Deux ouvrages récents captivants. Le premier de Laurent Davezies rencontre le succès. Il porte sur la future crise territoriale liée à l’endettement public (et donc à la sortie des dépenses publiques des territoires…). Le second de Pierre Veltz montre que la France est plus unitaire qu’on ne le pense…. Mais aucune contradiction. Tous les deux parlent d’un avenir français qui est celui des métropoles. Pour le reste du territoire, ce sera moins glorieux…
CHOC TERRITORIAL EN VUE
Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, « La République des idées », 2012, 111 pages, 11,8 €.
La crise est, en réalité, à venir. Après les secousses des crises environnementales, financières et du coût de l’énergie, bien amorties par le modèle social français, les contrecoups de l’endettement public frapperont très différemment les territoires d’une France encore bercée de ses deux idées d’unité et d’égalité.
Le Davezies nouveau, sur la « nouvelle fracture territoriale », a toutes les vertus de l’auteur. Professeur au CNAM, il sait compter, écrire et provoquer. Compter, car il aime fouiller dans les bases de données afin de décrire les réalités d’une France qui, rétive à la mondialisation, s’est adaptée par densification de son système de redistribution sociale. Écrire, car il aime la synthèse et les formules frappantes (il en va ainsi de sa réserve sur l’INSEE qui aurait « le calcul entre deux chaises »). Provoquer, car sa thèse générale ne manque pas de faire sursauter. Ces qualités provoquent le succès d’un ouvrage qui soutient que, loin d’être tirée d’affaire, la France va bientôt vivre la déflagration des conséquences du surendettement public.
Le modèle social français constitue un amortisseur de chocs économiques. Mais les mécanismes stabilisateurs, contenus dans l’importance de l’emploi public (majoritairement féminin) et de la protection sociale, sont d’une efficacité coûteuse et, potentiellement, ruineuse. Selon les mots de l’auteur, les remèdes consistant à injecter du salaire public et de la prestation sociale deviennent des poisons. Et tout ceci s’opère très différemment selon les lieux. Aussi il importe de « déglobaliser » la crise afin de placer la focale à l’échelle territoriale. Les territoires de l’hexagone sont, pour le moins, bariolés en ce qui concerne la source des revenus de leurs habitants. Les salaires publics représentent, selon les zones d’emploi, de 8 à 25 % du revenu disponible des ménages, les prestations sociales de 9 à 27 %, et les pensions de 13 à 42 %.L’Ile-de-France, moins dépendante des dépense publiques, souffrirait moins de leur baisse que d’une augmentation des prélèvements. Il en va totalement à l’inverse pour le Limousin.
Davezies distingue, didactiquement, quatre France. Une France marchande dynamique (40 % de la population), qui rassemble les métropoles désindustrialisées. Une France non marchande dynamique (40 % de la population) qui est une France « keynésienne » des retraités et des salaires publics. Ces territoires s’en sortiront. Il n’en ira pas forcément de même pour les deux autres France (chacune représentant 10 % de la population), l’une marchande mais non dynamique, qui a déjà un genou à terre, l’autre ni dynamique ni marchande, vivant essentiellement des revenus sociaux.
Favorable à l’établissement d’une comptabilité territoriale, l’expert propose, en quelque sorte, entre micro et macro une sorte de géoéconomie locale, une territo-économie. C’est, en tout cas, tout un modèle de développement, d’aménagement et de croissance, celui d’une consommation alimentée par l’endettement, qui est remis en question. Ces pages vives, peut-être par endroit trop bardées de chiffres, rappellent fondamentalement que les politiques sociales (implicitement territoriales) et les politiques territoriales (explicitement sociales) sont intimement liées. Elles rappellent également, comme une adresse à la Ministre Duflot en charge du portefeuille, que la notion d’égalité des territoires ne va pas de soi. Et de moins en moins…
MÉTROPOLE FRANCE
Pierre Veltz, Paris, France, Monde. Repenser l’économie par le territoire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’aube, 2012, 238 pages, 15 €.
L’exceptionnelle configuration urbaine française fait du pays, dans sa globalité, une métropole. Avec de puissantes atouts, mais aussi bien des défis à relever.
Pierre Veltz, ancien directeur de l’école des Ponts, aujourd’hui à la tête du projet d’aménagement du plateau de Saclay, propose un retour aux réalités et aux actualités géographiques. Dans son analyse de l’encastrement contemporain des dynamiques économiques et territoriales, il revient sur l’histoire longue et tumultueuse des relations entre Paris et les régions. Surtout, à rebours des déclinistes patentés, il insiste sur la « force agissante » de l’édifice territorial à la française. Son observation tient dans un constat qu’il partage avec Michel Serres : la France est une métropole, dont le TGV est le RER. « Métropole distribuée », elle est constituée de territoires de front office ou de back office, de plaisir ou de relégation, de résidence ou de production.
Cette configuration urbaine, avec ses lourdeurs (une gouvernance d’un autre âge) et ses difficultés (permanence voire amplification des clivages et des inégalités), est unique au monde. Alors que l’aménagement du territoire s’est appuyé sur une certaine urbaphobie, un anti-parisiannisme et, partant, un souci de lutter contre le désert français, il faut aujourd’hui soutenir la puissance parisienne et le « concert français ». Toutes les agglomérations, plus en symbiose qu’en concurrence, partagent un destin lié. Dans un monde hyperindustriel et postnational, avec des nouvelle combinaison des idées, des biens matériels et des services, les contraintes géographiques ne sont plus les mêmes. Si les distances n’ont pas été abolies, le monde, vivant comme un archipel de grandes métropoles, est désormais accessible de partout. C’est un monde où la mobilité des personnes est plus importante que celle des capitaux. Un monde où le capital va désormais au travail (qualifié) quand l’inverse a très longtemps prévalu. La France, dans ce contexte, a son unité, autorisée notamment par le système national de redistribution qui permet la coexistence des territoires, leur convergence sur le plan macro, même si les divisions sur des échelles plus restreintes peuvent s’étendre.
Le Grand Paris (première ville universitaire mondiale) a des atouts : sa diversité de filières, sa qualité de vie, sa symbiose avec le reste du pays. Mais tout n’est pas rose. Paris court le risque d’une « patrimonialisation luxueuse » (à la Venise). L’équation francilienne d’allègement des coûts de logement et d’amélioration des conditions de transport est difficile à résoudre. La trop grande fragmentation communale au pays des 36 000 communes et des 300 fromages pèse. D’où la nécessité de simplifier, de renforcer politiquement l’intercommunalité, et, concrètement, de faire absorber Montreuil ou Boulogne par Paris. Bien des propositions et observations pour une analyse particulièrement roborative. À relire dans quelques années, pour voir ce qui se sera passé.