisés. Comment ne pas être étonné de voir des garçons plus ou moins jeunes arborant fièrement des tee-shirts de sport coûtant près de 10 % du SMIC ! Et on imagine le ressentiment de ceux qui ne peuvent se les offrir, alors que tout ceci n’a presque aucun sens.
Certes, il importe toujours de faire plaisir et de tenter de le faire. Mais il faut aussi savoir raison garder et savoir faire raison garder. À méditer pour les prochaines fêtes.
JULIEN DAMON
Professeur associé à Sciences Po