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Rétroprospective et prospective de la protection sociale
Julien Damon
Professeur associé à Sciences po
Conseiller scientifique de l’En3s
2015 aura été une année pleine d’anniversaires, occasions de nombreuses plongées dans le passé et de nombreux regards portés sur l’avenir. Le monde a fêté, notamment, la fin de la deuxième guerre mondiale et la création de l’ONU. En histoire longue, la France aurait pu commémorer le demi-millénaire de Marignan et le tricentenaire de la disparition du Roi Soleil. Les Anglais, eux, auraient pu célébrer le bicentenaire de Waterloo (un 18 juin) et les 150 ans de l’Armée du Salut. Pour les questions sociales françaises, 2015, a été marquée par une célébration des 70 ans des ordonnances créant la sécurité sociale. Cette célébration, sans festivités excessives, était, d’abord, l’occasion d’une mise en perspective, pour se remémorer le chemin parcouru et pour envisager celui qu’il faudrait emprunter et ceux dont il faudrait se méfier. Une telle occasion, un 70ème anniversaire, ne doit pas consister en autocélébration. S’il n’y avait qu’une information pour relativiser la portée de l’événement et relativiser l’exception sociale française, on rappellera simplement qu’en 2015 les Etats-Unis ont célébré les 80 ans de leur « sécurité sociale » (le lancement par l’administration Roosevelt d’un grand programme fédéral de protection sociale). Et la célébration américaine est passée essentiellement par un tweet du Président Obama.
Fêter les 70 ans de la sécurité sociale, en France, ne saurait verser dans l’apologie béate. Et il faut assurément tempérer le culte dont le « modèle de 1945 » fait parfois l’objet[1]. Le moment 1945 peut être alternativement présenté comme la rationalisation de mécanismes anciens ou comme une révolution en termes d’ambition pour un avenir meilleur. De fait, lorsqu’il s’agit d’anniversaire, les deux temps de la rétrospective et de la prospective s’imposent. C’est l’exercice à deux facettes et à deux temps qui sera conduit ici. Plus précisément, on proposera, dans un premier temps, une rapide rétroprospective (regarder aujourd’hui ce qui ce racontait hier sur l’avenir)[2] et, dans un deuxième temps, quelques remarques de prospective (tenter de regarder demain à partir de nos lunettes contemporaines) sur la protection sociale française. Le prisme temporel sera de vingt ans : deux décennies en arrière, quand on s’inquiétait beaucoup, en 1995, et l’on proposait beaucoup au sujet de l’avenir de la protection sociale ; deux décennies en avant, quand on s’inquiète beaucoup, en 2015, au sujet de l’avenir de la protection sociale.
- I) La protection sociale d’aujourd’hui vue d’hier
Pour le premier mouvement de cette réflexion, on s’appuiera sur un numéro spécial et double de la revue Droit Social publié à l’occasion du 50ème anniversaire de la sécurité sociale[3].
Cette livraison, dont des contenus ont marqué bien des esprits, titrait de façon neutre sans interrogation, sans exclamation, sans pluriel sur la protection sociale demain. De cet ensemble de contributions, il est loisible de tirer, rétrospectivement, cinq observations sur la façon dont pouvait, alors, se concevoir, la protection sociale en 2015 ou même en 2025. Explicitement, Jean Choussat s’intéressait ainsi à l’hôpital en 2025[4] quand Raoul Briet, lui, faisait porter ses réflexions sur les retraites à l’horizon 2015[5] – aujourd’hui donc – et au delà.
Ce recueil d’observations, d’interrogations, de projections et de suggestions, contient des opinions et orientations différentes, avec des signatures pour la plupart toujours aux responsabilités ou au moins encore à la manœuvre en 2015. La matière rassemblée dans ce numéro double apparaît particulièrement dense, avec, notamment, des développements sur la place des complémentaires, sur la possible sélection croissante des risques, sur une concurrence potentiellement accrue, sur le sujet récurrent des fonds de pension et de la capitalisation, sur les perspectives européennes. On ne saurait, au risque d’être fastidieux, reprendre tous les thèmes. On a donc repris cinq points dont l’ampleur traverse les grandes lignes des débats alors à l’œuvre et, pour une bonne part, toujours en cours, même si sous des angles et formulations différents, plus ou moins.
- A) Le principe même de solidarité nourrit toujours des débats d’actualité
Ce numéro de Droit social comprend un article introductif, devenu célèbre, de Jean-Jacques Dupreyoux, de rétrospective critique sur la période 1945-1995[6]. Entendant déjà « la colère des dévots », selon ses mots, il critique l’idée même d’une célébration de la sécurité sociale. Celle-ci contient, d’abord, une assurance maladie organisée pour les médecins et non pour les patients (un « ratage monumental »). Elle organise, ensuite, une assurance vieillesse antiredistributive qui voit les ouvriers, à espérance de vie alors inférieure à l’âge de départ à la retraite, cotiser pour les cadres. Elle repose, enfin, sur des cotisations plafonnées qui interdisent une forte solidarité (au sens de redistribution verticale). Et Dupeyroux certes d’exprimer des réserves sur la sécurité sociale mais aussi des craintes quant à sa suppression, ensevelie dans un « libéralisme triomphant ». L’analyse, à plusieurs voix, n’a rien d’univoque idéologiquement. Parole et plume passent à Claude Bébéar qui appelle, dans un tout autre registre, à un changement radical de système. Avec, en particulier, une séparation très nette à opérer entre la solidarité et l’assurance[7]. Autre position : Jean-Michel Belorgey souligne, lui, que la coupure entre solidarité et assurance est artificielle[8]. Pour Bébéar, ne devrait rester comme cotisations sociales à la charge des entreprises que celles concernant les accidents du travail et le chômage. Que dire de ces échanges et propositions, notamment celles d’extraction libérale, 20 ans après leur publication ? La sécurité sociale n’a pas disparu et ne s’est pas transformée dans un sens radicalement plus libéral. C’est même la permanence des débats qui saute aux yeux, plutôt qu’une profonde recomposition de la solidarité. Ainsi, dans un autre article, Pierre Volovitch pose-t-il une question toujours actuelle « faut-il cibler la protection sociale sur ceux qui en ont réellement besoin », la locution « ceux qui en ont réellement besoin » apparaissant entre guillemets[9]. La réponse est alors négative, car toute mise sous condition de ressource induit un moindre soutien à la protection sociale dans son ensemble. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Au fond peu de choses ont été vraiment ciblés. De nouvelles prestations ciblées ont été ajoutées, mais peu de prestations ont véritablement été mises sous condition de ressources, sinon avec cette ruse qu’est la modulation des allocations familiales. En tout cas, ce débat sur la solidarité et les liaisons entre assurance et assistance a toujours de la vigueur. Sans qu’il ait véritablement été tranché dans un sens où dans un autre, tel que ceci pouvait être redouté ou souhaité (c’est selon) en 1995.
- B) Les NTIC sont érigées en transformation potentiellement révolutionnaire.
Tout, aujourd’hui, est dans le Big Data (le traitement de l’abondance de données) et l’Open Data (l’ouverture et la mise à disposition de données publiques). En 1995, le sujet était déjà, avec d’autres mots, à l’ordre du jour. C’est Pascal Penaud qui s’interroge sur les NTI et leur impact sur les OSS (pour le dire avec des sigles désuets)[10]. Ces NTI ou NTIC de 1995 offrent la possibilité de modifier le service rendu à l’usager, avec de fortes potentialités de modification de l’organisation interne. L’analyse se veut plutôt pessimiste, pour l’avenir d’organismes qui vivent une faible concurrence, avec des pratiques de gestion tayloriennes peu innovantes. Rétrospectivement, on peut trouver ce pessimisme trop prononcé. Historiquement, les caisses ont compté parmi les grands précurseurs de l’informatisation et de l’automatisation. Il s’agit de toujours mieux traiter flux de masse et volumes immenses d’informations. Des cartes perforées à l’Internet, les systèmes d’information se sont constitués, renforcés et adaptés, tant aux évolutions des législations qu’aux attentes toujours plus élevées des populations. De l’époque des super calculateurs à celle des micros ordinateurs et de l’informatique dans les nuages (le cloud), la sécurité sociale a toujours été un foyer d’innovations. Autant qu’une infrastructure physique (avec des personnels et de l’immobilier), elle est une infrastructure numérique. Ses sites Internet comptent parmi les plus fréquentés à l’instar des 110 millions de connexions par an au site de l’assurance maladie (Ameli). Une nouvelle fois, la célébration béate serait ridicule. Il y a plusieurs mondes entre les start-up et la gestion quotidienne des organismes. Pour autant, l’informatisation puis la digitalisation des services de sécurité sociale ont toujours accompagné les mutations de l’institution. En un mot, les OSS ont su digérer les TIC et ce que l’on baptisait la nouvelle économie. Reste qu’ils n’ont peut-être pas pleinement opéré leur mue digitale. On y reviendra quand on en viendra, dans cet article, à la prospective pour 2035.
- C) Complexité et simplification sont à l’ordre du jour en 1995, comme en 2015
Le thème de la complexité croissante et de la nécessaire ou impossible (c’est selon) simplification n’est pas neuf. Il fait couler de l’encre, notamment dans Droit social, depuis des décennies. En 1970, déjà, des articles, avec des désaccords techniques de détail, allaient dans le sens d’une nécessaire lutte contre la complexité illégitime et contre-productive[11]. Reprenant et commentant des positions politiques, des rapports administratifs sur la législation sociale, ces textes soulignaient le caractère sisyphéen de l’exercice de simplification et critiquaient l’absence de l’usager de ces débats, alors que la complexité croissante était déjà légitimée comme une adaptation du droit aux particularités. En 1995, certains imaginent que cette complexité peut couler la sécurité sociale, d’autres que la sécurité sociale devra, à l’avenir, s’en accommoder. En 1995, le débat se fait ainsi plus doctrinal, avec deux positions opposées. Etienne Marie pense que le système, apprécié à partir du cas des CAF, va vraiment exploser. Bertand Fragonard estime qu’Etienne Marie fait un « procès sévère » à la complexité des prestations familiales et à ses conséquences[12]. Mais il considère que la complexification est inéluctable surtout quand on veut personnaliser prestations et relations de service. À relire 1995, il n’y a donc pas nécessairement nouveauté au thème de la simplicité. Mais l’intensité de la complexité devient particulièrement problématique[13]. À trois échelles. Tout d’abord, sur un plan doctrinal, la cohérence globale du système de protection sociale échappe. L’aide et l’action sociales, qui étaient appelées à disparaître, se sont étendues et ramifiées. La prévoyance et les complémentaires, appelées elles-aussi, en principe, à s’effacer, ont le vent en poupe. La sécurité sociale elle-même fait l’objet, dans ses branches, ses régimes et ses mécanismes, d’une sophistication extrême. Face à ces mouvements, incessants, même les spécialistes n’ont plus vraiment de vue d’ensemble. Plus graves sont les embarras concrets des opérateurs et gestionnaires (caisses de sécurité sociale et collectivités territoriales aux premiers rangs). Les politiques sociales sont quotidiennement modifiées par une révision permanente de leurs paramètres, ce qui se traduit, de plus en plus délicatement, dans les systèmes d’information. Dévoreuse de moyens et d’énergie, comme une course sans fin, cette complexification continue ne permet plus de gérer à bon droit. Mais, plus graves encore, l’incompréhension et les critiques des destinataires des politiques sociales s’accentuent. Les usagers ne comprennent pas leurs droits que peinent à leur expliquer des techniciens ou conseillers dépassés par la complexité. La simplification s’impose donc à la fois pour dépasser les impasses doctrinales, les limites gestionnaires, les tracas individuels. In fine, deux légitimités fondent aujourd’hui la simplification : une légitimité économique (pour faire mieux, avec sinon moins, du moins probablement pas plus) ; une légitimité démocratique (pour assurer lisibilité, visibilité et efficacité des dépenses sociales).
- D) En 1995, prospective des risques, du vieillissement et de la jeunesse
Déjà en 1995, inquiets de vieillissement et des transformations du travail, les auteurs abordent les nouveaux risques. C’est d’ailleurs le titre de la contribution de Marie-Thérèse Join-Lambert[14]. Celle-ci liste la résurgence des épidémies, le développement de nouvelles formes de chômage ou de non travail, prolongées ou transitoires. Elle écrit qu’avec « le vieillissement se profile l’immense problème de la dépendance ». Sur le plan épidémique, elle pense au Sida mais nous devons penser, pour la période actuelle, à Chikungunya ou Ebola. Enfin elle souligne l’immense problème de l’insertion professionnelle des jeunes, avec l’allongement de la période d’accès à la stabilisation professionnelle. Aujourd’hui on voit avec la jeunesse – et avec un âge moyen de 29 ans lors de la signature du premier CDI – un nouvel âge de la vie, voire un nouveau risque. D’où, entre autres, l’intérêt marqué, autour de 2015, pour les logiques dites d’investissement social. La question posée est de savoir comment délimiter le périmètre de l’Etat-providence dans des sociétés post-industrielles vieillissantes. Alors que l’avènement de l’économie post-industrielle a remis en cause les compromis qui ont porté la croissance des Etats-providence, les grandes évolutions récentes (entrée des femmes sur le marché du travail, vieillissement de la population, transformations des inégalités, révolution numérique) appelleraient de nouvelles interventions sociales. Ce thème de l’investissement social, pour une protection sociale adaptée aux « nouveaux » risques et plus favorable aux jeunes, n’était pas ainsi labellisé en 1995. Mais l’idée, au fond, y était[15].
- E) La gouvernance reconsidérée
Le cinquième point qui retient l’attention, d’une relecture de 1995, procède de la gouvernance de la protection sociale. Gérard Adam décrit, en 1995, les limites et difficultés du paritarisme[16]. Perte de légitimité, divergences syndicales, collusion de quelques-uns avec quelques autres, et évolution des modes de financement appellent des révisions. Si l’écriture et les chiffres peuvent, à la relecture, sembler datée, les constats, parfois vifs, sur « les limites d’un concept trompeur » conservent toute leur actualité en 2015. Au-delà du seul paritarisme, Rolande Ruellan pose une question, en 1995, « Qui est responsable de la sécurité sociale ? », qui se repose assurément en 2015 et qui se posera certainement encore longtemps[17]. Elle souligne les ambiguïtés de la répartition des pouvoirs, le caractère parfois conflictuel de la mise en œuvre de ces pouvoirs. Elle envisage – ce qui sera pleinement établi – la responsabilisation du Parlement et l’établissement de nouvelles relations avec l’État. Certes dit-elle « le débat sur les responsabilités en matière de sécurité sociale est, il faut l’admettre, un débat d’initiés auquel les Français n’attachent que peu d’intérêt ». Et c’est pourtant bien là que de puissantes révisions, annoncées dans cet important numéro de Droit social, ont été introduites en particulier à partir du contenu du Plan Juppé. Ce plan, de novembre 1995, représente une tentative de réforme globale de la sécurité sociale dans son organisation et sa gouvernance (même si le mot « gouvernance » avait, à l’époque, moins de succès qu’aujourd’hui). Les changements envisagés ont recueilli des critiques fortes et ont conduit à l’une des plus grandes grèves de l’histoire, avec notamment une très forte mobilisation des assurés des régimes spéciaux. Bien que discutées, nombres des évolutions introduites dans le cadre de ce plan ont été depuis préservées voire confortées. Tel est le cas du nouvel équilibre entre les partenaires sociaux et les directeurs gérant les organismes, la création des lois de financement, le pilotage renforcé des dépenses d’assurance maladie. Toutes ces réformes sont, dans leurs attendus comme dans leurs conséquences, diversement appréciées, en fonction des convictions et visions de ceux qui en analysent les objectifs, les instruments et les résultats. En matière de sécurité sociale, que cela concerne les dépenses, les recettes et l’organisation, les réformes sont d’abord critiquées, envisagées comme des régressions, puis souvent appliquées dans la durée.
Ce petit parcours rétroprospectif permet de souligner bien plus de permanences que de ruptures. Rien d’étonnant diront certainement les tenants de la thèse dite de la « dépendance au sentier » qui estiment que lorsqu’un sillon a commencé à être creusé, il est difficile d’en changer[18]. Est-ce pour autant dire que 2015 était écrite en 1995 ? Assurément non, car comme la formule célèbre le dit bien l’avenir n’est écrit nulle part. Surtout, derrière l’impression de permanences, les transformations et les progrès sont substantiels. Ce que dénotent les propos d’experts en 1995, c’est une connaissance fine des inerties et des défis. Et il faut espérer qu’en 2035, quand seront relues les lignes prospectives à venir, sur quelques remarques prospectives autour de la protection sociale à cet horizon, les lecteurs auront une impression similaire.
- II) La protection sociale de demain vue d’aujourd’hui
Réfléchir à l’avenir peut désormais s’opérer de façon conventionnelle et outillée, dans le cadre des divers Hauts Conseils qui se sont successivement créés, ou bien dans le cadre de réflexions prospectives menées soit dans différentes branches[19] ou bien plus collectivement[20]. On peut également consulter une documentation très détaillée de projections, d’objectifs, de suivis de gestion dans le cadre des annexes au projet de LFSS présentant des « programmes de qualité et d’efficience », portant sur les grandes politiques de sécurité sociale[21]. Dans une certaine mesure, la protection sociale est devenue très familière de la prospective et en fait une activité en quelque sorte permanente. En tout état de cause les démarches, les lieux d’échange, les capacités techniques se sont multipliés depuis 1995. Une orientation complémentaire est de passer par un peu d’imagination et de provocation. Le terme actuellement en vogue est « disruption ». Quelles sont donc les innovations, transformations et contraintes qui pourraient, à l’horizon d’une vingtaine d’années, transformer substantiellement la protection sociale ?
En 2015, l’heure aura bien été à l’anniversaire, sans commémoration ridicule. L’heure aura également été à la révolution, notamment sur le plan numérique. Ce mouvement pouvant potentiellement, si l’on en croit ses prophètes, entraîner de profondes modifications dans tous les domaines[22]. Reprenant le vocable de révolution pour trois éléments (numérique, idéologique, territorial), on balisera trois domaines dans lesquels de puissantes modifications pourraient voir le jour, qu’elles soient, une nouvelle fois, souhaitées ou redoutées. Naturellement, les tendances lourdes, en particulier démographiques, sont connues (vieillissement de la population, transformation des familles, modifications des aspirations) tout comme les écueils financiers face aux déficits et à l’endettement. Plutôt que de revenir sur chacune de ces tendances et perspectives, par ailleurs bien détaillées[23], on préfère tenter l’originalité.
- A) Numérique : la révolution digitale, salariale et totale
Le tsunami numérique pulvérisera les formes de travail et les modes de vie, en particulier, des classes moyennes. Cette prophétie se psalmodie à longueur de colloques, d’essais et de rapports. Comme tout serait en voie d’« uberisation » (le néologisme date de 2015), la protection sociale serait en voie de passer à la casserole de la « disruption » radicale (comme aiment le dire les protagonistes des débats sur le numérique). En trois mots, l’automatisation, la robotisation et la numérisation croissantes des sociétés contemporaines, bouleverseraient intégralement la protection sociale. La révolution numérique nourrirait une révolution digitale, dans la relation de service, et une révolution salariale dans les formes d’emploi[24]. L’ensemble pèsera, incontestablement, dans les décennies à venir.
La révolution numérique a, il est vrai, intégralement bouleversé des industries comme celles de la communication, de la finance ou de la mobilité. Elle transforme profondément, dans tous les secteurs, la relation de service. Le travail de production de la sécurité sociale (la gestion des droits et dossiers) se dématérialise lui aussi. Toujours moins de papiers, toujours plus de données.
Plus profondément, la transition numérique peut, potentiellement ou brutalement, avoir des impacts considérables sur l’édifice même de la protection sociale, et singulièrement sur les risques de sécurité sociale et les manières de les gérer. Sur le plan des productions, la sécurité sociale, conçue pour répondre aux besoins de la société industrielle de masse du 20ème siècle, apparaît remise en cause par l’avènement d’une société plus individuelle, plus fragmentée, où comptent davantage les petites structures, la fluidité des organisations, les services personnalisés. Techniquement, le numérique diminue les coûts et ouvre des opportunités très fortes, à la médecine. Celle-ci n’est déjà plus uniquement un colloque singulier entre un patient et un traitant, mais une relation à trois avec un Internet généralisé qui transforme la production des diagnostics.
Le numérique, associé au génie génétique, introduit de nouvelles capacités prédictives, notamment en santé. Le sujet est connu depuis des années, en ce qu’il change la nature même des risques, avec des aléas qui deviennent assurables individuellement. C’est tout le principe de solidarité nationale qui est mis à mal par une sécurité sociale plus prédictive[25]. En réponse à cette perspective de déchirure dans la solidarité, la sécurité sociale s’appuie sur les capacités préventives qu’autorise le numérique (communiquer avec les patients, informer les familles, associer les retraités). Au sujet donc de ses productions et réalisations, la sécurité sociale devient plus préventive, plus prédictive, plus personnalisée. Et ce n’est pas un mince enjeu que de faire cohabiter ces mutations avec un principe, certes adaptable, de solidarité nationale qui visait d’abord la réparation, qui se voulait plus réactif que prédictif et qui assurait une relation plutôt impersonnelle.
À ces immenses défis sur le plan des produits, s’ajoutent ceux, plus immédiatement perceptibles, sur les services. La perspective, totalement encouragée par les pouvoirs publics, relève de la dématérialisation. En l’espèce, les branches maladie, retraite, recouvrement, famille sont évaluées sur leurs progrès pour se trouver, déjà aujourd’hui, à plus de 90 % de flux dématérialisés de paiements des cotisations, de déclarations sociales, de feuilles de soins électroniques. Plus d’un milliard de feuilles d’assurance maladie traitées chaque année (soit 1 800 par minute) passaient autrefois par le courrier et sont maintenant à 90 % dématérialisées. L’assurance maladie était autrefois le premier client d’une Poste qui, face à la révolution numérique, doit trouver de nouvelles activités.
Une relation de service intégralement dématérialisée soulève la question de l’organisation des réseaux et guichets des organismes de sécurité sociale. Une partie croissante des activités pouvant être télétravaillées, la localisation même des caisses est une question. Quelle part de services physiques laisser ouverts ? Jusqu’où aller dans la numérisation de la relation ? Ces importantes interrogations intéressent d’abord les personnes qui se trouvent concernées par la fracture numérique. Si celle-ci n’est peut-être pas aussi profonde qu’on l’entend dire parfois, elle est extrêmement problématique pour les individus affectés. Ces interrogations intéressent aussi le gestionnaire de la sécurité sociale. Quel équilibre trouver entre, d’une part, des usines de traitement (que rien n’attache fondamentalement aux territoires) et, d’autre part, une relation humaine et une écoute personnalisée (qui ne peuvent qu’être territorialisées) ?
De façon plus prospective, une autre dimension de la révolution numérique, la dimension participative ou collaborative, apporte aussi son lot de potentiels renversements. Des usagers plus participatifs s’investissent dans la gestion directe des services qui les concernent (ne serait-ce qu’en renseignant et suivant leurs dossiers). Le système devient, comme ceci était souhaité en 1945, directement géré par les personnes concernées. Mais quid, dès lors, du paritarisme et des représentants élus ou désignés quand le service est directement géré par les usagers ? Si le numérique apporte bien de la nouveauté, il permet aussi de renouer avec des traditions anciennes. La sécurité sociale 2.0 peut reposer sur un mutualisme 2.0, des individus, des ménages, des groupes de population coopérant en s’informant, en s’entraidant (par exemple dans l’accueil des enfants ou des personnes âgées dépendantes), sans autre nécessité que des plateformes de mise en relation. Ce sont des relations de pair à pair (P2P en anglais numérique) qui s’étendent. D’où un néologisme possible, celui du « pairitarisme » venant remplacer le paritarisme. S’il y a probablement de l’utopie ou du cauchemar (là encore c’est selon) dans l’énoncé de ces perspectives, elles doivent être saisies avec le plus grand sérieux. Pour les organismes et branches de la sécurité sociale, en collaboration ou en compétition avec d’autres pans de la protection sociale (par exemple Pôle emploi ou les complémentaires), il y a là une question majeure de survie. Celui qui saura le mieux gérer les données et offrir le service de meilleure qualité incarnera, sous ce nom ou sous un autre, la sécurité sociale 2.0.
- B) Idéologie : révolution libérale ou révolution social-démocrate ?
Une crainte régulièrement répétée, en particulier par les opérateurs du système de protection sociale, tient du risque de « libéralisation » du système. Il faut entendre par là, principalement, la privatisation et la mise en concurrence de l’ensemble ou de certains pans de la protection sociale. D’essence bismarckienne et assurancielle, le système français oscille aujourd’hui entre les deux cohérences libérale et social-démocrate. La révolution libérale, que certains estiment déjà passées, que d’autres espèrent encore, passe, entre autres manifestations concrètes, par une centration sur la lutte contre la pauvreté, en mettant de côté, relativement, la lutte contre les inégalités. Des perspectives radicales de simplification, comme par exemple à partir d’une prestation unique simplifiant mais avec de nombreux perdants ou d’une prestation universelle remplaçant toutes les autres, nourrissent également l’horizon libéral[26]. Celui-ci s’incarne, plus concrètement, à l’européenne pourrait-on dire, avec la perspective d’une entrée en concurrence systématique des équipements et services sociaux. Mais, de fait, la révolution libérale n’est en rien achevée et ce sont les prochaines années qui diront ce qu’il en sera et si les propositions libérales françaises seront entendues[27]. Dans une version extrême, cette libéralisation de la protection sociale passe par la concurrence totale entre les régimes et les systèmes, avec liberté d’affiliation ou non. C’est une marchandisation nouvelle du travail, avec d’autres formes de garanties mais sans protection collective obligatoire. Du côté social-démocrate, c’est la perspective dite de l’investissement social, déjà évoquée, qui est mise en avant. Est-il aujourd’hui possible de trouver les nouveaux compromis, les instruments et les visées qui permettraient de redéfinir les missions de l’Etat providence au XXIe siècle ? C’est toute l’ambition des réflexions et propositions en termes d’investissement social. Celles-ci sont vaillamment promues, en France, par le chercheur Bruno Palier[28]. L’idée procède d’un constat martelé : les systèmes de protection sociale, en particulier en Europe, avec leurs différences, se sont constitués non pas pour prévenir les problèmes sociaux, mais plutôt pour compenser les charges liées à leurs conséquences. C’est donc une réforme en profondeur qu’encouragent les partisans de ce mouvement vers un Etat-providence centré sur le capital humain, la jeunesse et l’enfance. Il y a là non pas une révision paramétrique gestionnaire établissant de nouvelles économies, mais une volonté de réaménager et réorganiser l’Etat-providence de façon à le faire sortir de la crise « par le haut »[29]. Ce qui est incontestable, et ce dans les constats des partisans de chacune des deux perspectives, libérale et social-démocrate, relève de l’hybridation des matrices idéologiques et des logiques (entre assurance et assistance) et de la dualisation, plus ou moins affirmée, entre bien protégés et mal protégés, du système français. D’où, selon, les révolutionnaires libéraux et les révolutionnaires socio-démocrates, une nécessité de réformer l’ensemble plutôt que ses seuls paramètres. Une autre option, loin d’appels jugés utopiques à la refonte, est de conserver les fondements de l’efficacité d’un système, tout en pilotant bien plus strictement les dépenses[30]. Car, oui, le système, auquel tiennent les Français, atteint nombre de ses objectifs : limitation des inégalités, bon état de santé, capacités de résistance aux chocs exogènes, relativement haut niveau de fécondité, etc. Il rencontre également de graves difficultés : déficits chroniques, « nouveaux » risques mal couverts (monoparentalité, dépendance, pauvreté), incapacité à s’accorder sur les directions que doivent prendre les réformes. Plutôt que des révolutions systémiques, des révisions paramétriques pourraient accompagner, sur les vingt ans qui viennent, l’adaptation de la protection sociale à son temps. D’une gestion plus volontariste du risque en assurance maladie à la poursuite de la réforme des retraites, l’idée force pour adapter la protection sociale est de dépenser mieux. Pas forcément moins, mais en se concentrant sur les besoins sociaux mal pris en charge et en gérant plus efficacement (ce qui n’est pas simple). À noter, aussi : la perspective d’expansion et d’extension de la protection sociale, n’est pas à rejeter, notamment quand il s’agit de prendre en compte les risques écologiques. Face à de nouveaux risques collectifs écologiques dont la responsabilité et l’assurabilité sont aussi humaines qu’elles le sont pour les risques sociaux, il faut, dans cette perspective, étendre l’État-providence plutôt que le restreindre. L’ambition est de mettre en œuvre un « État social-écologique », autour d’un « contrat social-écologique »[31]. On le voit, sur le plan idéologique, il est difficile de dessiner ce qui se passera d’ici 2035 car bien des constructions différentes, en concurrence, mais chacune avec leur cohérence, sont disponibles sur le marché des idées.
- C) Territoires : la révolution métropolitaine
Troisième révolution que nous souhaitons aborder ici, la révolution métropolitaine. Le thème n’était aucunement entrevu en 1995. Il l’est aujourd’hui, dans le monde entier, au sujet de l’affirmation de la puissance politique et économique des grandes métropoles[32]. De manière prospective, certains diront spéculative, on invite à traiter de cette révolution métropolitaine au regard des politiques sociales. Non pas pour souhaiter ou critiquer, mais pour réfléchir et envisager l’avenir avec des yeux relativement nouveaux.
Avec la décentralisation, on a vu se mettre en place, à côté de l’Etat-providence, des « départements-providence », eux-mêmes remis en question par une recentralisation, puis l’arrivée des métropoles[33]. Le conseil général s’est, en effet, vu confier, avec la vague II de la décentralisation, des responsabilités accrues sur le plan des politiques sociales. Rappelons que le département était, à l’aube de cette décennie 2000, appelé à disparaître. Mais, par la magie des couloirs et des textes, il est apparu comme le grand vainqueur de l’Acte II de la décentralisation. Désigné comme « chef de file » de l’action sociale, le département s’est imposé. Alors que les dépenses sociales départementales (30 milliards d’euros) représentent moins de 5 % du montant total des dépenses sociales, il demeure à bien des égards fondé de le qualifier de providence. C’est, en effet, à lui qu’échoient une grande partie de l’assistance et la responsabilité d’adapter les politiques aux territoires.
2014 : nouveau coup de semonce. Le département, du moins une bonne part de sa substance et de son contenu, ont été à nouveau appelés à disparaître, pour renaître après le passage au Parlement d’un projet de loi très disputé. Parallèlement, l’événement le plus marquant est bien celui de l’affirmation des métropoles, en tant que construction juridique bien française.
Les villes françaises ainsi labellisées incarnent des territoires bien plus larges que leur seul ressort administratif. Avec une capacité élevée à capter et gérer des flux (de touristes comme de denrées et données), elles rayonnent sur des aires géographiques importantes. Classées selon leurs prix, leur qualité de vie, leurs infrastructures, elles sont comparées dans le cadre de multiples classements, dans les deux contextes hexagonal et international. Le défi pour elles est tout autant celui de l’attractivité que de la cohésion sociale.
De fait, des politiques sociales de format et de contenu plus métropolitains que nationaux sont partout envisageables dans le monde. En France, la perspective n’est pas encore claire. Mais le cas lyonnais, qui voit fusionner une communauté urbaine et une partie de conseil général, doit inspirer. Il ne s’agit plus seulement, à Lyon, d’une nouvelle forme de coopération intercommunale. La fusion d’une grande partie du Conseil Général du Rhône et du Grand Lyon est, potentiellement, un big bang local à répercussions nationales. Il n’y aurait pas seulement ici nouvelle étape du processus français de décentralisation. Il y a nouveau départ des grandes villes.
Selon les termes de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles de 2014, « la métropole de Lyon forme un espace de solidarité ». Ces premiers mots, dans la définition juridique de la métropole de Lyon, ne peuvent que retenir l’attention si on se préoccupe de questions et de politiques sociales. Sur les plans de l’aide et de l’action sociales, la métropole de Lyon, depuis le 1er janvier 2015, a opéré la fusion/acquisition (si on peut se permettre la comparaison), de plusieurs organisations. Le périmètre de ce qui est strictement réuni dans une unique entité est connu. Le périmètre de l’ensemble des institutions concernées est plus large : CCAS, services de Caisses de Sécurité Sociales, opérateurs associatifs, offices HLM. Ces institutions ainsi que les politiques qu’elles mènent et celles auxquelles elles participent peuvent connaître de profondes révisions, choisies ou subies, dans les suites de la création de la métropole de Lyon.
Les métropoles françaises, à l’instar de la métropole lyonnaise, deviennent des collectivités territoriales de plein exercice, aux compétences sociales étendues. Il n’est pas certain que l’expression « métropole providence » soit vraiment judicieuse. Le vocabulaire européen valorise l’idée de métropoles « inclusives », mais sans donner de bases juridiques à la désignation. La période est, en tout cas, à la construction concrète, à partir de ce premier exemple lyonnais fait de volontarisme et de prospective[34], de ces nouvelles collectivités publiques en charge d’une partie substantielle des politiques sociales. La question nationale qui se traite avec les débats contemporains sur la réforme territoriale est de savoir si la France est en train de vivre un Acte III de la décentralisation (avec tout de même quelques parties de recentralisation) ou un Acte I du renforcement des métropoles. La dynamique mondiale et le dynamisme lyonnais montrent que cette grande comédie nationale, à plusieurs actes, n’a plus forcément grande raison. Les métropoles s’affirment organiquement et dans la vie des gens. Il est probablement aussi vain de vouloir empêcher ce mouvement que d’en rendre les traductions locales toutes obligatoires sur une même formule décidée au niveau national. Ce qui – soit dit en passant – laisse de la place aux départements…
Conclusion – Du réalisme, du volontarisme et pas de défaitisme face au futur
En 1995, le monde était bien moins connecté : le téléphone portable apparaissait, mais le smartphone était inimaginable. Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, l’accès au téléphone portable est bien plus étendu que l’accès à l’eau potable. Même dans les pays les plus pauvres la révolution numérique est à l’œuvre. En 1995, la protection sociale française était moins contractualisée, moins régulée, moins étatisée. Chacun choisira son qualificatif. En tout cas, il y a 20 ans, même si précisément elles étaient en phase d’élaboration, pas encore de COG ni de LFSS. Surtout, il y a 20 ans la protection sociale était moins étendue. La dynamique d’universalisation, auparavant on disait généralisation, nourrit l’expansion de la protection sociale. Dans le monde tout d’abord, où l’on vise des socles de protection sociale[35], voire avec les « objectifs du développement durable » (ODD) que la communauté internationale a voté en 2015, une couverture maladie universelle à l’échelle mondiale. Il y a 20 ans, en France, la CMU n’était pas née.
Tout ceci rend, au fond, modeste quant à la prédictibilité des dynamiques. Bien entendu l’essentiel de la prospective est de ne pas uniquement prolonger les tendances à l’œuvre[36] et d’imaginer des ruptures, de repérer ce que les prospectivistes patentés aiment baptiser les « faits porteurs d’avenir ». Ils aiment aussi faire des citations. On lit ainsi souvent des formules attribuées au général de Gaulle, à Churchill ou Saint Exupéry selon qui l’avenir ce n’est pas ce qui se passera, c’est ce que nous ferons. Et c’est précisément le titre de l’article signé en 1995 par le Président de la CNAMTS : « l’assurance maladie de demain dépend des choix que nous ferons aujourd’hui »[37]. L’affirmation reste valable et le restera certainement longtemps. Mais l’ultime remarque est à trouver dans la conclusion de Raoul Briet, dans ce qu’il a appelé ses « réflexions sur l’au-delà » (ses réflexions sur les retraites pour 2015 et au-delà)[38] : est-il judicieux de raisonner aujourd’hui avec les notions et conceptions qui datent parfois d’hier pour prévoir l’après-demain ? Cette ultime interrogation est laissée à la sagacité du lecteur.
[1]. On s’autorise à renvoyer ici aux développements, proposés d’ailleurs à l’occasion de cet anniversaire des 70 ans, dans Julien Damon, Benjamin Ferras, La sécurité sociale, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2015.
[2]. Ce type d’exercice, à distinguer de l’uchronie, chère à Bernard Cazes (voir, plus globalement, son Histoire des futurs. Les figures de l’avenir de saint Augustin au XXIe siècle, Paris, L’Harmattan, coll. « Prospective », 2008, 2ème éd.), a acquis ses lettres de noblesse avec l’ouvrage de Jacques Lesourne, Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu. Une relecture du XXème siècle européen, Paris, Odile Jacob, 2001. Pour un exercice de rétroprospective autour de la famille et de la politique familiale, voir Julien Damon, « Les métamorphoses de la famille. Rétroprospective, tendances et perspectives », Futuribles, n° 396, 2013, pp. 5-21
[3]. Jean-Jacques Dupeyroux (dir.), « La protection sociale demain », Droit social, n° 9-10, septembre-octobre 1995. On se reportera largement à ces contributions mais aussi à d’autres articles de la revue, parus avant et ensuite. Ce privilège accordé ici à une revue naît du caractère incontestable de jalon à attribuer au numéro spécial de 1995. Il va sans dire que nombre d’autres revues, la Revue de droit sanitaire et social en premier lieu, sont tout aussi éminentes !
[4]. Jean Choussat, « L’hôpital en 2025 », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 792-796.
[5]. Raoul Briet, « Retraites : réflexions sur 2015 et au delà », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 797-800.
[6]. Jean-Jacques Dupeyroux, « 1945-1995 : quelle solidarité ? », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 713-715.
[7]. Claude Bébéar, « Pour un changement radical de système », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 734-738.
[8] . Jean-Michel Belorgey, « Logique de l’assurance, logique de la solidarité », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 731-733.
[9]. Pierre Volovitch, « Faut-il cibler la protection sociale sur ‘ceux qui en ont réellement besoin’ », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 739-743.
[10]. Pascal Penaud, « Nouvelles technologies de l’information : quel impact sur les organismes de sécurité sociale ? », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 769-771.
[11]. Pour deux occurrences, voir J. Moitrier, « La complexité comme mode de gestion de notre système de sécurité sociale », Droit Social, n° 5, 1971, pp. 355-364 ; M. Souveton, « Simplifications administratives : mythes et réalités », Droit Social, n° 6, 1971, pp. 409-419.
[12]. Etienne Marie, « Sur la complexité : l’exemple des règles gérées par les caisses d’allocations familiales », Droit social, 1995, pp. 760-764) ; Bertrand Fragonard, « Quelques réflexions à propos de la complexité du système des prestations familiales », Droit social, 1995, pp. 765-768). Signalons l’admirable formule de Jean-Jacques Dupeyroux dans sa contribution venant introduire ces deux articles (« Pour ouvrir le débat sur la complexité », Droit social, 1995, 758-759), « plus la détresse est grande, plus le système est opaque ».
[13]. Pour quelques autres jalons, ensuite, dans ce débat essentiel, cf. Etienne Marie, « La simplification des règles de droit », Droit social, n° 4, 2002, pp. 379-390 ; Michel Borgetto, « Le droit de la protection sociale dans tous ses états : la clarification nécessaire, Droit social, n° 6, 2003, p. 646-648. On lira aussi le rapport, plus général, du Conseil d’État, Sécurité juridique et complexité du droit, Paris, La Documentation française, 2006. On lira, encore, les travaux et suggestions de Jacques Bichot, « France : l’inflation législative et réglementaire. Les planches à décrets sont-elles combustibles ? », Futuribles, n° 330, 2007, pp. 5-24, Le labyrinthe. Compliquer pour régner, Les Belles Lettres, 2015. Dans ce dernier ouvrage, Bichot écrit que la complication permet aux bureaucrates (publics ou privés) de bien vivre, aux dépens de ceux qu’ils doivent servir. L’ensemble est une peinture détaillée et argumentée de la « minocratie » : le gouvernement par la dissimulation et la complication. Relevons que la peur de la complexité et l’aspiration au « choc de simplification » ne se trouvent pas qu’en France. Voir ce qu’en dit un conseiller influent du Président Obama, Cass R. Sunstein, Simpler. The Future of Government, Simon & Schuster, 2013.
[14]. Marie-Thérèse Join-Lambert, « Les ‘nouveaux risques’ », Droit social, 1995, pp. 779-784. Et au-delà du traitement des risques nouveaux ou anciens, pour une analyse de l’évolution même du « risque social », voir, notamment, Jean-Pierre Chauchard, « Les nécessaires mutations de l’État-providence : du risque social à l’émergence d’un droit-besoin », Droit social, n° 2, 2012, pp. 135-139.
[15]. Pour une tentative de clarification sur les sources et les formes de l’investissement social, voir Julien Damon, « L’investissement social : contenu et portée d’une notion en vogue », Revue de droit sanitaire et social, n° 4, 2015, pp. 722-733
[16]. Gérard Adam, « Quelques évidences sur le paritarisme », Droit social, 1995, pp. 744-747.
[17]. Rolande Ruellan, « Qui est responsable ? », Droit social, 1995, pp. 718-722. Une lecture à compléter, pour actualiser, par Michel Borgetto (dir.), Qui gouverne le social ?, Paris, Dalloz, 2008
[18]. Voir Bruno Palier, Giuliano Bonoli, « Phénomènes de Path Dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue française de science politique, vol. 49, n° 3, 1999, pp. 399-
[19]. Voir, par exemple, les travaux de la branche famille en 2005 sur l’avenir de la protection sociale en 2015 : « Prospective 2015. Politiques familiales et sociales », Informations sociales, n° 128, 2005. Voir également les travaux menés en 2015 sur la politique familiale en 2025, à paraître dans Information sociales.
[20]. Voir, par exemple, les actes du colloque « Quel avenir pour la Protection sociale française ? », En3s/ENA, novembre 2012.
[21]. L’ensemble est disponible sur www.securite-sociale.fr
[22]. Voir les travaux et analyses, particulièrement vivifiantes, de The Family. www.thefamily.co. Voir aussi Nicolas Colin, Henri Verdier, L’âge de la multitude. Entreprendre et gouverner après la révolution numérique, Paris, Armand Colin, 2012. Voir aussi l’analyse approfondie de Sandrine Cassini et Philippe Escande, Bienvenue dans le capitalisme 3.0, Paris, Albin Michel, 2015
[23]. Voir, entre autres, les travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS).
[24]. Alain Supiot, en 1995, s’intéressait déjà, dans sa contribution au dossier de Droit social aux évolutions du salariat : « L’avenir d’un vieux couple », Droit social, 1995, pp. 823-831. Il signalait des signes de décomposition du statut salarial. Pour mesurer les impacts des TIC, aujourd’hui (en 2015) et demain, sur les deux mondes du travail et de la protection sociale il faut lire les chroniques de Jean-Emmanuel Ray dans la revue.
[25]. C’était là un point central de l’analyse de Pierre Rosanvallon, en 1995, non pas dans Droit Social, mais dans La nouvelle question sociale, Paris, Seuil, 1995.
[26]. Voir, en ce sens, les analyses et propositions libertariennes et conservatrices, dans le contexte américain, de Charles Murray, In Our Hands. A Plan to Replace the Welfare State, Washington, AEI Press, 2006.
[27]. On pense, par exemple, à Claude Bébéar (dir.), Réformer par temps de crise, Paris, Les Belles Lettres, 2012 ; Arnaud Robinet, Jacques Bichot, La mort de l’État providence. Vive les assurances sociales !, Paris, Les Belles Lettres, 2013.
[28]. Voir l’ensemble de son œuvre depuis Bruno Palier, Réformer la Sécurité sociale. Les interventions gouvernementales en matière de protection sociale depuis 1945. La France en perspective comparative, Thèse de Sciences Politiques, Paris, IEP de Paris, 1999. Pour une version contenant de nombreuses propositions, voir Bernard Gazier, Bruno Palier, Hélène Périvier, Refonder le système de protection sociale, Presses de Sciences po, 2014.
[29]. Voir les remarques finales du chapitre « Le développement des systèmes de sécurité sociale » dans Jean-Jacques Dupeyroux, Michel Borgetto, Robert Lafore, Droit de la sécurité sociale, Paris, Dalloz, 2015.
[30]. Bertrand Fragonard, Vive la protection sociale !, Paris, Odile Jacob, 2012.
[31]. Voir Éloi Laurent, Le bel avenir de l’État Providence, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.
[32]. Voir Julien Damon, « Vers un monde métropolitain ? », Futuribles, n° 408, 2015, pp. 39-47.
[33]. Voir Robert Lafore, « La décentralisation de l’action sociale. L’irrésistible ascension du ‘département providence’ », Revue française des affaires sociales, 2004, n° 4, pp. 17-34, « Département : une victoire à la Pyrrhus ? », Actualités sociales hebdomadaires, n° 2931, 30 octobre 2015.
[34]. À ce titre, voir Millénaire 3, le centre de ressources prospectives territoriales, sociales et urbaines du Grand Lyon. www.millenaire3.com
[35]. Voir Martin Hirsch, Sécu : objectif monde. Le défi universel de la protection sociale, Paris, Stock, 2011.
[36]. Reste que la description d’un système qui serait mécaniquement issu des tendances actuellement à l’œuvre, et notamment en raison des problématiques économiques, a toute son importance. Voir ainsi le travail original et percutant de Didier Tabuteau, 2025 : l’odyssée de la Sécu, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 2008. Le tableau de Tabuteau pour 2025, établi à la fin des années 2000, n’est pas reluisant. En 2025, les dépenses de santé représentent plus de 14 % du PIB, contre environ 10 % aujourd’hui. Le quart de la population n’est pas couvert ou l’est très mal. Depuis une réforme, qu’il imagine en 2008 pour 2013, la médecine de ville est duale : les « cabinets solidaires » appliquent les tarifs négociés avec la Sécu, les « cabinets sélectifs » pratiquent des honoraires libres. Entièrement privatisés en 2018, des Réseaux hospitaliers régionaux (RHR) assurent les soins les plus lourds. Les laboratoires pharmaceutiques gèrent les traitements individuels des patients, préparés notamment à partir de leurs cellules…
[37]. Jean-Claude Malet, « L’assurance maladie de demain dépend des choix que nous ferons aujourd’hui », Droit social, 1995, pp. 785-788.
[38]. Raoul Briet, « Retraites : réflexions sur 2015 et au delà », Droit social, n° 9-10, 1995, pp. 797-800.