« Quelles solutions face à la précarité ? », Sciences Humaines, n° 289, 2017, pp. 48-51.

Les politiques publiques contre la précarité

 

Julien Damon

Professeur associé à Sciences Po

Dernier ouvrage paru : 100 Penseurs de la société (PUF, 2016)

 

La notion de précarité, devenue un élément important des débats politiques et des expertises sociales, désigne des situations et phénomènes différents mais convergents. Il s’ensuit des programmes d’action publique dans des domaines variés mais avec des points communs. Concrètement, la précarité désigne une absence ou une insuffisance de revenus, mais aussi une instabilité des situations. C’est dans les années 1980, alors que l’on parlait beaucoup de « nouvelle pauvreté » et, en réponse, de « nouvelles solidarités » que la lutte contre la précarité a été érigée en objectif explicite de politiques publiques. Fondamentalement, la précarité revient à ce qui est parfois baptisé « insécurité sociale »[1]. Alors que depuis l’après-guerre et tout au long des « Trente Glorieuses » la sécurité sociale s’étendait et se renforçait, accompagnant l’extension du salariat et des classes moyennes, la « crise » des années 1970 a stoppé ce mouvement d’ascension sociale et de renforcement des garanties et couvertures sociales rattachées à l’emploi. Le chômage a bousculé l’édifice d’une protection sociale dont le principe repose sur le travail et, plus précisément, sur le projet d’un plein emploi salarié. Afin de lutter contre cette insécurité sociale grandissante et pour continuer à assurer le développement de la sécurité sociale, tout un ensemble de réponses ont été montées par les gouvernements successifs. Il en va, d’abord, des dispositifs de lutte contre la pauvreté, qui ont été au tout départ, au milieu des années 1980, appelées « programmes de lutte contre la pauvreté et la précarité ». Il en va, ensuite, des réformes et révisions du droit du travail afin de tenter d’y maintenir ou d’y faire accéder des travailleurs « précaires ». Il en va, enfin, de tentatives ou projets bien plus substantiels ne cherchant pas à réformer à la marge les contours d’une protection sociale principalement axée sur le salariat, mais à la refondre en profondeur de manière à mettre fin au « précariat ».  Les politiques publiques ont, en effet, contribué à cette institutionnalisation progressive de la précarité, avec une coupure assez nette entre les salariés plutôt bien protégés, et les autres actifs ballotés d’un statut à un autre.

 

La lutte contre la pauvreté et la précarité

Avant le début des années 1980, l’Etat ne disposait pas d’instruments ni, encore moins, de politiques publiques structurées explicitement pour lutter contre la pauvreté. La sécurité sociale, par sa généralisation, devait couvrir toutes les populations et prévenir les situations défavorisées. Le choc du chômage, à partir des chocs pétroliers, a déstabilisé cette ambition. Des personnes pauvres, ne relevant pas de la catégorie des infirmes, des vieillards ou des handicapés, venaient frapper aux portes de l’assistance, auprès des associations caritatives ou des services des villes. Des actifs ne trouvaient plus d’emploi, ne gagnaient plus suffisamment pour subvenir à leurs besoins. Certes des réflexions et propositions se faisaient jour pour prendre en considération ce qui commençait à être appelé « exclusion », mais rien n’a véritablement été lancé avec grande ampleur avant les hivers rigoureux du début de la décennie 1980. A ce moment, la gauche gouvernementale et de la droite d’opposition s’accordent avec le secteur associatif pour répondre, en urgence, aux situations des nouveaux pauvres et de ceux qui commencent à être nommés « précaires ». Ainsi des campagnes « pauvreté/précarité » sont décidées et mises en œuvre conjointement par l’Etat et les collectivités territoriales. Afin de compenser l’absence ou l’insuffisance de revenus de ces chômeurs ou travailleurs à revenus faibles et instables, sont créés des compléments locaux de ressources, qui deviendront, en 1988, le Revenu minimum d’insertion. Ce RMI est conçu pour éliminer les formes les plus extrêmes de la nouvelle pauvreté, mais aussi pour atténuer les difficultés des actifs en situation précaire. Sur le plan de la précarité du logement, c’est-à-dire de l’instabilité ou de l’insalubrité de l’habitat, ce sont des dispositions en termes de droit au logement qui vont orienter les nouvelles priorités de la politique du logement. La plupart des recompositions et réformes de la protection sociale, depuis cette période, visent à réduire la précarité et ses conséquences, à la fois sur les individus, les familles et la collectivité. Sur le plan du financement de la protection sociale, la création, en 1991, de la contribution sociale généralisée (CSG), prend acte du fait que les revenus du travail ne peuvent plus constituer la seule ressource d’une sécurité sociale qui s’étend au-delà des salariés et des indépendants. Tout ce qui a été tenté pour lutter contre le chômage, de la réduction des cotisations sociales à la mise en place des 35 heures hebdomadaires de travail, relève d’une volonté de stabiliser à nouveau un monde du travail, et, en son sein, principalement un salariat qui est déstabilisé par le nouvel environnement économique. En un sens, une grande partie des décisions de politiques sociales depuis plus d’une trentaine d’années ont été prises de manière à essayer de contrecarrer et limiter la précarité, tant dans ses effets individuels (dégradation des niveaux de vie et des relations sociales) que dans ses contrecoups collectifs (dualisation de la société et difficultés accrues à maintenir à la fois cohésion sociale et protection sociale). Dans une large mesure, la création puis la transformation du Revenu de solidarité active (RSA), dans la suite du RMI, incarne cette volonté d’assurer à la fois un socle minimun et des incitations à l’emploi pour les personnes précaires, ou au moins une partie significative d’entre-elles, connues désormais comme des « travailleurs pauvres ». Exerçant une activité professionnelle, généralement réduite et peu rémunératrice, ces précaires vivent dans des foyers aux revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Ils se trouvent au noyau dur de la précarité. Les difficultés des politiques publiques qui visent à les aider à s’extraire de leurs problèmes se trouvent au noyau dur des controverses sur les formes et l’étendu légitimes de l’aide sociale[2].

 

Droit du travail, droit de l’emploi et flexisécurité

Face à la précarité, le droit du travail, qui protège essentiellement le salarié, a été appelé à s’adapter. Il a été appelé à s’adapter pour, en quelque sorte, digérer la précarité. Ce faisant il l’a institutionnalisée. En l’espèce, ce sont les « contrats aidés » qui matérialisent le mieux cette réalité et cette perspective. Des les années 1980, de nouvelles formes d’insertion dans l’emploi, qui ne sont pas des formes traditionnelles d’intégration dans l’entreprise, voient le jour. Sont alors créés et développés, sous forme de contrats de stage, des stages d’initiation à la vie professionnelle (SIVP) et des travaux d’utilité collective (TUC). Les pouvoirs publics prennent alors acte des difficultés particulières de la jeunesse à trouver du travail. Dans les années 1990, ces contrats particuliers vont se renforcer, devenant de vrais contrats de travail, mais limités dans le temps, avec des subventions publiques censées palier la plus faible productivité de leurs titulaires, et avec une vocation à combler des besoins en théorie non satisfaits par le marché du travail « normal ». Ce seront les contrats emploi solidarité (CES) et contrats emploi consolidés (CEC). Parallèlement, et plus largement, le recours au contrat à durée déterminée (CDD) va s’intensifier. Alors que le contrat de travail de référence est le contrat à durée indéterminée (CDI), le CDD se banalise et devient, pour une partie de la population, une porte de sas vers le CDI. Pour une autre partie de la population, le CDD n’est qu’une nasse, un moment vers un autre CDD ou une période de chômage. D’autres contrats aidés, comme le contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) ou, à partir de 2012, les emplois d’avenir actualisent la panoplie des réponses à la précarité. Celle-ci, de fait, est devenue un élément du paysage du marché du travail. Il ne s’agit plus de l’éradiquer mais de la gérer. Significativement, à tout CDD est attachée une prime de précarité, c’est-à-dire une indemnité spécifique de fin de CDD, venant s’ajouter aux autres indemnités prévues pour toute cessation du contrat du fait de l’employeur. Pour les publics les plus précaires, que l’on dit également les plus éloignés de l’emploi, c’est tout un secteur économique singulier qui a également été imaginé. Sous formes juridiques classiques, des entreprises d’insertion, des associations intermédiaires, des régies de quartier emploient des personnes aux problèmes particulièrement denses, avec des soutiens publics, sur des missions normales. L’ensemble de ce secteur et de ces contrats représente, contre son gré, l’institutionnalisation de la précarité. Sans qu’il se transforme fondamentalement, le droit du travail s’est peu à peu adapté à la précarité. Non pas en cherchant à faire varier ses garanties et protections pour le salarié, mais en laissant se développer, à côté de lui, un droit de l’emploi[3]. Pour lutter contre la précarité, un domaine économique et juridique particulier s’est installé. L’ensemble donne corps à une caractérisation classique du modèle français : d’un côté des insiders plutôt bien pris en compte et en charge, de l’autre des outsiders (les pauvres et précaires) aux ressources faibles et aux situations généralement instables. Bien conscients de cette tension et de ce possible creusement d’un fossé, les pouvoirs publics cherchent à réagir, en voulant combler la distance entre droit de l’emploi et droit du travail. La loi sur la sécurisation de l’emploi (2013) comporte ainsi plusieurs mesures visant à réduire la précarité des travailleurs, en favorisant le recours aux CDI, en améliorant la situation des salariés à temps partiel (durée minimale fixée à 24 heures) et en offrant aux salariés de nouveaux droits dans les domaines de l’assurance chômage, de la santé et du logement. L’idée générale, pour dépasser la précarité, est celle de la flexisécurité. Pour traiter de la précarité subie par les travailleurs et de la flexibilité nécessaire aux entreprises, il faut revoir le droit du travail issu des compromis de la société salariale. La flexisécurité est un mot du nouveau millénaire. Issue des réflexions d’économistes et de juristes, au sein de l’OCDE notamment, la notion prend concrètement pieds en France avec les débats autour de la modernisation du marché du travail. Cette contraction lexicale maintenant répandue veut clairement signifier une combinaison de la flexibilité et de la sécurité. La flexisécurité est généralement présentée comme une caractéristique positive des modèles sociaux nordiques, danois en particulier. Elle se veut conjugaison de marchés du travail souples avec des sécurités individuelles adéquates. Ses partisans proposent, à travers une telle orientation, des instruments pour dépasser les rigidités du marché du travail. Ses détracteurs y voient des attaques pour désagréger les protections collectives issues des Trente Glorieuses. Ses partisans soutiennent, par exemple, la création récente d’un compte personnel d’activité (CPA). Celui-ci doit permettre d’assurer les transitions professionnelles de manière plus souple, permettant à chacun de construire son parcours professionnel, en s’appuyant notamment sur un droit universel à la formation. Dans un monde changeant, en particulier dans un contexte de révolution numérique, de remontée du nombre d’indépendants, de critiques à l’égard de la vie salariale, des instruments comme le CPA veulent régler la précarité en créant de nouvelles sécurités pour tout le monde. A l’inverse, les opposants à la flexisécurité vont voir dans le contenu de la loi travail de 2016, dite loi El Khomri, un ensemble d’agressions contre le droit du travail, amenant une précarisation plus grande encore. Très contestée, cette loi originellement titrée « loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », ne contient finalement pas d’évolutions radicales. La mobilisation à laquelle elle a conduit montre d’abord que la révision du droit du travail et du droit de l’emploi ne va jamais de soi.

 

Précariat, révolution numérique, revenu universel

À mesure de son affirmation dans le débat public et, surtout, dans la réalité de millions de ménages, la précarité est devenue un sujet et un problème structurels, et non plus une situation transitoire, conjoncturelle, que traverseraient des individus et la société salariale. Des sociologues ont proposé le néologisme « précariat », formé à partir des mots précarité et prolétariat, pour décrire une sorte de nouvelle classe sociale. Celle-ci, repérée avec ce mot dans bien des contextes nationaux (en France, mais aussi un peu partout en Europe ou aux Etats-Unis), serait la résultante des évolutions des politiques du travail et de l’emploi, mais aussi des mutations de l’emploi et du travail. En période de révolution numérique et d’économie dite de la connaissance, les moins qualifiés et les moins productifs seraient irrémédiablement écartés de l’accès au salariat. D’où la nécessité impérieuse d’innover. Certains appellent au renforcement du droit du travail classique, assorti d’augmentation des pénalités pour les entreprises produisant trop de précarité. D’autres estiment que la voie adéquate est celle de la flexisécurité. D’autres encore pensent que des solutions de type « revenu universel » s’imposent. À gauche comme à droite, chez les plus libéraux comme chez les plus interventionnistes, l’idée fondatrice est la même : assurer à tous un minimum de revenus et de droits sociaux permettant, en théorie en toute liberté, de refuser un emploi plutôt bien payé mais ennuyeux et d’accepter une emploi plutôt mal payé mais passionnant. Si les visées ne sont pas les mêmes (compléter l’Etat providence, pour les uns ; le détruire, pour les autres), il s’agit incontestablement d’une option qui a, sur le papier, bien des vertus. L’établissement d’un tel revenu, dont la première caractéristique serait d’être inconditionnel (donc sans lien avec l’activité professionnelle), permettrait de mettre fin aux controverses sur la précarité, en en limitant assurément les manifestations les plus importantes. Reste que dans le contexte français un tel revenu, de plus en plus souvent évoqué, pose des questions de simple faisabilité. Surtout, dans un contexte de protection sociale universelle (assurance maladie, politique familiale et système de retraite permettent à tout le monde de prétendre à des droits relativement substantiels), il est compliqué d’envisager l’introduction d’une prestation universelle de base. Au-delà des considérations techniques et politiques sur le revenu universel, celui-ci ne réglerait certainement pas tout ce que la problématique de la précarité révèle, en particulier en termes de dualisation, déclassement et désespoir d’une partie de la société. En France, comme dans nombre d’économies développées.

[1]. Robert Castel, L’insécurité sociale. Qu’est-ce qu’être protégé ?, Le Seuil, col. « La république des idées », 2003.

[2]. Pour davantage de développements, cf. Julien Damon, L’Exclusion, PUF, « Que sais-je ? », 2014.

[3]. Sur cette distinction, voir Jean-Emmanuel Ray, Droit du travail, droit vivant, Wolters Kluwer, 2016.

« Rétrospective de la prospective de la branche Famille de la sécurité sociale : variables, scénarios et enseignements », Informations sociales, n° 193, 2016, pp. 86-93

Rétrospective de la prospective de la branche Famille

Variables, scénarios et enseignements

 

Julien Damon

 

Julien Damon est professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de la sécurité sociale (En3s). Il a été responsable de la recherche et de la prospective à la CNAF de 1999 à 2005. Dernier ouvrage paru : La sécurité sociale (PUF, coll. « Que sais-je ? », 2015).

 

La branche famille est familière de la prospective. Les démarches les plus récentes s’inscrivent dans une tradition de travaux d’anticipation, de projection et de prospective remontant aux années 1960. La branche, notamment par l’intermédiaire de ses dirigeants qui participaient aux Commissions du Plan comme aux analyses doctrinales publiées notamment dans la revue Droit Social, a alors largement contribué à des réflexions et inflexions de la politique familiale.

 

On peut, ensuite, grossièrement distinguer quatre périodes passées qui ont été caractérisées par quatre principaux sujets de prospective. Les premiers travaux (publiés dans les années 1970 et 1980) portent sur la famille, son évolution et l’évolution plus générale des politiques sociales. Une deuxième période (dans les années 1990) porte sur la politique familiale, et, directement, sur ce que les CAF peuvent faire et proposer dans un environnement qui se transforme. Une troisième période (dans les années 2000) traite de l’environnement des politiques familiales, avec établissement de scénarios de contexte, en se penchant sur les conséquences de différents scénarios sur les CAF. Une quatrième période (au début des années 2010) va plus directement se concentrer sur les perspectives et souhaits d’évolution des métiers, de l’identité et du réseau des CAF. Ces exercices les plus récents se rattachent à une logique plus générale de montage et de suivi des lois de financement de la sécurité sociale et des conventions d’objectif et de gestion. Mais leur horizon temporel, supérieur à l’annualité des LFSS et au caractère quinquennal des COG, autorise un détachement vis-à-vis des priorités urgentes, ceci afin de préparer des orientations stratégiques.

 

Au fil des années, les scénarios sur les politiques familiales, comme sur les CAF elles-mêmes ont été proposés, révisés, raffinés. La relecture de trois travaux passés permet certes de donner une idée de la richesse du passé, mais surtout de formaliser ce qu’il en est des options possibles, des variables déterminantes et même des scénarios pour les CAF. Rien n’est définitivement écrit pour l’avenir des CAF, mais les démarches prospectives ont permis de le baliser. Un point commun absolument central de toutes ces démarches tient du rôle des CAF dans la construction, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques. Il n’y a pas là expression d’un défaitisme face au constat de transformations par rapport à de supposés âges d’or passés, mais, au contraire, expression du volontarisme de la branche famille.

Un groupe prospective au début de la décennie 1990

Un groupe prospective, constitué autour de la Commission Organisation et Gestion (le sigle COG n’était pas employé, et ne désignait pas une convention avec l’Etat) réunissant la CNAF et le réseau des CAF, rend un rapport en 1991 avec un « essai de projection prospective de la gestion des Caisses ». Les sujets et éléments d’analyse retentissent comme profondément actuels. Alors que le rapport raisonne à l’horizon 2000, nombre de ses constats et perspectives se retrouvent, toutes choses égales par ailleurs, lorsque l’on raisonne maintenant, en 2015, à l’horizon 2025. On peut présenter, à la serpe, les éléments constitutifs de cet exercice.

 

Les variables de l’environnement stratégique à venir

  • L’importance de l’intégration européenne : si le rapport de 1990 insiste tant sur cette dimension, c’est parce que la variable semblait moins évidente mais aussi peut-être plus attrayante qu’aujourd’hui.
  • Le repositionnement des acteurs, avec la décentralisation qui va s’approfondir, mais aussi le fait régional qui se confirme.
  • L’incertitude économique du contexte et l’hétérogénéité croissante des publics de la branche.
  • Des mutations dans la gestion, avec de nouvelles méthodes pour les services publics généralement inspirées du secteur privé.
  • Les changements majeurs dans les financements (avec la toute neuve CSG) pouvant conduire à des bouleversements plus généraux.

 

Des changements majeurs envisagés pour la branche

  • Des modifications dans la relation avec les allocataires (l’allocataire devient plus actif et plus exigeant ce qui impose de diversifier les canaux de contact). Signalons que le rapport envisageait d’adopter le numéro INSEE plutôt qu’un numéro allocataire spécifique…
  • Des évolutions technologiques à venir (bureau sans papiers, un modèle national informatique)
  • Un environnement tendant à devenir plus concurrentiel.

 

Des faiblesses et des forces institutionnelles

  • Les principales faiblesses : « ethnocentrisme institutionnel », insuffisante culture de l’innovation, difficulté à valoriser son image, objectifs divers qui ne sont pas rassemblés dans un projet.
  • Les principales forces : sens du service public, bonne image externe, organisation décentralisée, coûts de gestion maîtrisés, investissements à mieux valoriser.

 

Une stratégie pour les années 1990 (à relire donc avec des yeux visant 2025…)

  • Pour donner du sens à l’action des CAF, avec un projet institutionnel affiché et une légitimité fondée sur l’allocataire.
  • Pour un marketing institutionnel, en améliorant la connaissance des attentes des allocataires, en évaluant les politiques, en faisant davantage de propositions sur les prestations.
  • Pour une adaptation aux évolutions à venir, avec une réflexion prospective systématique et une nouvelle politique de communication.

Les CAF à l’horizon 2000, vues du milieu des années 1990

Un groupe de travail interne a réalisé fin 1996, un nouvel exercice de prospective en mettant au jour les variables centrales d’évolution des CAF entre 1995 et 2000. Dans un système estimé relativement stable, quatre variables décisives ou « motrices » fortement structurantes ont été identifiées : 1/ la politique de redistribution, 2/ les mutations technologiques, 3/ les profils des publics, 4/ l’autonomie de conception des CAF. En l’absence de degrés de liberté supplémentaire, l’avenir du système apparaît ainsi relativement encadré et prédictible.

 

Le travail effectué par le groupe a permis de construire différents arbres d’influence mettant en évidence les effets cumulés des variables, et illustrant la dynamique du système étudié. Une quarantaine de tendances lourdes à horizon 2000 ont pu être identifiées et validées par les directeurs des CAF, parmi lesquelles la fiscalisation croissante des ressources, un plus grand ciblage et une plus forte conditionnalité des prestations, la montée en puissance des acteurs locaux.

 

L’analyse des jeux d’acteurs a permis, quant à elle, d’identifier les acteurs internes et externes les plus en accord et en désaccord avec les objectifs de développement des CAF. Les désaccords potentiels apparaissent en nombre limité et les CAF semblent se mouvoir dans un environnement autorisant des actions stratégiques nouvelles pour peu que leurs visées et leurs modalités d’application soient clairement explicitées.

 

Le groupe a enfin élaboré quatre scénarios de développement selon des trames très différentes :

  • Le scénario du statu quo et le scénario tendanciel correspondent à une accentuation des tendances à l’œuvre, au terme desquelles les CAF géreront de nombreuses prestations de plus en plus complexes. La pression de la productivité se fera de plus en plus sentir et les problèmes posés par la pyramide des âges des personnels s’accentueront. Le nom générique retenu pour ces deux scénarios est celui de la CAF « citadelle assiégée ».
  • Le scénario du « tout financier » exacerbe un peu plus la pression financière qui pèse sur l’institution. Le souci d’une performance optimale conduit à développer les moyens de contrôle, à standardiser les opérations et à automatiser les relations avec l’extérieur.
  • Le scénario de l’« allocataire cœur de cible » insiste tout particulièrement sur la modernisation par l’usager. Il fait de la relation avec l’usager le point central de l’action des caisses dans les domaines de l’accueil, de la réponse à la demande et du développement des compétences professionnelles.
  • Le scénario de la CAF « symbiotique », qui correspond à une situation d’excellence globale, tente de concilier le plus grand nombre possible de contraintes et de satisfaire concomitamment l’ensemble des parties prenantes à la vie de l’institution.

 

Quatre scénarios très contrastés donc, mais avec, au fond, un sujet commun : celui de la place et du rôle des CAF dans des politiques dont la conception risque de davantage leur échapper.

Encadré – La branche Famille de demain vue de 1995

Le Directeur des prestations familiales de la CNAF a tenté, en 1995, une prévision de ce que pouvait être la branche Famille dans dix ans (c’est-à-dire à peu près en 2005 quand était organisée une autre démarche prospective). Insistant sur le « caractère ardu de la tâche » il écrivait que l’exercice relevait de « la plus haute acrobatie intellectuelle ». Rappelant que la branche Famille abritait en son sein bien d’autres éléments (politiques du logement, des revenus, du handicap, etc.) Philippe Steck la présentait comme « multipolaire ». Il envisageait trois scénarios :

  • La continuation du « déclin » avec une politique familiale réduite à la portion congrue des politiques sociales.
  • L’application stricte des décisions prises au milieu des années 1990 (notamment la loi Famille de 1994) permettant une quasi stabilité de la politique familiale dans l’ensemble de la Sécurité sociale.
  • Une grande ambition, avec retour à une politique de grande ampleur telle que lancée dans les années 1950.

Ces trois scénarios sont de facture au fond très classique car ils correspondent à trois hypothèses simples (mais extrêmement utiles) : le déclin, la stabilité, le retour à l’ambition.

 

Le scénario du déclin prend en compte l’évolution passée qui, de 1946 à 1994, a vu la branche Famille considérablement reculer, proportionnellement aux autres, en termes de masse financière. Elle représentait plus de 40 % du total des dépenses de Sécurité sociale en 1946, et n’en représentait plus qu’environ 11 % vers 1995. Certaines variables, déjà repérées par Ph. Steck, comme le vieillissement de la population, l’absence de maîtrise des dépenses de santé ou la poursuite du déclin démographique pouvaient laisser envisager une branche Famille marginalisée, à hauteur de 4 ou 5 % des dépenses de Sécurité sociale. Dans ce scénario le financement par les cotisations ne se justifie plus et l’appartenance même à la Sécurité sociale est présentée comme « aléatoire ».

 

Le scénario de stabilité de la politique familiale prenait appui sur les dispositions et les ambitions de la loi famille du 25 juillet 1994. Dans le cadre de ce plan, la politique familiale devait être en quelque sorte rehaussée, et sortir de son statut de « politique résiduelle, aléa du développement des autres politiques sociales ». La loi famille, appuyée par une nécessaire croissance soutenue, pourrait permettre une quasi-stabilité des moyens de la branche Famille à hauteur de 10 % des dépenses de Sécurité sociale. Dans ce scénario, des priorités et des ciblages seraient établis vers la petite et la grande enfance. Le rapport action sociale/prestations légales pourrait passer de 5 à 15 %, avec un souci plus affirmé de développement des équipements.

 

Le scénario de très forte relance de la politique familiale reposait sur l’hypothèse d’un retour aux options de 1946. C’est principalement le constat d’un « crash » démographique accéléré, relayé par une prise de conscience européenne, qui pourrait être à l’origine d’un sursaut. Très improbable, selon son concepteur, ce scénario est celui d’une « gigantesque volonté politique » pour un « changement d’échelle intense ».

 

Pour l’auteur, l’avenir le plus probable, en 1995, est celui d’une hybridation de ses scénarios 1 et 2. A côté de ces extrapolations, il repérait, sous une large rubrique baptisée « l’imprévu…», quelques faits « lourds et porteurs » qui pouvaient avoir un impact majeur sur les évolutions de la branche et de la politique familiale. Il relevait ainsi la possibilité d’une apparition d’un « grand service public de garde gratuite des enfants âgés de moins de trois ans ». Pour la « génétique » du phénomène il notait que cette idée ne pouvait passer que si elle était portée par une femme ou un homme public qui, tel Jules Ferry en son temps, imaginait « la création d’une école pré-maternelle pour les bébés ».

 

Source : Philippe Steck, « La branche famille demain », Droit social, n° 9/10, 1995, pp. 808-814.

 

FIN DE L’ENCADRÉ

Les « futurs possibles » de la politique familiale, vus de 2005

La démarche récente de prospective la plus conséquente, au moins en termes d’investissement, a été développée de 2004 à 2006. Elle a permis de traiter, de façon très approfondie, de l’environnement global et des évolutions possibles des politiques familiales. Au terme d’un exercice de micro-scénarios par composantes (démographie, politique, etc.), il a été possible de dessiner et de déduire des scénarios globaux d’environnement de la politique familiale et, partant, des futurs possibles en termes de politique familiale.

 

Un premier scénario – tendanciel et le plus probable – relève d’ajustements paramétriques, sans réformes en profondeur. Il est marqué par un repli mécanique de la politique familiale par rapport à d’autres domaines de protection sociale. Dans un deuxième cadre il est possible d’imaginer que tous les indicateurs d’environnement se remettraient au vert, ce qui permettrait la reprise d’une dynamique vertueuse pour les dépenses publiques en direction des familles et des enfants. Ce scénario est spontanément assez improbable, dans la mesure où il ne va pas de soi et suppose la conduite de politiques très volontaristes, impliquant précisément des réformes en profondeur. Face aux évolutions démographiques et aux problèmes de financement, notamment, des choix peuvent être faits au détriment de la politique familiale (celle-ci étant contestée et critiquée) ou bien en sa faveur (ses performances étant valorisées, et sa légitimité réassurée). Il s’ensuit deux scénarios nécessairement contrastés, celui d’une politique familiale contestée ou celui d’une politique familiale rénovée.

 

Tendanciel sans réforme : le repli mécanique de la politique familiale

Ce futur possible se caractérise par le prolongement des principales tendances en cours : un contexte économique morose, un vieillissement accéléré, la continuation des transformations familiales. Les pouvoirs publics ajusteraient et gèreraient au quotidien, avec certainement des tensions accrues en ce qui concerne les financements, mais aucune réforme fondamentale ne serait mise en œuvre. Mécaniquement, dans ce contexte, la politique familiale serait en repli relatif par rapport aux autres risques, voire même en repli absolu. Les rythmes actuels de création de nouvelles prestations et de complexification du droit ne seraient pas nécessairement ralentis. Les CAF pourraient en revanche être mises totalement en question, et leurs compétences et moyens absorbés par les collectivités locales et/ou par l’Etat. Inversement, elles pourraient continuer, en resserrant leurs activités, à investir et à agir dans des domaines toujours plus restreints de prestations légales et d’action sociale. Sans être radicalement remis en cause, les fondements de la branche famille se trouveraient considérablement affaiblis, tandis que le partenariat avec les collectivités locales se trouverait ballotté par les arbitrages budgétaires dans le domaine de l’action sociale, et les difficultés à établir des priorités dans les secteurs d’intervention.

 

Les indicateurs au vert : une politique familiale confortée

Ce futur possible se caractérise par la conjonction d’évolutions favorables pour conforter la politique familiale : une croissance « retrouvée » et riche en emplois, une stabilisation des transformations familiales, un vieillissement pondéré par un niveau de fécondité encore plus élevé qu’aujourd’hui. Ce futur possible (qui n’est pas impossible mais suppose notamment d’emprunter de nouveaux chemins, en particulier pour ce qui concerne la politique de l’emploi) est celui de tous les indicateurs au vert. La politique familiale serait dans ce cadre en expansion. Lui seraient attribuées certaines des vertus de la situation actuelle : elle permettrait ainsi de soutenir la fécondité et de mieux concilier vie familiale/vie professionnelle. La politique familiale à la française pourrait inspirer les orientations de l’Union Européenne. Les moyens financiers qui lui seraient alloués se trouveraient confortés même si le besoin d’une plus grande lisibilité continuerait de se faire sentir. Ce futur possible, optimiste, n’est pas nécessairement celui du statu quo quant aux formes et aux priorités des dépenses publiques en direction des familles. De nouvelles options seraient possibles. Pour les CAF, ce scénario pourrait s’accompagner de changements notables, en particulier dans leurs relations, de plus en plus contractualisées, avec les collectivités locales.

 

La politique familiale contestée, sacrifiée

Dans un contexte de faible croissance, d’explosion des dépenses vieillesse/dépendance, de difficultés persistantes à maîtriser les dépenses de santé, des arbitrages défavorables seraient effectués au détriment de la politique familiale. Les dépenses de prestations, mais également les dépenses fiscales, voire celles pour les équipements seraient réorientées au profit d’autres risques. La remise en cause de l’universalité des allocations familiales pourrait être radicale. Le ciblage pourrait être extrêmement précis sur les catégories les plus défavorisées de la population. L’idée même d’une politique familiale à base et visée universelle serait contestée, au profit d’une logique d’aide sociale pour les familles à bas, voire très bas revenus. Cette contestation et ce sacrifice seraient rendus possibles par l’incapacité à démontrer ce qu’il en est véritablement des effets et des coûts des dépenses en direction des familles. Un autre appui à cette option serait de critiquer la socialisation des revenus et de laisser aux « solidarités » familiales le rôle de la politique familiale. A moins de disparaître, les CAF pourraient alors être conduites à recomposer leurs interventions dans des logiques centrées sur l’insertion ou encore le financement d’établissements et de services locaux pour les enfants en difficultés, les personnes âgées dépendantes ou les handicapés. Les CAF deviendraient alors, avant tout, des prestataires de services des départements.

 

La politique familiale rénovée et recentrée

Dans un contexte qui peut être celui d’un cumul de difficultés financières et sociales comme celui d’un contexte plus favorable (relativement), des arbitrages seraient effectués entre les différents pans de la protection sociale. Ces arbitrages seraient réalisés en faveur des investissements en direction des enfants et de la jeunesse. Il pourrait s’ensuivre une politique familiale renforcée mais réformée, avec des priorités claires quant à ses domaines, voire même ses modalités d’intervention. Sur le plan des formes, dans ce contexte « favorable » à la « politique familiale », les CAF pourraient toutefois se trouver en retrait, un outil fiscal puissant (par exemple) se substituant à la myriade des prestations. Les CAF pourraient au contraire occuper un rôle de premier plan dans la mise en œuvre d’un service public de la petite enfance, en tant qu’autorité organisatrice, aux côtés de l’Etat et des collectivités locales (comme pour les transports publics locaux).

 

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Que retirer, en ultime synthèse, de cette relecture d’anciens travaux de prospective ? Trois leçons se dégagent. En premier lieu, on l’aura plusieurs fois noté, ce qui saute aux yeux c’est l’actualité des variables, des hypothèses et des scénarios. En deuxième instance, ce qui pourra avoir marqué le lecteur de ces relectures, ce sont les répétitions et les ressemblances à des années et des décennies d’écart. Est-ce à dire que le futur prend toujours, vu du jour, les mêmes formes et directions, avec donc une forme de fatalisme, condamnant notamment les CAF à une dépendance accrue vis-à-vis d’autres acteurs ? Rien n’est moins certain. Et c’est dans la diversité des scénarios que se trouve véritablement la richesse de tous ces exercices. Mais il est un troisième enseignement, portant non pas sur les variables à prendre en compte. Celles-ci sont, au fond, presque toujours les mêmes. Mais leur importance relative diffère largement. Au regard de l’actualité, et ceci afin de souligner que rien n’est définitivement écrit ni acquis, il est probable que la variable « révolution numérique » (repérable depuis des décennies, sous d’autres termes et avec des conséquences supposées bien moindres) soit à intégrer avec plus grande force pour réévaluer tout ce qui a pu être dessiné et scénarisé jusqu’à aujourd’hui. L’avenir des CAF et de la politique familiale n’est en rien définitivement déterminé. Mais il ne peut raisonnablement s’envisager qu’en ne raisonnant plus à partir des habitudes et perspectives de la société industrielle, que l’histoire des CAF et de la politique familiale a pleinement accompagné, mais en fonction de l’essor d’une société numérique qui transforme tout. Et que les différents exercices de prospective ont tous, à leur manière, annoncé.

 

 

« Sociétés et modes de vie dans le monde. Grandes tendances d’évolution à l’horizon 2030-2050 »

Évolution des sociétés et des modes de vie dans le monde

 

Julien Damon

 

On ne saurait, aux horizons 2030 et 2050, peindre un panorama prospectif exhaustif des évolutions sociales possibles dans le monde. On peut, en revanche, insister sur des tendances extrêmement structurantes. On en retiendra quatre. Le monde sera, demain, moins pauvre. La perspective d’extinction de la pauvreté extrême n’est pas utopique, même s’il faut conserver à l’esprit le sujet de la progression des inégalités. Deuxième dynamique, les classes moyennes émergentes vont très probablement continuer à s’affirmer, avec leurs nouvelles aspirations et d’importants potentiels de consommation. Troisième mouvement, l’urbanisation va poursuivre sa progression, sous ses deux formes très contrastées de la métropolisation (concentration des richesses et des activités dans les grands centres urbains) et bidonvillisation (extension des habitats dégradés). Enfin, quatrième évolution majeure, le monde sera plus religieux qu’attendu. Ces phénomènes affecteront très différemment pays pauvres (plus religieux et en cours de moyennisation) et pays riches (moins religieux et affectés par une certaine démoyennisation).

https://www.futuribles.com/fr/revue/415/societes-et-modes-de-vie-dans-le-monde-grandes-ten/

 

 

 

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« La résidence alternée des enfants », Commentaire, n° 155, 2016, pp. 646-651.

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La résidence alternée des enfants

 

Julien Damon

 

Passée de la proscription à la prescription, puis à la normalisation, la résidence alternée est une organisation de l’hébergement et de l’existence des enfants de parents séparés. Elle consiste, essentiellement, en un partage du temps de l’enfant, selon une fréquence d’alternance qui peut varier, entre deux foyers. L’enfant a ainsi deux foyers, deux logements et, plus concrètement, deux chambres. Il s’agit, pour lui, de s’adapter à un mode de vie que lui ont choisi ses parents (comme après toute séparation).

 

Un enfant peut être, une semaine, en famille recomposée, l’autre semaine en famille monoparentale. Il peut vivre, chaque semaine, dans une famille monoparentale différente (une semaine avec son père, une semaine avec sa mère). Il peut aussi vivre, alternativement, dans deux familles recomposées différentes. Dans le premier cas, il aura un beau-parent. Dans le second, il en aura deux. Le cas échéant, il pourra se trouver entre une famille recomposée avec un couple hétérosexuel et une famille recomposée homoparentale. Si le cas est statistiquement rare, il vient, avec les autres, montrer que résidence alternée et recomposition familiale posent toujours, pour les parents mais surtout pour l’enfant, des problèmes d’organisation, mais aussi de représentation et d’identification.

 

On propose ici une rapide synthèse sur ce sujet disputé, en tentant une pesée équilibrée des différents arguments.

 

Une pratique reconnue, et en progression, depuis une dizaine d’années

La pratique était très limitée et contestée à l’origine. La possibilité d’une reconnaissance a été plusieurs fois repoussée à l’occasion des multiples réformes de l’autorité parentale. La résidence alternée au domicile de chacun des parents a été consacrée par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale[1]. Inspirée de deux rapports importants[2], le texte énonce que « père et mère exercent en commun l’autorité parentale ». Cette règle sous-tend à la fois un droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents et le droit pour chacun des parents d’être impliqué dans l’éducation de ses enfants. Introduisant la référence à l’intérêt de l’enfant, elle va compléter la définition de l’autorité parentale. Dans la suite de cette loi, l’article 371-1 du code civil est ainsi rédigé : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». L’article 373-2 du Code civil prévoit, par ailleurs, que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». Ce texte uniformise les droits et devoirs de tous les enfants dont la filiation est établie. L’autorité parentale conjointe s’applique à tous les enfants quelle que soit la situation matrimoniale et quel que soit le type de filiation, y compris en cas de rupture du couple parental. La loi consacre totalement le principe dit de « coparentalité » en assurant le maintien du lien de l’enfant avec ses deux parents.

 

La loi de 2002 dispose que « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ». Et le législateur ajoute au Code civil que le juge, en cas notamment de désaccord des parents, peut ordonner une résidence alternée. Dans les séparations et divorces, la résidence alternée devient un modèle, au moins une modalité ordinaire, pour permettre le maintien des liens avec les parents.

 

Davantage encore qu’une modalité ordinaire, l’alternance et la double résidence pourraient même devenir la norme. Une proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, discutée à l’automne et l’été 2014[3], a voulu substituer à la notion d’alternance celle de double résidence de l’enfant. Le texte, très controversé et qui n’a finalement pas été adopté, pose le principe de la double domiciliation de l’enfant d’un couple séparé. Par exception, si aucun hébergement n’était possible chez l’un des parents (pour des raisons matérielles liées à ce domicile ou en raison de l’éloignement géographique, par exemple), le juge déterminerait la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents et fixerait le droit de visite de l’autre parent.

 

Le nombre d’enfants concernés par la résidence alternée reste relativement faible. Mais il augmente assez rapidement. Des études menées au début des années 2000 précisaient la décision d’une résidence alternée n’était prise que dans moins de 10 % des divorces d’époux avec des enfants. La proportion est probablement plus importante pour l’ensemble des enfants dont les parents sont séparés car le juge aux affaires familiales n’est systématiquement saisi que dans le cas des divorces. En 2012, le chiffre, pour les suites des divorces, est passé à 21 %.

 

Qu’en pensent les Français ? Le thème de la résidence alternée est devenu, à mesure de son affirmation dans le débat public et dans la réalité des famille, assez commun ; au point de voir différents sondages porter sur lui. Dans l’enquête barométrique du CREDOC sur les conditions de vie et les aspirations des Français, début 2014, il apparaît que 72 % des Français estiment que, lorsque les parents se séparent, l’enfant devrait résider alternativement chez son père et chez sa mère. Seuls 23 % considèrent que l’enfant devrait vivre principalement avec sa mère. On notera que quasiment personne (1 %) ne songe confier l’enfant principalement au père. 4 % des personnes interrogées ne sont pas fixées. Cette faveur pour la résidence alternée est, en tout cas, très largement défendue dans tous les groupes : les femmes (69 %), les seniors (67 %), les bas revenus (70 %).

 

Les arguments d’un débat vif

Au-delà du droit, il ressort de la progression de l’alternance, des manières de faire famille – c’est-à-dire de vivre au quotidien – qui diffèrent pour l’enfant : des horaires, des menus, des arts de la table, des règles de discipline, des modalités d’usage de la télévision ou des jeux vidéo. Il s’ensuit des contextes et types de socialisation qui peuvent significativement varier. Le tout produisant des enfants enrichis ou dérangés par ces expériences et contextes.

 

Certains critères sont à prendre en compte, par les parents comme par le juge, pour la mise en place d’une alternance de résidence : la proximité géographique des deux domiciles (pour limiter les déplacements) ; la proximité de l’école où est scolarisé l’enfant (l’école devenant une institution de stabilité) ; le niveau d’entente des parents (au moins sur les principes éducatifs) ; l’organisation pratique mise en place (dates et horaires d’alternance, partage des dépenses, etc.). L’âge de l’enfant est également pris en considération, de nombreux experts (médecins ou psychologues) estimant, souvent en accord avec les juges, que la résidence alternée peut être défavorable au développement du très jeune enfant.

 

Rien ne permet d’affirmer que l’hébergement partagé soit fatalement néfaste. Tout comme rien ne permet de dire qu’il soit naturellement bénéfique. Comme souvent en matière familiale, deux écoles s’opposent. Dans un camp, surtout, des pédopsychiatres qui dénoncent les hauts risques psychiques, en particulier sur les enfants de moins de six ans, et qui font état de leurs consultations avec des angoisses, du vide dans les regards, des troubles cutanés et du sommeil, de l’agressivité. Dans l’autre, des juristes et des familles militantes qui expliquent que, malgré d’incontestables difficultés, le modèle fonctionne. À coups d’exemples opposés, d’expertises et d’attaques, qui ne sont pas toujours convaincantes, ils exposent leurs arguments et, parfois, s’empoignent durement, par pétitions comme par ouvrages savants[4].

 

Arguments en faveur de la résidence alternée :

  • elle permet l’exercice concret de la « coparentalité » ;
  • elle permet aussi l’exercice concret du droit de l’enfant d’entretenir des liens avec ses deux parents ;
  • elle met sur le même plan droits de la mère et droits du père ;
  • elle autorise les parents, lorsqu’ils ne sont pas avec leur enfant, à reconstruire leur vie ;
  • elle doit autoriser une pacification des séparations, au moins dans la répartition du temps des enfants et des ressources qui y sont liées.

 

Arguments en défaveur de la résidence alternée :

  • elle n’est pas toujours issue de l’accord amiable entre les deux parents et dépend, en cas de conflits, du juge ;
  • la séparation d’avec la mère pourrait entraîner, pour les très jeunes enfants, des troubles graves ;
  • elle peut être demandée pour satisfaire une volonté de se soustraire à une pension alimentaire ;
  • pour tous les enfants, elle demande une capacité d’adaptation logistique et affective que célèbrent les parents mais qu’ils ne s’imposeraient pas ;
  • elle est plus adaptée aux désirs de vie des parents qu’au besoin de stabilité des enfants.

 

Les arguments puisent dans les mêmes familles d’idées, d’observations et de principes que ceux qui condamnent ou qui vantent les recompositions familiales. La résidence alternée est alternativement présentée, d’un côté, comme source de joie et de partage, et, de l’autre, comme nid de psychopathologies. Les enfants directement impliqués peuvent tout autant joyeusement dire que l’on leur fête deux fois leur anniversaire et Noël, que tristement signaler, comme tout enfant de parents séparés, qu’ils trouvent douloureux et malheureux de vivre cette situation.

 

L’absence d’études irréfutables sur les conséquences positives ou négatives pour l’enfant, noyée dans la généralisation d’observations cliniques (qui, par construction, ne portent que sur des dysfonctionnements[5]) tout comme dans l’affirmation de grands principes généraux empêchent de conclure définitivement. Qui y trouve, en définitive, son compte ? Des parents séparés qui se préservent chacun un mi-temps d’enfants ? Ou des enfants qui voient leurs parents à mi-temps à défaut d’un plein temps ?

 

S’il est impossible de démêler une incontestable vérité, on peut convenir que la résidence alternée n’a pas le même impact sur tous les enfants, comme sur tous les parents. Ces derniers ont d’ailleurs un profil qui présente des singularités, même s’il est impossible, faute de données précises, d’en dresser un portrait détaillé. Le faible recours à l’aide juridictionnelle, tout comme l’ampleur des dépenses que suppose la mise en place d’une résidence alternée, laisse d’abord penser que les parents qui demandent ce mode de résidence sont dans une situation financière relativement aisée. Toutes les catégories sociales peuvent être séduites, mais les coûts sont élevés notamment quand il faut acheter en double des vêtements ou des fournitures scolaires, pour ne rien dire des difficultés à se loger dans des conditions permettant un accueil de qualité pour un enfant. Ensuite, ces parents doivent avoir sur la famille et les enfants des idées modernes (ou qui le sont devenues) pour s’investir dans des solutions qui étaient jusqu’à récemment refusées sous prétexte qu’elles seraient nuisibles par principe à l’enfant. Enfin, il faut un haut niveau d’entente du couple parental pour surpasser des tensions et confrontations qui ont pu être à la source de la dislocation du couple conjugal et qui peuvent se revivre à l’occasion de la vie en alternance de leurs enfants.

 

L’organisation d’une résidence alternée, qui n’est pas un droit des parents mais une option maintenant favorisée, n’est pas figée. Le rythme de l’alternance ne l’est pas, ses composantes non plus. Les parents, et éventuels beaux-parents arrivés en cours de route, ont le loisir de s’accorder sur des modifications. Si nécessaire, le juge peut être saisi. Tout d’abord, les formes de l’alternance varient. Dans certains cas (qui ne durent probablement pas longtemps) ce sont les parents qui alternent au même domicile où demeurent les enfants. Si la plupart des résidences alternées cherchent une organisation rigoureuse et à stricte parité, avec des horaires bien fixés, permettant des repères aux parents et aux enfants, toutes les formules, des plus souples jusqu’aux plus acrobatiques (deux jours sur quatre par exemple) sont possibles. La loi n’impose pas, pour que la résidence de l’enfant soit fixée en alternance aux deux domiciles de chacun de ses parents séparés, que le temps passé par l’enfant chez son père et sa mère soit de même durée. Le juge peut même, si l’intérêt de l’enfant le commande, décider d’une alternance avec un partage inégal du temps de présence. Surtout, la formule n’est pas figée dans le temps. Elle peut s’adapter aux emplois du temps et à l’organisation familiale des parents, mais aussi aux aspirations des enfants qui, grandissant, doivent être entendus pour exprimer leurs préférences s’ils en font la demande.

 

Une entrée originale dans ce débat est de se demander, au vu de la fluidité et de la malléabilité possibles des organisations de résidence alternée, si toutes les séparations ne mènent pas, en réalité, à des organisations en alternance. On fait sciemment l’impasse sur les parents non gardiens qui n’exercent pas ou qui n’exercent plus le droit de visite, en se concentrant sur les cas où père et mère, d’une manière ou d’une autre, continuent à vivre, une partie du temps, avec leur enfant. Quand cet enfant n’a pas, juridiquement, de résidence alternée, dans les autres formes d’organisation après un divorce ou une séparation, il alterne bien entre deux domiciles, à un rythme qui n’est pas égal. Il aura une résidence que le droit dira « habituelle », mais au minimum un week-end sur deux, et la moitié des vacances, il vivra avec son autre parent, dans un autre contexte familial. Tout enfant de parents séparés vit, en quelque sorte, en multirésidence. Dans cet ordre d’idées, les critiques à l’endroit de la résidence alternée pourraient être, plus généralement, des critiques à l’égard des séparations et des divorces.

 

Les politiques familiales recomposées

Quittant la sphère des débats d’opportunité pour revenir à celle des faits et du droit, il faut maintenant indiquer que la résidence alternée est une source particulière de recomposition et complexification des politiques familiales. Partageant le temps et la charge des enfants, l’alternance de résidence amène le sujet du partage des prestations et des avantages fiscaux.

 

Avec la coparentalité, les deux parents ont l’autorité parentale et la charge effective et permanente de l’enfant (même s’il ne réside pas en permanence au domicile des deux). Ceci implique des adaptations pragmatiques du droit social à ce que les faits et maintenant le droit civil organisent. En matière de santé, les enfants peuvent être inscrits sur la carte vitale de chacun des deux parents. Côté fiscal, depuis 2004, la charge est partagée entre les deux parents séparés en cas de résidence alternée. Chacun des parents a droit, pour le calcul de l’impôt de son foyer, à une majoration de part égale à la moitié de celle attribuée en cas de résidence exclusive. Le partage de la majoration implique également le partage des réductions et des crédits d’impôts liés aux enfants (frais de garde, frais de scolarité, taxe d’habitation). Le partage des allocations familiales entre les deux ex conjoints a été rendu possible par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007. Ce partage ne concerne que les allocations familiales, versées à partir du deuxième enfant sans condition de ressources, et non les autres prestations (prestations d’accueil du jeune enfant, allocations logement, etc.). Ces dernières sont soumises à des conditions de ressources ou bien modulées en fonction des ressources, ce qui rend, pour le moment, impossible de savoir comment exactement mesurer les ressources à prendre en considération, sauf à imaginer que les deux foyers organisant la résidence alternée fusionnent en un unique foyer fiscal, ce qui n’a, évidemment aucun sens. Elles restent donc versées à un seul des deux parents, à charge au couple de s’entendre sur une répartition et une circulation de cet argent.

 

Pour le calcul et le versement des allocations familiales, la charge de l’enfant est partagée par moitié entre les deux parents soit sur demande conjointe de leur part, soit s’ils sont en désaccord sur désignation de l’allocataire. Il est une autre possibilité, tout à fait légale, consistant à n’avoir qu’un parent allocataire, sans mention de la situation de résidence alternée. Le gain est net lorsqu’il y a recomposition familiale et apparition de nouveaux enfants dans l’un des deux foyers, dans l’un des deux résidences. L’allocataire maximise alors les allocations familiales, qui sont progressives en fonction du nombre d’enfants. Il restitue ensuite à son ex conjoint, soit la moitié du montant total, soit sa quote-part. Si l’un des deux parents est seul allocataire en titre, l’ensemble des enfants issus de lits différents ne forme pas, pour le versement des allocations familiales, une famille recomposée. Les parents par accord privé, se partageront, selon des clés de répartition qu’ils choisissent, les prestations. Résidence alternée et recomposition sont affaires d’arrangements privés. Certes, ces accords ne sont pas toujours possibles en raison de l’intensité des conflits, mais leurs bénéfices sont fortement incitatifs. Et la récente modulation des allocations familiales peut conduire à de nouveaux arbitrages et bricolages entre les foyers fiscaux des enfants en résidence alternée.

 

Illustrons. A et B sont séparés. Ils ont deux enfants en résidence alternée, et se trouvent, en termes de revenus, sous le plafond de modulation des allocations familiales. Choisissons un cas simple… Le montant mensuel d’allocations familiales est de 130 €. B vit maintenant avec C avec qui il a eu un enfant. Pour un seul enfant, il n’y a pas d’allocations familiales. Pour trois enfants, le montant est de 290 €. A, B et C ont intérêt à ce que B demeure allocataire pour les trois enfants et verse 65 € à son ex conjoint A. Sur le plan fiscal, la même opération est d’ailleurs réalisable. L’un des deux foyers, sauf s’il est à composition et à revenus parfaitement identiques, a intérêt à demeurer foyer fiscal de référence pour tous les enfants. Il maximise le nombre de parts pour le calcul du quotient familial. Avec trois enfants, déclarés à charge exclusive, le foyer de B et C compte deux parts, alors que dans le foyer A, avec deux enfants en résidence alternée il n’y a qu’une part. A, B et C ont, généralement, intérêt à ce que B et C bénéficient d’une forte réduction d’impôts dont ils feront ensuite profiter A à proportion de ce qu’aurait été pour son foyer le bénéfice du quotient familial. Tout est donc possible au cas par cas. Relevons que pour les cas relatifs aux calculs sur le quotient familial, il faut que les deux foyers soient assez aisés pour compter parmi les foyers imposés. Et il faut même certainement qu’ils atteignent des niveaux de revenus élevés leur permettant de maximiser le mécanisme du quotient familial, ce qui est loin d’être donné à tous.

 

Quelles limites ?

La leçon plus générale relève de la prospective. Alors que le partage des avantages socio-fiscaux est possible, pour le moment de manière limitée, pourquoi ne pas envisager, comme certains le réclament d’ailleurs, son extension ? Le partage fonctionne sur une règle de moitié. On peut envisager un partage prorata temporis des prestations qui seraient dès lors servies à proportion du temps vraiment passé par l’enfant dans l’une de ses résidences. On peut aussi envisager un partage qui ne s’opère plus seulement entre les deux foyers des parents séparés, mais, en fonction des éventuelles séparations ultérieures, entre tous les foyers qui conservent un lien avec l’enfant. Les prestations seraient dès lors divisées en trois, quatre ou plus. L’établissement d’un statut du beau-parent, si statut il devait y avoir, doit prosaïquement envisager ces éventualités. Bien entendu, tout ceci serait, d’abord, d’une redoutable complexité à gérer. Mais c’est certainement au droit et aux opérateurs chargés de la gestion des droits de s’adapter à la complexité familiale. Cette prospective du prorata temporis ou de la répartition peut sembler baroque. C’était le cas, il y a moins d’une décennie, de nombre de phénomènes, d’organisations et d’arrangements actuels.

 

Les idées sur la famille ont bougé, tout en demeurant relativement conflictuelles (et c’est ce dont ont pleinement témoigné, en 2013, les controverses autour du « mariage pour tous »). Le droit social s’est, en tout cas, adapté et densifié. Les organismes gestionnaires (caisses d’allocations familiales en particulier) assimilent ces transformations qui ne cessent de se traduire en textes et en applications informatiques.

 

On le voit la résidence alternée n’est pas uniquement un sujet de psychologie et de développement de l’enfant ; un thème de polémiques puissantes autour de la famille. C’est aussi un sujet technique important.

 

Une question cruciale, pour les parents, pour le droit, pour les systèmes d’information, est bien de savoir quelles limites s’imposer. Les frontières sont certes ouvertes mais tout le monde doit se demander si la résidence alternée et, plus largement, les recompositions familiales incarnent véritablement une reconnaissance des droits et des intérêts de l’enfant, ou bien la satisfaction des désirs des parents. Sur cette alternative fondamentale, chacun son opinion.

 

 

 

[1]. Pour une présentation et une analyse, du point de vue juridique, voir le dossier « Résidence alternée », AJ Famille, Dalloz, n° 12, 2011.

[2]. Il s’agit du travail de la sociologue Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Paris, Odile Jacob, 1998 et de celui de la juriste Françoise Dekeuwer-Defossez, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Paris, La Documentation française, 1999.

[3]. Cette « loi famille » a connu un parcours parlementaire compliqué, avec adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 27 juin 2014. Il est, depuis, toujours en jachère au Sénat. Signalons que ce texte a été, lui aussi, inspiré par des rapports préparatoires dont : Irène Théry, Anne-Marie Leroyer (dir.), Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014.

[4]. Pour une charge contre la résidence alternée, voir Le livre noir de la garde alternée (Dunod, 2006), préfacé par le pédopsychiatre Maurice Berger. Ce Livre noir s’est vu répondre un Livre blanc. Voir Gérard Neyrand, Chantal Zaouche Gaudron (dir.), Le livre blanc de la résidence alternée. Penser la complexité, Toulouse, Érès, 2014. Dans un genre équilibré, mais d’édition plus ancienne, voir Claire Brisset, Catherine Dolto, Gérard Poussin, Pour ou contre la garde alternée ?, Paris, Mordicus, 2010.

[5]. Signalons que, souvent, les pédopsychiatres et psychologues critiques et très critiques font état de ce qu’ils observent dans leurs cabinets. Mais s’ils rendent bien compte de cas problématiques, on ne saurait en tirer des leçons générales sur tous les cas de résidence alternée. Il y a là classiquement ce que Raymond Boudon appelle un « effet de position ». L’échantillon de cas est celui que connaît le professionnel, mais il ne représente pas la population concernée. À ce sujet, crucial, des échantillonnages discutables, voir, sur un autre sujet, Nicolas Gravit, Les surdoués ordinaires, PUF, 2014.

« Du RMI au RSA, heurs et malheurs des politiques actives d’insertion », Les Cahiers français, n° 390, 2016, pp. 38-43.

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Du RMI au RSA, heurs et malheurs des politiques actives d’insertion

 

Julien Damon

Professeur associé à Sciences Po

www.eclairs.fr

 

Le revenu minimum d’insertion (RMI), le revenu de solidarité active (RSA), et, entre les deux, le revenu minimum d’activité (RMA), aujourd’hui presque totalement oublié, ont fait couler beaucoup d’encre. A chaque fois présentées comme des réformes majeures, ces innovations bousculent des principes et des institutions. Prestation sui generis, le RMI est le socle des transformations suivantes qu’ont été le RMA puis le RSA. Alors que le RMI avait fait, dans son principe globalement consensus il n’en a pas été de même pour le RMA et pour le RSA. Dans les deux cas des oppositions ont été exprimées, de manière passionnée ou larvée. Toutes les controverses et toutes les argumentations techniques relèvent d’une même problématique, celle des liens entre activités et garantie de ressources. Ces prestations ont été imaginées, élaborées et mises en œuvre avec un double souci : garantir un revenu minimum, inciter à la reprise d’activité. Or les deux objectifs et les deux logiques peuvent entrer en contradiction, sur le papier comme dans la réalité.

 

Si l’on quitte, pour commencer, la sphère des minima sociaux, pour se pencher sur l’ensemble de la sphère de la protection sociale, on doit avoir à l’esprit que nombre de prestations sont précisément élaborées pour désinciter à l’activité. Il en va en premier lieu des pensions de retraite. Elles sont organisées et servies de manière à permettre aux retraités de ne pas exercer une activité professionnelle. Il en va aussi, en partie, des allocations familiales. Celles-ci ont été déployées historiquement, en partie, afin d’inciter les parents à ne plus faire travailler leurs enfants. On le voit, à un niveau élevé de généralité, la protection sociale dans son ensemble entretient des liens très importants avec le sujet de l’incitation ou de la désincitation au travail. Le cas particulier des minima sociaux de type RMI, RSA et RMA tient de qu’ils peuvent entraîner une désincitation non souhaitée, que celle-ci soit d’ampleur fantasmée (quand elle est exagérée) ou totalement niée (alors que les calculs les plus simples montrent qu’il peut y avoir intérêt à ne pas travailler). En revenant sur plus d’un quart de siècle de politiques (le RMI a été voté fin 1988), on s’intéressera aux évolutions et aux permanences des conceptions et controverses attachées à ces prestations singulières que sont ou on été le RMI, le RMA et le RSA.

 

Premier aperçu : du RMI au RSA en passant par le RMA et la PPE

Le RMI dans ses grandes lignes, même si lui est attachée une contrepartie en termes d’effort d’insertion, relève de la logique pure d’un minimum social différentiel. Le RMI est, d’abord et avant tout, un revenu social qui vient compléter des revenus insuffisants, ceci afin de les placer à un niveau minimal, celui du RMI. Dès l’origine lui ont été adjoints des dispositifs associés cherchant à inciter au mieux les allocataires à se replacer ou se placer pour la première fois sur le marché de l’emploi. De fait le souci de lien avec l’activité, d’« activation » dit-on, a toujours été présent.

 

Fin 2003, le RMI a été décentralisé (confié aux départements) tandis qu’était créé un nouvel outil, le RMA, avec vocation première d’inciter les allocataires à trouver un emploi. Tout juste quelques mois avant cet avènement du RMA naissait en France un instrument fiscal relevant de la logique de l’impôt négatif, la Prime Pour l’Emploi (PPE). Parmi les idées au fondement du RSA (qui sera voté exactement 20 ans après le RMI), présidait celle d’une fusion de la prestation sociale (le RMI) et du mécanisme fiscal (PPE). Or la création du RSA n’a pas compris l’intégration de la PPE, ce qui est l’une des bases des difficultés et complexités de ce dispositif.

 

En tout état de cause et de reprise rapide de l’histoire, le RSA a totalement effacé le RMA. En quelques années, deux réformes présentées comme majeures ont concerné le RMI. Certains considèrent qu’il y a réorientation, d’autres dénaturation. Plus vraisemblablement, il y a prolongement d’un mouvement, dont l’origine date de la création du RMI, consistant à toujours chercher à rapprocher ce qu’on baptise insertion de ce qu’on appelle activité.

 

Un débat et une réforme maintenant oubliés : le RMA

Le RMA a été mis en place à partir du 1er janvier 2004. Complétant, sans le remplacer, le RMI, le RMA est une idée qui a germé et qui s’est progressivement affirmée depuis le milieu des années 1990, avant d’être consacrée par la loi du 18 décembre 2003.

 

C’est lors de la campagne présidentielle de 1995, largement menée autour des thèmes de l’exclusion et de la fracture sociale, que l’idée d’un RMA a été explicitement émise. Mais elle n’a pas alors fait grand bruit. Son essence, régulièrement martelée, tient dans un objectif simple : pas de revenu sans activité. Fin 1997, au sein de l’opposition, des parlementaires appellent à supprimer le RMI et à le remplacer par un RMA. Une proposition est déposée à l’Assemblée nationale. Dans cette proposition, les collectivités territoriales doivent mettre en place des « comités de pilotage » chargés de confier aux bénéficiaires du RMI aptes à une activité professionnelle et résidant dans la commune des travaux d’intérêt général.

 

Au moment de l’anniversaire des dix ans de la loi du 1er décembre 1988 créant le RMI, le dispositif fait l’objet d’un renouveau des diverses controverses habituelles (sur l’opportunité de son ouverture aux moins de vingt-cinq ans, sur les difficultés et les faibles résultats de l’insertion). A l’automne 1999 deux sénateurs de la Commission des finances proposent, en amont de l’examen de la loi de Finances, le remplacement du RMI par le RMA. S’interrogeant sur l’augmentation de la charge du RMI pour l’Etat même en période de croissance, ils se demandent « si le RMI n’est pas désormais un revenu minimum d’inactivité ».

 

Traduction de cette argumentation, une proposition de loi est déposée par les deux sénateurs le 20 avril 2000. Cette proposition portant création du revenu minimum d’activité, instituerait, selon son premier article, un RMA « pour les personnes sans emploi et titulaires d’un minimum social depuis six mois ». Le RMA comprendrait deux parts. La première, appelée aide dégressive, correspondrait aux allocations de minimum social perçues jusqu’alors par le bénéficiaire. Elle serait versée aux entreprises qui l’utiliseraient pour rémunérer le nouvel embauché. Le versement à l’entreprise diminuerait progressivement pendant trois ans, au profit d’un « salaire négocié » exonéré de charges sociales, composant la seconde part du RMA.

 

Lors de la campagne présidentielle pour l’élection de 2002, moins marquée par les questions de pauvreté que par celles d’insécurité, la transformation du RMI en RMA se trouve dans le « projet de relève » de François Bayrou. Le candidat libéral, Alain Madelin, dans son programme « 200 jours pour faire bouger la France », entend également substituer le RMA au RMI. L’idée d’un RMA est également reprise par le candidat Jacques Chirac sans qu’elle donne lieu, comme pour les autres candidats d’ailleurs, à beaucoup de commentaires. Après les élections, c’est avant tout le sujet de la décentralisation du RMI qui occupe les esprits. Le RMA reste cependant un des engagements à tenir, avec, pour les élus de la majorité, une visée de profonde remise en cause du RMI pour en finir avec « la culture de l’assistance ».

 

Les propositions accumulées et l’engagement pris de réformer le RMI ouvrent la voie du débat qui a lieu de l’automne 2002 au vote de la loi fin décembre 2003. Le 15 octobre 2002 François Fillon, Ministre des affaires sociales du travail et de la solidarité annonce le double projet de transfert de la gestion du RMI aux départements, et de création du RMA. Le débat sur le projet de loi, vivement contesté en particulier par les associations de solidarité, est très houleux lors de son passage à l’Assemblée nationale. A l’occasion de ce débat, les organisations syndicales ont émis de vives réserves sur le RMA, l’instrument et le principe d’obligation d’activité. Le Président de la CFTC a jugé le projet « scandaleux » en soulignant que « donner aux entreprises des salariés qui ne leur coûtent rien, c’est suicidaire ». Le secrétaire général de la CFDT a dénoncé « l’iniquité en termes de mesures sociales » accompagnant le RMA, cet accompagnement étant « proprement scandaleux ». Favorable sur le fond aux objectifs du RMA, la CFDT en critique l’impréparation. Le secrétaire général de la CGT a estimé, de son côté, que le RMA constituait « une supercherie doublée d’une flexibilisation accrue du marché du travail » ajoutant que « la transformation du RMI en RMA constitue un subventionnement public de plus de l’emploi privé, sans offrir aucune garantie en termes de pérennité de l’emploi ».

 

La loi finalement promulguée décentralise le RMI et crée le RMA à compter du 1er janvier 2004. Le RMA naît donc sur une franche opposition. La gauche, dans sa plus grande partie, y voit une dérogation inacceptable au droit du travail et un effet d’aubaine pour des entreprises qui pourront trouver de la main-d’œuvre à bon marché. La droite, dans sa majorité, y voit un dispositif nouveau, incitatif pour faciliter le retour à l’emploi des allocataires du RMI.

 

Voté, le RMA s’est peu à peu mis en place et en œuvre, sans grande ampleur toutefois, alors que naissait l’idée d’un RSA.

 

Le RSA : activation accrue du RMI mais réforme encore insuffisante

Le projet de RSA est issu d’un rapport rendu par son promoteur, Martin Hirsch, au gouvernement début 2005, quelques mois seulement après le début de la montée en charge du RMA. Le rapport contenait une série de quinze recommandations ambitieuses, dont celle de créer ce RSA, consistant, dans sa formulation initiale, en une fusion de plusieurs minima sociaux (RMI, allocation de parent isolé – API-, allocation de solidarité spécifique –ASS-) mais aussi de la PPE, des prestations logement, voire de certaines prestations familiales. L’idée, reposant sur une ambition simplificatrice volontariste, a peu à peu infusé dans le débat public, gauche et droite du spectre politique se prononçant favorablement. Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont fait savoir leur accord avec le principe de la réforme, sans entrer dans le détail de sa mise en forme.

 

Après l’élection présidentielle puis la nomination de Martin Hisch comme Haut Commissaire aux Solidarités actives, en charge précisément de la création du RSA, la dynamique de concertation, d’expérimentation et de création a été accélérée. Après un livre vert, des débats nourris sur son périmètre, des controverses poussées sur son financement, des expertises délicates sur ses paramètres, un « Grenelle » consacré aux politiques d’insertion, le RSA a vu pleinement le jour 20 ans exactement après le RMI qu’il remplace. La loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion est assurément une belle performance en termes d’élaboration politique. Avec le RSA, le législateur renomme et recompose le RMI. La loi transcrit également quelques recommandations et conclusions du « Grenelle de l’insertion » qui a accompagné la création du RSA.

 

Le RSA remplace le RMI, l’API et les différents mécanismes d’intéressement à la reprise d’activité. L’essentiel est ainsi dit dans l’article 1er de la loi. Si le nouvel outil a des qualités, il est loin du projet initial qui constituait en une fusion, et, partant, en une simplification plus radicale.

 

Concrètement, le RSA corrige et renforce l’intéressement qui existait avec le RMI. Ces mécanismes d’intéressement, plusieurs fois revus, deviennent une des dimensions essentielles du nouveau dispositif. Cet intéressement – alambiqué dans sa gestion – devient uniforme et, surtout, stable dans le temps. Il est de la sorte certain que le RSA fera que le produit de chaque heure travaillée améliore le revenu du ménage. Deuxième novation, il permettra également, pour des travailleurs pauvres ne bénéficiant pas du RMI, de voir leurs revenus augmenter comme cela est toutefois déjà le cas avec la PPE. Les liens entre ces deux mécanismes de complément (PPE) ou de remplacement de revenus (RMI) sont au cœur des débats techniques et politiques autour de la nouvelle mesure (RSA). Avec un ciblage très large, et par conséquent peu concentré sur les plus pauvres, la PPE est un impôt négatif relativement classique, servi par l’administration fiscale. Par essence centré sur les plus défavorisés, inactifs principalement, le RMI est une prestation différentielle servie par les CAF pour le compte des départements.

 

RSA et PPE vont maintenant être gérés dans une même logique, mais par des opérateurs qui restent distincts. Le point crucial est que dans la mesure où le RSA ne repose pas sur une fusion intégrale avec la PPE, il n’atteindra pas ses objectifs initiaux de simplicité. En outre, le RSA ne supprime ni les fondements, ni les logiques, ni les objectifs, ni les instruments du RMI. Il y a renforcement et aménagement. Il n’y a pas mutation intégrale. Le RSA ne peut donc être qualifié de « révolution sociale ». Avec ses limites et ses vertus, il s’inscrit plus dans un sentier qui a été ouvert en 1988 qu’il n’ouvre véritablement un nouveau chemin.

 

Soulignons tout de même deux avancées, peu commentées mais importantes, du texte. Tout d’abord il fusionne le RMI et l’API, et il envisage l’intégration à venir de l’ASS dans le RSA. Le RSA permet également un progrès en ne limitant plus l’attribution de certains avantages connexes au RMI au statut d’allocataire mais en l’étendant à toutes les personnes en fonction de leurs ressources. Ces deux éléments de simplification et d’égalisation peuvent être consacrés, au regard de 20 ans d’évolution du RMI, comme des transformations réellement structurelles. Même si elles n’ont en réalité pas eu beaucoup d’effets….

 

Un Grenelle de l’insertion : pour une activation et une simplification renforcées

Dans un même souci de datation symbolique qui a prévalu à promulguer la loi RSA vingt ans exactement après celle portant création du RMI, le « Grenelle de l’insertion » s’est formellement tenu le 27 mai 2008 (40 ans exactement après les célèbres « accords de Grenelle »). Il en est ressorti un ensemble de recommandations qui ont connu leurs premières traductions concrètes dans la loi du 1er décembre 2008. Ces recommandations tiennent dans un souci de triple unicité : un référent unique pour le bénéficiaire du RSA ; un contrat unique d’insertion ; un guichet unique de prise en charge. Les travaux du Grenelle ont d’abord autorisé un calibrage des politiques publiques qui, dans le domaine de l’« insertion » s’étendent, se structurent et se diversifient depuis une quarantaine d’années, bien au-delà du seul RMI et même, avec un périmètre plus large, du RSA.

 

Les politiques d’insertion sont, comme les publics en insertion, à géométrie variable selon les périmètres que l’on prend en considération. Envisager l’insertion de manière restrictive, c’est limiter les politiques et, partant, les populations concernées, aux cas les plus prononcés d’exclusion sociale, les sans-abri et leur prise en charge. A ce titre, envisager la réforme des politiques d’insertion, c’est se cantonner à un pan singulier des politiques sociales. À l’inverse, envisager l’insertion de manière très étendue, c’est considérer l’insertion comme une notion centrale de la protection sociale, affectant tous les secteurs d’intervention. A ce titre, la réforme des politiques d’insertion suppose celle de l’ensemble des politiques d’emploi et de protection sociale.

 

Les dispositifs d’activation impuissants face à la crise

Mais plus que la réforme technique des segments de l’intervention publique, ce qui a prévalu dans les suites du Grenelle de l’insertion et du vote de la loi sur le RSA relève de l’inattendu. C’est le choc de la crise, la dégradation des finances publiques et la puissante hausse du chômage qui ont été à l’ordre du jour de l’agenda social. Le point est fondamental. Le RSA a été imaginé et construit dans une période et pour une période de réduction du chômage. Son objectif de réduction du nombre de ses allocataires par leur retour à l’emploi s’entendait aisément en période de décru du chômage. Il devient très difficile à tenir quand le chômage augmente fortement. Conçus et établis pour accompagner une période de croissance relativement soutenus, les mécanismes du RSA complémentaires à ceux du RMI, ont été incapables d’atteindre véritablement ce pourquoi ils ont été créés : le retour à l’emploi. Il est facile de les en blâmer et d’insister sur les imperfections du dispositif. Il faut cependant savoir faire la part des choses. Et noter qu’il est demandé, après 2008, au RSA d’avoir des résultats dans un combat qui n’est pas véritablement, en tout cas pas totalement, le sien.

 

Pour être didactique, il faut dire et redire que le RSA est en réalité double. Il contient, en réalité, deux mécanismes. Le premier, dit RSA « socle », est, globalement, l’ancien RMI. Le second, dit RSA « chapeau », est un complément aux revenus d’activité pour les personnes ayant de faibles revenus. Le RSA « socle », en période de crise, joue à sa manière son rôle d’amortisseur des conséquences de la crise. Le RSA « chapeau », que l’on dit aussi RSA « activité », ne peut atteindre ses ambitions d’incitations fortes à l’activité, quand le marché de l’emploi connaît de profondes difficultés. Il peut maintenir dans l’activité, il peut maintenir un certain niveau de revenu, mais le RSA, dans son ensemble, ne peut réduire, seul, le chômage.

 

Si l’on prend bien en compte ces aspects conjoncturels, en dépassent les luttes politiques passionnées, il est assez malaisé d’émettre une opinion simple sur le RSA et les nouvelles modalités des politiques d’insertion et d’activation qui l’accompagnent. Soit on juge ces instruments timides, incapables de produire une stratégie nouvelle et efficace, soit on se satisfait du pas à pas réalisé, soit encore on estime qu’ils instituent une nouvelle catégorie de population, le « « précariat (une population enfermée dans les différents cercles de l’aide sociale et de l’emploi précaire). Dans tous les cas des arguments peuvent être avancés pour soutenir une thèse forte. Il n’empêche, si le RSA a connu ses grandes difficultés, c’est non pas tant en raison de sa genèse ni de son architecture, mais de son contexte.

 

Une complexité gommée par la future prime d’activité ?

Très rapidement, le RSA, comme avant lui le RMA et le RMI, a fait l’objet de nombreuses critiques doctrinales et opérationnelles. Une inquiétude importante touche les opérateurs confrontés à la complexité du dispositif. Il est certain que la mesure n’a rien de simple. Ses promoteurs comme ses détracteurs sont d’accord sur ce point : le RSA ne pourra véritablement prendre son plein essor et sa vraie valeur que lorsqu’il reviendra à son projet initial, notamment en fusionnant rapidement avec l’ASS et, surtout, lorsqu’il intégrera la PPE. A défaut le risque est grand de voir le RSA connaître le sort politique du RMA, c’est-à-dire beaucoup d’agitation technico-politique (avec il est vrai en l’espèce des coûts bien plus importants), une accumulation de critiques, puis une nouvelle invention, aménageant plus ou moins marginalement les dispositions.

 

La perspective positive est d’en revenir aux fondements du projet et de bâtir, par absorptions progressives, un outil pleinement efficient. C’est d’ailleurs tout le projet de prime d’activité décidée en 2015 par le gouvernement. En janvier 2016, le RSA activité et la prime pour l’emploi seront ainsi supprimés pour être remplacés par un dispositif unique : la prime d’activité. Cette nouvelle prestation sera, comme le RSA, versée par les CAF. Le RSA « socle » continuera d’exister pour les personnes sans activité professionnelle, mais le RSA « activité », changeant de nom, de périmètre et de visée, entamera une nouvelle carrière. Mais tout, pour cette prime d’activité, sera fonction, comme pour ses prédécesseurs, de l’environnement macro-économique et du marché de l’emploi. En un mot pas d’activation possible sans activité…

 

Pour en savoir plus

Damon J. (2014), L’exclusion, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».

Damon J, Ferras B. (2015), La sécurité sociale, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».

Hirsch M. (2010), Secrets de fabrication, Paris, Grasset.

 

 

 

Encadré 1. Le RSA

Le RSA, mis en place à partir du 1er janvier 2009, est une allocation qui complète les ressources d’un foyer ceci afin qu’elles atteignent le seuil d’un revenu minimal. C’est en ce sens qu’il s’agit de l’un des minima sociaux. Ce revenu minimal garanti est calculé comme la somme d’un montant forfaitaire, variant selon la composition du foyer, et une partie (62 %) des revenus professionnels du foyer. Le RSA a donc deux composantes. D’une part le RSA socle, qui correspond à l’ancien RMI, pour les personnes dont les revenus sont inférieurs au montant forfaitaire (520 euros pour une personne seule, au 1er septembre 2015). D’autre part, le RSA activité qui joue le rôle d’un complément de revenu d’activité (pour des revenus allant, pour une personne seule, jusqu’à 1,2 SMIC). En termes de bénéficiaires, fin 2012, 2,18 millions de foyers bénéficiaient du RSA en France (métropole et DOM). Les trois quarts perçoivent le RSA socle, le dernier quart le RSA activité. En intégrant les personnes à charge (enfants et conjoints), 4,65 millions de personnes relèvent du RSA.

 

Nombre d’allocataires du RMI puis du RSA socle en France métropolitaine

Source : DREES

 

 

 

« Pauvreté et précarité en chiffres », Les Cahiers français, n° 390, 2016, pp. 8-14.

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Pauvreté et précarité en chiffres

 

Julien Damon

Professeur associé à Sciences Po

www.eclairs.fr

 

Qui et combien sont les pauvres et les précaires ? Tout dépend des définitions. Sous un déluge de données et d’approches toujours plus sophistiquées, il est difficile de se faire, aisément, une idée. Et différentes thèses peuvent être valablement soutenues, à partir des mêmes sources d’information. Un peu de pédagogie s’impose pour tenter d’y voir clair. On proposera, d’abord, un tableau synthétique des approches de la pauvreté et de la précarité. On s’arrêtera, ensuite, sur les trois possibilités de suivi des phénomènes : indicateur unique, indice composite ou tableau de bord aux diverses dimensions. Enfin on soulignera les principales transformations des phénomènes ainsi nommés. Même si les deux notions de pauvreté et de précarité présentent leurs spécificités, elles seront généralement abordées conjointement dans la mesure où les multiples dimensions des problèmes qu’elles désignent gomment les singularités terminologiques.

 

Définitions et délimitations

Soulignons d’entrée qu’aucune définition ne s’impose, par improbable consensus des experts sur les vertus comparées des différentes méthodes. On peut tenter de résumer le fond du débat par une formule. La pauvreté a des dimensions relativement absolues (le dénuement total dans les pays pauvres, comme dans les pays riches). Elle est, dans une large mesure, absolument relative car elle dépend des gens, du moment et de l’environnement. Sur le plan des définitions la pauvreté s’entend principalement comme absence ou insuffisance de ressources (monétaires notamment). La précarité ne se comprend pas seulement ainsi. La notion désigne plutôt une fragilité des revenus et des positions sociales. Si elles peuvent être distinguées, les deux notions entretiennent tout de même de nombreuses correspondances.

 

Pauvreté et précarité relèvent, au moins, de trois possibles dimensions : dans les esprits (des représentations), dans les textes (des normes), dans les poches (des budgets).

  • Des individus s’estiment pauvres et/ou précaires, ou bien sont estimés comme étant en situation de pauvreté et/ou de précarité.
  • Des textes, du doit social et du doit fiscal, délimitent des populations qui peuvent être dites pauvres et/ou précaires.
  • Les ressources des ménages, selon certains seuils établis par les experts, placent les membres d’un ménage en situation de pauvreté et/ou de précarité.

 

Si l’on se cantonne à la pauvreté, mais dans une approche large, permettant d’embrasser le thème de la précarité, une autre partition, plus technique, spécifie quatre approches : « absolues », « relatives », « administratives », « ressenties ». Par symétrie de conventions, on peut également approcher la richesse et l’opulence selon ces quatre approches. Le tableau 1. en contient une synthèse.

 

Tableau 1. Richesse et pauvreté en un tableau

Approche

« absolue »

Approches

« relatives »

Approche

« administrative »

  Approches

« ressenties »

Fraction Seuils monétaires Conditions de vie
Pauvres Pouvoir se nourrir, se vêtir, habiter Les x % les plus pauvres 60 % revenu médian Privations de certains biens et services RSA, etc. Part de la population se déclarant « pauvres » ou « précaires »
Riches Vivre des intérêts sur les intérêts de son capital Les x % les plus riches 200 % du revenu médian Abondance de tous ces mêmes biens et services ISF, etc. Part de la population se déclarant « riches »

 

Une première approche délimite une pauvreté « absolue » : un seuil de ressources, qui ne varie pas en fonction des évolutions de la richesse, en dessous duquel on est compté comme pauvre. C’est l’option suivie aux Etats-Unis depuis la fin des années 1950. L’idée sous-jacente est de convertir en montant monétaire ce qui est nécessaire pour pouvoir, a minima, se nourrir, se vêtir, habiter. Cette option, absolue, a également été retenue pour le calcul, par les institutions internationales, du nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté (disposant quotidiennement de moins de 1,25 dollar de pouvoir d’achat). Symétriquement, une approche absolue de la richesse ne doit pas faire référence à la distribution des revenus et des positions sociales. Une définition, semble-t-il proposée par un membre fondateur de la dynastie Rothschild, pourrait être de vivre des intérêts sur les intérêts de son capital. Mais une approche plus large, par exemple de vivre des seuls intérêts sur son capital, est certainement recevable. L’approche est, toujours, conventionnelle.

 

Un deuxième genre porte sur la pauvreté ou la précarité « administrative ». Sont pauvres, en France, les personnes qui bénéficient des prestations visant à atténuer la pauvreté et la précarité (principalement les minima sociaux de type RSA, minimum vieillesse, etc. mais aussi la Couverture Maladie Universelle – CMU). Symétriquement, sont riches les personnes délimitées administrativement comme riches, par exemple lorsqu’elles vivent dans des ménages assujettis à l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF). Le nombre de riches et de pauvres dépend alors, au premier chef, du barème des prestations sociales et de l’ISF. Encore une fois, il y a là une convention dont on peut discuter les fondements et les montants. Pour un chiffre sur la « pauvreté administrative », on peut recenser le nombre d’allocataires des minima sociaux. Fin 2013, on compte 4 millions d’allocataires, soit, avec les conjoints et les enfants, 7,1 millions de personnes concernées (soit 11 % de la population).

 

Une troisième famille méthodologique s’intéresse à la pauvreté « relative ». Les pauvres vivent avec des revenus et/ou dans des conditions de vie sous un certain seuil défini en fonction de la distribution des revenus et/ou des conditions sociales. Cette famille est la plus nombreuse dans la mesure où l’on peut distinguer trois sous-familles.

  • Dans un premier cas, totalement relatif, on estime que les pauvres sont les 20 % (ou les 10 % les moins riches). Cette définition a les vertus de la simplicité. Elle ne permet cependant pas de mesurer des progrès en matière de diminution du taux de pauvreté puisque, par construction, il est fixe. Symétriquement, pour la richesse, ce sont les 20 % (ou les 10 % les plus aisés).
  • Une deuxième sous-famille, la plus classique maintenant en France et dans l’Union européenne, approche la pauvreté à partir d’un seuil monétaire. Le seuil le plus souvent utilisé est à 60 % de la médiane des niveaux de vie (c’est-à-dire des ressources des ménages provenant de toutes les sources – salaires, prestations, revenus du capital, etc. – dont sont soustraits les impôts). Relevons que ce seuil atteint un niveau élevé : en 2013, environ 1 000 euros mensuels pour une personne seule – une somme proche du Smic -, 2 100 euros pour un couple avec deux enfants. Ce seuil de 60 % du revenu médian est discuté, et des experts lui préfèrent des seuils à 50 % ou à 40 % du revenu médian, ceci permettant d’approcher une pauvreté plus réduite mais plus intense[1]. De l’autre côté, ce montant d’environ 1 000 euros comme seuil de pauvreté correspond à ce que les Français, dans certaines enquêtes d’opinion, estiment, en moyenne, comme revenu net en dessous duquel un individu peut être considéré comme pauvre[2]. Il est, en tout cas, important d’avoir à l’esprit que la mesure de la pauvreté monétaire relative est extrêmement sensible au seuil choisi. Avec un seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie, on compte plus de 2 millions d’enfants pauvres (i.e de mineurs vivant dans des ménages sous le seuil de pauvreté. Avec un seuil à 50 % on ne compte que 1 million d’enfants pauvres.
  • Une troisième sous-famille « relative » a trait aux conditions de vie. Une liste de biens et services (nombre de repas avec de la viande, accès à un téléviseur, vacances, sanitaires dans l’habitation, etc.) que l’on estime nécessaire est établie. On mesure la proportion des ménages qui ne disposent pas d’un certain nombre de ces éléments (trois ou quatre parmi neuf). Les personnes composant ces ménages sont dites pauvres en conditions de vie, ou bien en situation de privation matérielle. Bien entendu, rappelons-le encore et encore, tout ceci est conventionnel donc infiniment discutable[3].

 

Une dernière approche, directe, de la pauvreté, appelée pauvreté « ressentie » consiste à demander aux gens s’ils se considèrent actuellement comme pauvres ou exclus, ou s’ils considèrent avoir vécu, au cours de leur vie, une telle situation. Les résultats sont généralement édifiants. En 2013, plus de deux personnes sur cinq, estiment, dans le baromètre IPSOS/Secours Populaire, être en situation de pauvreté actuellement ou bien avoir déjà connu une telle situation. Elles n’étaient que 30 % en 2009 ! En décembre 2012, dans un sondage CSA, 11 % des Français se disent pauvres ; 37 % répondent « être en train de devenir pauvres », soit la moitié des répondants s’estimant pauvres ou en voie de paupérisation.

 

Indicateur unique, indicateur synthétique ou tableau de bord

Une question importante est de savoir si un indicateur unique peut rendre compte à lui seul de la pauvreté et/ou de la précarité. Il s’agit de savoir si une donnée quantifiée peut rendre compte d’un phénomène et de ses évolutions. Bien entendu tout indicateur a ses imperfections, surtout s’il ne rend compte que d’une dimension de la pauvreté et de la précarité, ces problèmes sociaux pouvant se poser en matière de revenus, mais aussi de conditions de vie, comme on l’a déjà indiqué. Une solution technique consiste à prendre plusieurs dimensions et à les intégrer dans un indicateur unique. À l’échelle internationale, il en va ainsi de l’Indicateur de Développement Humain (IDH). L’idée est puissante en ce qu’elle ne réduit pas la pauvreté à la faiblesse des revenus. La construction de l’IDH est l’une des suites des travaux du prix Nobel d’économie Amartya Sen selon qui « la pauvreté ne doit pas se définir par ce qu’une personne possède, mais par ce qu’elle peut être, peut faire et peut devenir ». De cette autre tripartition dans l’approche de la pauvreté (identité, capacité, possibilité) a donc été tiré un indicateur dit de développement humain. Celui-ci, calculé par les agences onusiennes pour chaque pays, agrège trois variables : le niveau de vie, le niveau d’éducation, l’espérance de vie. L’IDH est un indice composite, compris entre 0 (effrayant) et 1 (excellent). Cette approche en indicateurs synthétiques, usuelle dans la comparaison internationale, est peu utilisée dans les pays riches lorsqu’il s’agit d’y aborder la pauvreté et la précarité. Dans ces pays, l’IDH est généralement élevé, et l’attention est mobilisée non pas par les formes extrêmes de dénuement (ou pas seulement) mais par les inégalités de ressources (revenus, accès à des droits, conditions de vie). Aussi, dans ces pays, et singulièrement en France, l’option privilégiée consiste à passer par des tableaux de bord présentant les évolutions de différentes dimensions des phénomènes de pauvreté/précarité.

 

Le principe du tableau de bord, retenu en France par l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), permet, mieux qu’un indicateur unique, mieux qu’un indicateur synthétique, de souligner l’étendue et les multiples dimensions de la pauvreté et de la précarité. L’ONPES ne parle pas dans le titre de son tableau de bord de « précarité », mais de pauvreté et d’exclusion sociale. L’ensemble des lignes de ce tableau permet cependant bien une approche de ces différents sujets pauvreté, précarité, exclusion, qui se recoupent en réalité très largement.

 

La reprise du tableau de bord publié en 2015 par l’ONPES permet un panorama chiffré des dimensions et évolutions récentes de la pauvreté et la précarité en France.

Tableau 2. Principaux indicateurs du tableau de bord de l’ONPES (2015)

 

 

Insistant sur les multiples dimensions des phénomènes de pauvreté, d’innombrables rapports ont abouti à des dizaines d’indicateurs. L’ONPES cherche à en fournir une vision synthétique. Sachant que bien d’autres indicateurs pourraient nourrir la rubrique précarité, comme par exemple la proportion de CDD dans l’emploi total, la durée de l’insertion professionnelle pour les jeunes, le recours à des contrats aidés financés par les pouvoirs publics, ou encore, tout simplement, le taux de chômage. Tout comme un indicateur unique est imparfait, et un indicateur synthétique toujours assez compliqué, un tableau de bord n’est jamais considéré comme véritablement complet.

 

Chacune de ces trois options – indicateur unique, indice composite, tableau de bord large – a ses partisans, et les débats sont loin d’être finis. Reste que l’approche la plus commune (et, partant, la plus débattue) de la pauvreté et de la précarité est celle de la pauvreté monétaire relative. En l’employant, on peut avoir des mesures de l’évolution de la pauvreté en France.

 

Évolutions et transformations

La pauvreté augmente-t-elle ? Tout dépend de la période de référence. Par rapport au Moyen Age, la pauvreté a été éliminée. Si on se réfère aux années 1980, avant l’introduction du RMI, la situation des plus pauvres n’a plus grand-chose à voir. Si on s’intéresse aux années 2000, alors on compte – avec le seuil habituel de pauvreté monétaire relative – 13,6 % de pauvres en 2000, 13,5 % en 2009. Tout dépend des points d’observation. Sur une décennie, les choses ne semblent donc pas beaucoup bouger, même si les conséquences de la crise commencent vraiment à se faire sentir en 2010. En effet, le taux de pauvreté a alors augmenté, à 14 % de la population, puis 14,3 % en 2011. Chose a priori surprenante, le taux a baissé ensuite entre 2011 et 2012, puis entre 2012 et 2013 pour se stabiliser à 14 %. Cette double baisse, inattendue, est liée à l’indicateur employé. Celui-ci est fonction du niveau de vie médian. Or comme ce dernier a baissé, le seuil de pauvreté a baissé et donc le taux de pauvreté. Il y a là une difficulté, à la limite de l’absurdité : l’indicateur retenu est à la baisse quand les problèmes (augmentation du niveau du chômage, baisse du niveau de vie) sont à la hausse ! Il y a là un élément d’étonnement et de débat pour l’avenir…

 

Les proportions masquent toutefois les volumes. En 2000, l’INSEE recensait 7,8 millions de pauvres. Ils sont plus de 8,5 millions en 2013. Cette poussée de la pauvreté est à mettre en perspective. De fait, les mouvements récents, sous forme de yo-yo, du taux de pauvreté étaient de petite amplitude. Il n’en va pas de même en volume. L’augmentation du nombre de pauvres (et non du taux de pauvreté) est bien plus significative depuis le milieu de la décennie 2000. En 2011, on s’est retrouvé à un niveau qui n’avait jamais été atteint depuis le début des années 1970.

 

Graphique 1.- Évolutions de la pauvreté monétaire en France

Évolution du taux de pauvreté

(en %, seuil à 60 % de la médiane)

Évolution du nombre de pauvres

(en milliers, seuil à 60 % de la médiane)

Source : INSEE

 

 

La tendance depuis les années 1970 était – jusqu’aux secousses récentes attachées à la crise – à une forte baisse puis à une stabilisation du taux de pauvreté. Cette diminution puis cette stabilisation de la pauvreté, mesurée sous sa forme monétaire relative, masquent de profondes transformations. Tout d’abord, la pauvreté a rajeuni : en quarante ans, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux, alors que celui des plus de 65 ans était divisé de moitié. Elle s’est aussi déplacée des familles nombreuses vers les familles monoparentales. Les familles monoparentales trouvant très majoritairement à leur tête des femmes, la « monoparentalisation » de la pauvreté alimente une féminisation de la pauvreté. Celle-ci touche désormais des actifs qui travaillent, en raison des doubles mutations du monde du travail et de la famille. Elle est mieux, quoiqu’imparfaitement, prise en charge par un Etat providence qui n’a jamais cessé de se développer, en particulier en matière d’aide sociale. La pauvreté, par ailleurs, s’est urbanisée, baissant environ de 4 points entre 1996 et 2010 dans les communes rurales et augmentant de 5 points dans l’agglomération parisienne. Tandis que la pauvreté se stabilisait, en moyenne nationale, elle était clairement en augmentation dans l’agglomération parisienne et dans les autres unités urbaines de plus de 200 000 habitants.

 

Au total donc, la pauvreté a surtout changé plus qu’elle n’a augmenté ou diminué. Si l’on doit lui donner un visage, éloigné des chiffres froids, autrefois, le pauvre était âgé, issu d’une famille nombreuse, et habitait dans une zone rurale. Aujourd’hui, il est jeune – on devrait dire elle est jeune -, vient d’une famille monoparentale, demeure en zone urbaine et ne parvient pas à s’insérer sur le marché du travail. Autrefois – disons pendant les 30 glorieuses – la pauvreté concernait des personnes âgées qui avaient peu de chances d’en sortir et de actifs qui avaient des probabilités élevées d’en sortir. Aujourd’hui, la pauvreté concerne des jeunes et des femmes qui vont et viennent entre des périodes au-dessus et en-dessous du seuil de la pauvreté. D’où la pertinence de ne plus seulement raisonner en termes de pauvreté, mais aussi de précarité et de vulnérabilité, insistant davantage sur les risques que sur les situations.

 

Encadré 1. Les dix transformations de la pauvreté

En synthèse on peut décrire rapidement les dix mutations qui ont affecté les questions et phénomènes de pauvreté/précarité depuis une trentaine d’années.

  1. Inscription à l’agenda politique. Alors que le sujet de la pauvreté n’était pas un sujet d’importants débats pendant les 30 glorieuses, il s’est imposé à partir des années 1980.
  2. Rajeunissement de la pauvreté. Les pauvres étaient d’abord, pendant les 30 glorieuses, les personnes âgées qui n’avaient pas encore accès à des régimes de retraite de qualité. Ce sont, aujourd’hui, principalement des jeunes et des enfants vivant dans des ménages jeunes qui n’ont pas accès à une insertion professionnelle stable
  3. Urbanisation de la pauvreté. La pauvreté est longtemps demeurée un problème d’abord rural. C’est désormais un problème urbain, très présent dans les centres métropolitains.
  4. « Monoparentalisation » de la pauvreté. La pauvreté était un phénomène concentré dans des familles nombreuses. Aujourd’hui, alors que les familles nombreuses sont moins nombreuses et les familles monoparentales plus répandues, la pauvreté affecte d’abord personnes vivant dans des familles monoparentales.
  5. Féminisation. La monoparentalisation de la pauvreté est à rattacher à une certaine féminisation de la pauvreté. Les femmes à la tête de foyers monoparentaux ont plus de difficultés encore sur le marché du travail.
  6. Problème des budgets contraints. Si les taux de pauvreté peuvent sembler rester relativement constants, l’augmentation du coût de la vie, et singulièrement des coûts du logement, a un puissant impact sur les budgets des plus défavorisés.
  7. Davantage de travailleurs pauvres. Moins de pauvres âgés, mais plus de pauvres actifs. Les travailleurs pauvres sont certes des individus en situation professionnelle précaire, mais la pauvreté se mesurant non pas à l’échelle individuelle mais à celle du ménage, les travailleurs pauvres sont aussi des personnes vivant dans des familles à faibles revenus, même avec des emplois stables.
  8. Dépendance accrue aux prestations. Si les taux de pauvreté restent relativement constants, c’est entre autres raisons car les dépenses sociales en général et les dépenses spécifiques pour remédier à la pauvreté augmentent.
  9. Une politique publique prioritaire. Alors que la pauvreté n’était pas érigée en risque de sécurité sociale ni en priorité explicite des mécanismes de protection sociale, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion est établie, depuis les années 1990, comme une priorité de l’ensemble des politiques publiques.
  10. Une immigration disputée. La dernière transformation a trait aux évolutions des profils et trajectoires migratoires. Le sujet est très sensible même s’il est mathématiquement simple. Si un pays voit partir les ménages aisés et arriver des ménages défavorisés la pauvreté s’y accroît. Au moins dans le court terme.

Pour en savoir plus

Damon J. (2010), Éliminer la pauvreté, Paris, PUF.

Damon J. (2014), L’exclusion, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? ».

 

[1]. Voir les différents travaux et prises de position de Louis Maurin, directeur de l’Observateur des inégalités (www.inegalites.fr)

[2]. Voir les sondages menés maintenant tous les ans par Ipsos pour le Secours Populaire sur les Français et la pauvreté.

[3]. Pour continuer sur ces sujets, on peut renvoyer, autant pour discuter des définitions et s’informer des données, aux deux sites de la statistique publique nationale et européenne : www.insee.fr ; www.epp.eurostat.ec.europa.eu

« Trop protéger, c’est punir », Le Point, 19 février 2015

Locatif : trop protéger c’est punir

 

Dans le secteur du logement on rappelle souvent, après l’économiste suédois Assas Lindberck, que le contrôle des loyers serait « le moyen le plus efficace de détruire une ville, avec le bombardement ». La formule, un rien exagérée, rappelle qu’un niveau exorbitant de sécurité offert aux ménages qui paient pour louer va à l’encontre des intérêts de ceux qui mettent en location. Des garanties excessives en faveur des premiers s’étendent au détriment des seconds, qui se retirent du marché. Et l’ambition vertueuse de protéger les locataires, alimentant une pénurie croissante de logements, se transforme en pénalité.

 

Ce thème, remis à l’ordre du jour par la récente discussion de la loi dite Duflot, fait l’objet de disputes classiques entre experts, entre le camp des propriétaires et celui des locataires. Tout nouveau crachouillis règlementaire en faveur des locataires est salué par les associations spécialisées (de défense des locataires et des mal-logés) et décrié par la profession (promoteurs et constructeurs).

 

La protection du locataire est nécessaire. Qui tolérerait qu’un ménage, ne présentant aucune difficulté de comportement et payant rubis sur l’ongle ses loyers, puisse être du jour au lendemain expulsé ? Tout est cependant affaire d’équilibre. Qui tolérerait, en effet, qu’un propriétaire ne puisse rien faire à l’encontre d’un locataire ne payant plus son loyer depuis un an ? Le problème naît quand les effets positifs de la protection (stabilisation des relations locatives) deviennent nettement inférieurs à ses effets pervers (déstabilisation préoccupante de la production de logements). Protéger démesurément les locataires, par encadrement trop bureaucratique des loyers, par restriction croissante des prérogatives des propriétaires, a trois effets pervers. Une telle orientation rend, les propriétaires sélectifs, à la recherche de garanties toujours plus importantes afin de ne pas vivre le parcours du combattant face aux incidents de paiement et aux procédures juridiques de recouvrement des loyers. Elle rend, également, les investisseurs méfiants, à la recherche d’autres marchés moins risqués. Elle met, enfin, les locataires potentiels dans l’embarras. Qui sont ces locataires potentiels ? Les jeunes qui veulent s’installer, les mal-logés qui aspirent à mieux se loger, les ménages qui déménagent. Tous pâtissent d’un marché qui, se rigidifiant, se contracte dangereusement.

 

La situation française est maintenant particulièrement préoccupante. Il en va certes des prix du logement (plus à l’achat cependant qu’à la location) et des volumes du mal-logement (3,5 millions de personnes selon la Fondation abbé Pierre). Il en va aussi d’une donnée essentielle à marteler : l’abandon des investisseurs institutionnels découragés.

 

Quelques chiffres illustrent la singularité française. 58 % des ménages sont propriétaires de leur logement. 17 % sont locataires du parc social qui, par construction, protège fortement ses habitants. Les 25 % restants, locataires du secteur privé (dit aussi secteur « libre »), sont ciblés par toute nouvelle mesure de protection, comme le contrôle des loyers. Dans 95 % des cas, ils ont pour bailleurs des personnes physiques : de petits propriétaires qui ont là leur principal capital et principal investissement. Les locataires privés n’ont que dans moins de 5 % des cas un propriétaire institutionnel. Cette proportion est la plus faible parmi les pays de la zone OCDE. Les propriétaires institutionnels ont fui, en France, l’immobilier locatif résidentiel privé pour se tourner, notamment, vers les bureaux. Afin de compenser ce désengagement, les pouvoirs publics soutiennent l’investissement locatif individuel (par des mesures fiscales aux conséquences discutées) et le développement du parc social. Depuis le début des années 2000, la part du logement social dans la construction neuve s’est nettement accentuée, passant d’environ 10 % à plus du quart aujourd’hui.

 

La haute protection des locataires sociaux pose, d’ailleurs, des problèmes particuliers. Une image osée permet de se faire une idée des conséquences de la protection très renforcée des locataires HLM. Entrer dans une secte est très aisé, puisque l’on est activement prospecté. En sortir est compliqué, puisque tout est fait pour contraindre à y rester. À l’inverse, dans la franc-maçonnerie il est – dit-on – compliqué d’entrer mais il est libre et facile d’en sortir. Le secteur du logement social combine les deux difficultés. L’entrée est très demandée et on compte ainsi presque deux millions de demandeurs. En sortir est problématique car trouver, sur le marché, ces prix et ce niveau de qualité est impossible. Et comme le droit au maintien dans les lieux est très puissant dans les HLM, le niveau de rotation dans le parc est très faible : 21 % dans le parc privé, 9 % dans le secteur social, 5 % dans le secteur social parisien.

 

Propriétaires, investisseurs et locataires sont méfiants, dans un contexte de pouvoirs publics méfiants à l’égard du marché. Avec cet environnement de haute méfiance réciproque, la confiance ne reviendra certainement pas de nouveaux contrôles. La politique du logement appelle, comme d’autres domaines, un choc de simplification mais aussi un choc de confiance ! Il n’en va pas de la situation des plus défavorisées, qui fait l’objet des priorités de l’action publique. Il n’en va pas de celle des plus favorisés, qui trouvent à bien se loger. Il en va de celle des classes moyennes, de tous ces métiers qui font vivre la ville sans pouvoir maintenant se la payer. En raison, entre autres, de cette volonté de faire le bien des locataires, avec leur gré, mais sans prise au sérieux des raisonnements économiques de base.

 

Julien Damon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Locatif : le désinvestissement

 

Parc locatif par type de bailleur – France métropolitaine en milliers

Parc locatif 1984 1995 2010
Locataires du secteur social 3 222 4 395 4 969
Locataires de personnes physiques 5 277 5 440 6 156
Locataires de personnes morales 1 187 496 281
Total 9 686 10 331 11 406

Source : Comptes du logement

 

Répartition du parc locatif privé par type de propriétaires (en %)

Personnes physiques Institutionnels Autres
France 95 3,3 1,6
Belgique 86 14
Espagne 86 6,7 7,2
États-Unis 78 13 5
Royaume-Uni 75 25
Suisse 63 23 12
Allemagne 61 17 9
Pays-Bas 44 37 19

Source : ANIL

 

“Les métamorphoses de la famille Rétroprospective, tendances et perspectives”

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L’orientation des interrogations et des inquiétudes concernant la famille a bien changé. Alors que l’on se tournait auparavant vers le passé, pour tenter de retrouver les racines de cette institution, on se tourne de plus en plus vers le futur, pour tenter d’en dégager les formes et les contours à venir. Principal inspirateur des réformes du droit de la famille dans les années 1960 et 1970, Jean Carbonnier – que l’on appelle, par révérence, le Doyen Carbonnier – l’avait bien saisi. « Famille, a-t-il écrit, si les savants d’il y a cent ans se demandaient d’où elle venait ; ceux d’aujourd’hui se demandent plutôt où elle va ».

Afin de tenter un point synthétique sur ce thème, au fond assez classique, du « où va la famille ? », on passera par trois étapes. Tout d’abord, on reprendra, vingt ans après, les constats et résultats d’un exercice de prospective sur la famille, publiés dans la revue Futuribles au début des années 1990. On soulignera, ensuite, les principales tendances aujourd’hui à l’œuvre. Enfin, on proposera quelques remarques et perspectives sur les décennies qui viennent.

« Les familles recomposées », Études, n° 4185, mai 2013, pp. 619-630.

Les familles recomposées : contours, évolutions et situations. Une tentative de synthèse

Familles recomposées. L’expression, après hésitations, a été proposée par des chercheurs avant de pénétrer le vocabulaire courant[1]. Ces cellules familiales aux contours incertains, tant pour leurs membres que pour les observateurs, ne sont pas une entière nouveauté. Les recompositions familiales étaient autrefois courantes, et souvent rapides. Consécutives à des décès, elles passaient par le remariage d’un veuf ou d’une veuve. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les unions étaient rompues par la mort d’un des deux conjoints alors qu’aujourd’hui la cause principale des ruptures est le divorce (ou la séparation dans les couples non mariés). Les recompositions familiales concernaient autrefois des orphelins, qui trouvaient ainsi un beau-père (parâtre) ou une belle-mère (marâtre). Aujourd’hui, les enfants des recompositions sont les enfants des désunions.

 

Les recompositions contemporaines, procédant non du destin et de la fatalité mais de l’aspiration et de la volonté, sont devenues une problématique majeure du droit civil et du droit social de la famille[2]. Avant d’être politiques, philosophiques et morales, de multiples interrogations pratiques et méthodologiques nourrissent la gazette de l’expertise des recompositions. Il est, indubitablement, délicat de définir, décrire, délimiter, dénommer et décompter les familles recomposées, et les individus qui les composent.

 

De quoi parle-t-on ? Combien de personnes, et, parmi elles, combien d’enfants sont-ils concernés ? Le phénomène est-il vraiment en expansion ? Si les parents et grands-parents sont souvent inquiets, l’expert est parfois perplexe. Les recompositions produisent moins des configurations stabilisées que des trajectoires difficiles à suivre et malaisées à synthétiser dans des tableaux de données. Il faut, en effet, rendre compte de situations de facto et de jure souvent embrouillées, sans que le droit ne cerne toujours bien la situation de fait. Pour ne rien dire d’un appareil statistique construit pour suivre des situations plus stables.

 

D’abord une question de frontières

Définir et délimiter sont des exercices compliqués. Tout d’abord, les formes de recomposition varient. Surtout, la recomposition peut s’apprécier à des niveaux différents, selon les unités ainsi nommées (le nombre de familles recomposées), les adultes engagés (les hommes et les femmes vivant en couple dans des familles recomposées), les enfants impliqués (le nombre de mineurs vivant avec un beau-parent et/ou avec un demi-frère ou une demi-sœur).

 

Une préoccupation statistique essentielle, retentissant sur des préoccupations affectives et quotidiennes, est celle des périmètres et frontières. Où la famille recomposée commence-t-elle ? Où s’arrête-t-elle ? Le choix est nécessaire pour toute observation de portée générale. Stricto sensu, la famille recomposée, c’est la cellule familiale qui entoure directement, et très généralement dans un même logement, un enfant avec son père ou sa mère et son nouveau conjoint. Lato sensu, la famille recomposée, du point de vue de l’enfant, peut aussi comprendre le foyer de son autre parent (si la recomposition n’est pas liée à un décès) avec ses autres enfants éventuels, mais aussi des grands-parents nombreux.

 

Doit-on étendre le cercle familial à l’ensemble du réseau familial constitué du passé conjugal des parents de manière à circonscrire une famille élargie ou étendue ? Le problème technique premier tient dans la non correspondance entre le seul noyau résidentiel et l’environnement familial de l’enfant. La famille recomposée ne peut pas se définir totalement par le logement. Elle peut notamment inclure des enfants nés d’unions antérieures et vivant ailleurs.

 

Doit-on mesurer les recompositions au seul prisme du droit ? À ce titre les remariages – les anciennes « secondes noces » – feraient office d’indice principal, mais la donnée n’embrasserait qu’une partie limitée des recompositions. Doit-on les mesurer à l’aune de l’intensité des liens de parents et beaux-parents avec des enfants et beaux-enfants ? Mais alors quels gradients prendre en considération ?

 

La demi fratrie est caractéristique des difficultés de catégorisation. Deux enfants vivent sous le même toit. L’aîné a vécu la séparation de ses parents et vit avec son parent gardien et un beau-parent. Le cadet vit avec ses deux parents biologiques. Ils sont demi-frères (ou demi-sœurs). Dans le même foyer, l’un vit avec un couple uni, l’autre en famille recomposée. Doit-on aussi, et alors comment, repérer les éventuelles demi fratries nées d’une nouvelle union d’un parent mais ne cohabitant pas avec l’enfant ? Si affectivement les relations ne sont pas quotidiennes, elles comptent fortement pour la répartition des ressources financières, en particulier pour le paiement des pensions alimentaires et au moment des successions.

 

Se pose aussi le problème de seuil temporel. La grande majorité des enfants de parents séparés voient leur père ou leur mère (voire les deux) s’engager dans une nouvelle union, quand ce n’est pas plusieurs. À partir de quand la relation devient-elle union, puis à partir de quand l’union devient-elle, au moins aux yeux du statisticien, recomposition ?

 

N’y a-t-il recomposition que lorsqu’il y a cohabitation ? Bien des enfants de familles monoparentales, peuvent peut-être nommer beau-père ou belle-mère les relations, pas forcément poussées, de leur parent gardien. En tout état de cause c’est la quasi intégralité des enfants de couples désunis qui sont concernés par la perspective, sinon par la réalité objective et établie statistiquement, de la recomposition.

 

Pour être efficace, il faut faire des choix. L’approche INSEE (que l’on peut résumer par un couple qui élève ensemble un ou plusieurs enfants qui ne sont pas tous de lui) fournit un cadre. Supposer la cohabitation des membres de la famille recomposée ne satisfera pas complètement l’observateur averti, tout comme les familles vivant le phénomène. Pour autant, cette convention a le mérite de dessiner un périmètre, ce qui autorise ensuite les analyses et les estimations. Celles-ci ne sont pas commodes à établir. Il est difficile d’identifier les ménages concernés et, en leur sein, les spécificités familiales des individus. Depuis le milieu des années 1980, les experts ont affiné les méthodes et produit des chiffrages successifs. Ces derniers ne sont pas entièrement comparables, en raison d’abord des évolutions méthodologiques.

 

Les données établies sur une trentaine d’années ont été parcellaires et fragiles. Avec les progrès accumulés, elles permettent cinq estimations : nombre de familles recomposées, de beaux-parents, d’enfants dans des familles recomposées, d’enfants avec des beaux-parents, d’enfants avec des demi-frères et sœurs. Les analyses autorisent aussi un portrait des familles recomposées au regard des familles dites traditionnelles et des familles monoparentales. Les recomposées sont d’ailleurs, dans la grande majorité des cas, nées d’anciennes familles monoparentales, elles-mêmes issues de familles traditionnelles.

 

Prendre comme unité de compte les enfants mineurs

Compter, comme gouverner, c’est choisir. Premièrement, on fera le choix, sur le registre des délimitations et décomptes statistiques, d’abandonner le point de vue des adultes pour adopter la perspective des enfants. Ensuite, on considérera les enfants mineurs.

 

Les recompositions familiales, maintenant principalement conséquences de l’instabilité conjugale, sont souvent analysées du point de vue des parents. Pourtant l’unité de compte adulte ou famille n’est pas la plus simple, ni vraiment la plus éclairante. L’unité de compte la plus valable est l’enfant. Pour apprécier ces familles recomposées, il faut les voir, statistiquement, des yeux des enfants concernés. L’option est d’ailleurs cohérente avec le primat donné maintenant par le droit de la famille à l’intérêt de l’enfant. Elle est également pleinement cohérente avec l’idée selon laquelle c’est maintenant l’enfant qui fait la famille (et non le mariage). On peut discuter mille ans de la validité générale d’une telle affirmation. Elle est incontestable dans le cas des familles recomposées. En effet, c’est parce qu’il y a des enfants que l’on parle de recomposition familiale. Une nouvelle union, après une séparation, sans enfant ne pose aucun des problèmes contenus dans la problématique des recompositions familiales. La définition même de la famille recomposée tient dans la présence d’un enfant qui vit, en permanence ou en alternance, avec un de ses parents et son conjoint. C’est bien l’enfant qui fait la famille. L’approche de la famille recomposée recentre la famille sur l’enfant, et pas sur le couple. Tous les phénomènes (séparation, recomposition) conservent la même tournure mais n’ont pas exactement les mêmes dimensions ni la même signification si l’on se place du point de vue des enfants et que l’on examine quand et comment ils interviennent dans leur vie.

 

Le deuxième choix effectué ici est de ne prendre en considération, parmi les enfants des familles recomposées, que les enfants mineurs. Il est tout à fait défendable de prendre d’autres seuils que 18 ans. On peut, par exemple, ne pas prendre du tout de limite et intégrer tous les descendants d’un couple à une famille recomposée. Rien ne l’interdit. On peut aussi, ce qui est très souvent fait, prendre le seuil de 25 ans. Le seuil de 18 ans nous paraît pertinent au moins car, par sens commun et conformément à la règle juridique, un enfant est d’abord un mineur. Il n’est, ensuite, pas évident de devoir considérer comme recomposée une famille avec deux parents qui se mettent en couple après l’arrivée à l’âge de la majorité des enfants qu’ils n’ont pas eu ensemble.

 

Les difficultés de la mesure

Toutes ces précisions méthodologiques faites, que peut-on dire ? L’affirmation est récurrente : il y aurait multiplication des séparations et des recompositions. Si la statistique du divorce est suivie très précisément, il n’en va pas de même des séparations (qui ne sont pas enregistrées juridiquement) comme des recompositions (dont la statistique ne fait pas encore l’objet de séries). En évolution, des recompositions, on peut juste signaler des ordres de grandeur, qui d’ailleurs ne vont pas nécessairement, comme on pourrait pourtant s’y attendre, dans le sens d’une explosion du phénomène.

 

Première faille statistique : le nombre des séparations. On connaît bien le nombre total de divorces dans lequel sont concernés des enfants, soit 75 000 par an. Le nombre total de séparations dans des couples avec enfant(s) est assez mal connu. Il serait, selon le Haut Conseil de la Famille[3], de 150 000 par an (avec une incertitude de plus ou moins 20 000). Le veuvage, qui n’implique pas de nombreux enfants, est assez mal cerné. Au sens strict, il ne couvre que les personnes mariées dont le conjoint est décédé et qui ne se sont pas remariées. Mais au sens large, on trouve des parents qui ont perdu leur concubin ou leur partenaire. Au total, sur environ 150 000 ruptures de couples par an impliquant des enfants, la moitié sont des divorcés, l’autre moitié des séparations de parents non mariés (concubins et partenaires). Après les séparations, la remise en couple est relativement fréquente. La moitié des parents divorcés ne vivent plus seuls au bout de cinq ans. Le fait que les mères aient plus souvent les enfants en garde après rupture explique en partie le fait qu’elles reforment moins souvent que les pères un couple cohabitant. De nos jours, elles se remettent, relativement, plus souvent en couple après une rupture que dans les années 1970, à l’inverse des hommes, mais toujours moins qu’eux.

 

La statistique familiale se nourrit de trois sources principales : les enregistrements de l’état civil ; les recensements administratifs ; les enquêtes ad hoc. Les familles recomposées disparaissent dans les données sur les familles fournies par le recensement. Celui-ci ne permet pas de distinguer, parmi les familles biparentales, celles qui sont « intactes » de celles qui sont recomposées.

 

Il n’en va pas de même pour la monoparentalité. La statistique, en la matière, est précise et la direction claire. Sur une trentaine d’années, la proportion des familles monoparentales a doublé. En 1990, 12,5 % des familles avec enfant(s) de moins de 18 ans au domicile étaient comptées comme monoparentales. C’était le cas de 16,9 % d’entre elles en 1999 et de 20,6 % en 2008. Concentrons-nous sur la perspective des enfants, en les prenant là aussi comme unités de compte. En 2008, 18,3 % des enfants mineurs vivent dans des familles monoparentales (celles-ci étant d’une taille moyenne plus réduite). Une famille sur cinq est donc une famille monoparentale. Cette donnée montre une évolution, mais n’est pas une stratification figée. Il est vrai qu’il est difficile de passer de la « structure familiale », supposée stable, à des trajectoires familiales, par essence possiblement heurtées. La volonté générale des experts est de dépasser une vision statistique de la photographie, pour une vision dynamique et cinématographique des flux et trajectoires. Les familles monoparentales ne représentent en tout cas bien souvent qu’une forme transitoire entre deux unions libres ou deux mariages. La monoparentalité, ou uniparentalité comme on le dit parfois, peut n’être qu’un épisode.

 

Venons-en aux recompositions. Celles-ci ne peuvent donc pas, à la différence des situations de monoparentalité, être appréciées par l’intermédiaire des recensements de la population. Afin d’approcher des situations qui échappent largement à l’état civil et aux recensements administratifs, l’enquête démographique s’impose. Ce sont des questions spécifiques qui permettent de reconstituer statistiquement les recompositions, de distinguer entre les enfants et les beaux-enfants de chaque personne. Les premières mais rares sources ont été des enquêtes particulières sur la famille, ou à base d’échantillons d’enfants, où le répondant est l’enfant, sur les trajectoires conjugales de ses parents et ses propres trajectoires résidentielles et familiales. Ces enquêtes singulières sont coûteuses, avec de formidables questions techniques et pratiques. Où réside l’enfant ? Là uniquement où il se trouve le jour du recensement, tel que d’ailleurs ceci est déclaré par l’un seulement des parents ? Un jour un enfant peut être compté en famille monoparentale, lorsqu’il se trouve chez sa mère séparée, le lendemain il se trouvera en famille nombreuse avec son père, sa nouvelle conjointe et leurs nouveaux enfants. Par ailleurs, si l’enfant est l’unité statistique, il faut savoir qui doit répondre pour lui lorsqu’il n’est pas capable de discernement (au moins statistique). En l’occurrence c’est souvent la mère, supposée être la personne qui le connaît le mieux.

 

Des évolutions difficiles à retracer

Comme le sujet est difficile à cerner juridiquement et les réalités mouvantes, les perspectives sont difficiles à retracer. En 2000, l’INSEE titrait sur « 1,6 million d’enfants vivent dans une famille recomposée », en posant 25 ans comme limite d’âge, et en 2009, malgré l’affirmation selon laquelle les transformations familiales allaient s’accentuant, sur « 1,2 million d’enfants de moins de 18 ans vivent dans une famille recomposée »[4]. Les chiffrages, repris en série, peuvent, en première lecture, induire en erreur sur l’ampleur et l’évolution du phénomène. Il faut donc une lecture attentive pour faire attention aux différences de champ et aux limites d’âge.

 

On reprend maintenant la suite des quatre principales estimations qui ont été faites en environ un quart de siècle. On apporte les principaux résultats, pour la perspective des enfants de moins de 18 ans, en soulignant les caractéristiques des familles recomposées qui sont restées stables, et celles qui ont évolué.

 

En 1985, selon l’enquête « Situations familiales » (INED, INSEE), 680 000 enfants mineurs vivent dans une famille recomposée, 1 120 000 dans une famille monoparentale. 86 % des enfants vivant en familles recomposées ont d’abord vécu avec leurs deux parents ensemble. Les deux tiers ont vécu une période en famille monoparentale. La très grande majorité avaient, en 1985, des parents biologiques mariés puis divorcés, ou mariés et séparés. Les autres avaient des parents séparés après une union libre (8 %) ou bien avaient connu le décès d’un parent (6 %). On a là l’illustration du déclin du veuvage comme fait générateur de la recomposition, mais aussi une illustration du mouvement de hausse rapide, depuis, de l’union libre.

 

En 1990, selon l’enquête « Famille » (INSEE), les enfants de moins de 18 ans sont 750 000 à vivre dans plus de 500 000 familles recomposées. Ils représentent 9,1 % du total des mineurs. Les situations se partagent globalement en trois tiers : ils sont nés d’une union précédente et vivent avec un demi-frère ; ils sont nés d’une union précédente et vivent sans demi-frère ; ils sont les enfants du couple actuel. Cette tripartition ne varie pas ensuite.

 

En 1999, selon l’enquête « Histoire familiale » (INSEE), plus de 1,1 million de mineurs vivent dans des familles recomposées. Cependant, le parti pris dans la valorisation de ces travaux est de mettre l’accent sur les moins de 25 ans. En comparant avec l’enquête de 1990, les analyses relèvent la progression du nombre de familles recomposées et de la proportion d’enfants concernés (plus 10 % environ en dix ans). L’étude rend compte de la taille de ces familles recomposées, plus nombreuses que les familles monoparentales et traditionnelles. Le tableau tiré de cette comparaison entre ces deux enquêtes est, rétrospectivement, à prendre avec précaution. Il importe au moins en raison du fait que ces chiffres ont alors été largement communiqués et utilisés.

 

Répartition des familles et des enfants selon le type de famille familles, en 1990 et 1999 (en %)

1990

1999

Les familles…
            …traditionnelles

77,6

73,4

            …monoparentales

15,3

18,6

            …recomposées

7,1

8

Les enfants vivant dans une famille
            …traditionnelles

69,3

65,7

            …monoparentales

11,4

15

            …recomposées

7,3

8,7

Source : INSEE.

Note : il s’agit des enfants de moins de 25 ans.

 

En 2006, selon un travail approfondi de l’INSEE, un peu moins de 1,2 million d’enfants de moins de 18 ans vivent dans une famille recomposée en France métropolitaine. Cette étude qui fournit une méthode d’estimation reproductible est celle dont les résultats autorisent un portrait actuel des familles recomposées[5]. Comme le signalent bien ses auteurs, il faut prendre garde aux rapprochements avec les enquêtes précédentes.

 

Les séries statistiques ne sont pas établies. Si l’on se permet – ce qui peut agacer le puriste – de reprendre les estimations successives, on note une progression au cours des années 1980 et 1990, puis une stabilisation du nombre de mineurs dans les familles recomposées (0,68 million en 1985 ; 0,75 en 1990 ; 1,1 en 1999 ; 1,16 en 2006). Ces variations d’une période à l’autre reflètent des révisions fondées sur des méthodes et des estimations nouvelles, plutôt que des changements de niveau à partir d’une définition et d’une méthode intangibles.

 

La rigueur statistique oblige à la prudence. Les conclusions sur les tendances à la hausse doivent être prudentes. Pour autant, il semble assez clair que la tendance soit haussière, même si ce n’est, dans les années récentes, que légèrement. Les évolutions que l’ont peut tirer des enquêtes Emploi de l’INSEE montrent elles aussi une petite progression des famille recomposées, entre 2003 et 2007. En 2003, 8,7 % des enfants étaient, dans cette enquête, comptés comme vivant dans des familles recomposées. Ils étaient 9,2 % en 2007. L’augmentation n’est pas spectaculaire et à la limite de la significativité statistique.

 

Au delà des données fraîches et des grandes enquêtes démographiques sur la famille des études ponctuelles viennent confirmer l’augmentation, sur un temps un peu plus long, de la proportion d’enfants concernés par les recompositions. Ainsi, une étude de quatre cohortes d’enfants (nés entre 1959 et 1978) [6] met en lumière la croissance de la part des enfants ayant vécu une recomposition : de 3 % dans les générations 1959-1962 à 11 % dans les générations 1974-1978. C’est dans la catégorie sociale des employés (certes d’une grande hétérogénéité) que le phénomène s’est le plus étendu, passant de 7 % des enfants à 20 % sur un quart de siècle.

 

Proportion des mineurs ayant vécu une recomposition familiale selon l’origine sociale et l’année de naissance (en %)

1959-1962

1963-1967

1968-1973

1974-1978

Agriculteur

1

1

2

3

Artisan – commerçant

2

6

5

12

Cadre

3

6

8

10

Profession libérale

5

6

8

10

Employé

7

6

8

20

Ouvrier

3

4

4

8

Total

4

5

7

11

Source : Paul Archambault, Les enfants de familles désunies en France. Leurs trajectoires, leur devenir, Paris, INED, 2007

Lecture : 3 % des enfants nés entre 1959 et 1962, vivant dans une famille dont la personne de référence était un ouvrier, ont connu avant 18 ans une recomposition familiale. C’était le cas de 8 % d’entre eux pour la cohorte 1974-1978.

 

On ne peut savoir précisément, malgré cette apparente abondance de données, ce qu’ont été les évolutions du nombre de familles recomposées. Les estimations consécutives sont difficilement comparables. Assurément, la progression, puisque progression il y a tout de même, a été bien moindre que pour les familles monoparentales. Comment l’expliquer ? Tout d’abord, tous les monoparents, en particulier les femmes (peut-être car elles ont plus souvent la charge d’enfants), ne se remettent pas en couple. De surcroît, les recompositions peuvent être de courte durée et échapper à une caractérisation en tant que telle (ceci autant par l’appareil statistique que par les personnes directement concernées). Enfin, lorsque les mineurs issus d’une précédente union quittent le domicile, la famille est à nouveau considérée, statistiquement, comme traditionnelle. Comme les enfants, une fois majeurs, quittent plus précocement les familles recomposées, les impacts statistiques sont significatifs. De fait, l’évolution du nombre de familles recomposées à un instant t peut être moins rapide que l’évolution du nombre total des enfants qui ont pu, à un moment ou un autre, être concernés.

 

Un portait possible de la situation

La rétrospective est imprécise. Le portrait peut maintenant, grâce aux efforts récents, être plus détaillé.

 

L’étude qui permet des estimations au 1er janvier 2006 s’appuie à la fois sur les données du recensement, pour compter les enfants vivant avec un couple parental, et sur celles des enquêtes Emploi de l’INSEE pour les ventiler (ou les « décomposer ») entre diverses structures familiales (en l’occurrence traditionnelles ou recomposées).

 

En 2006, sur les 1,2 million d’enfants vivant au sein d’une famille recomposée, 780 000 vivent avec un beau-parent, le plus souvent un beau-père (pour 600 000 d’entre eux). Les autres vivent avec leurs deux parents, mais aussi avec des demi-frères ou demi-sœurs. On note toujours une répartition en à peu près trois tiers selon la situation des enfants : environ 0,4 million vivent avec un beau-parent et un enfant de l’union actuelle, 0,4 avec leurs deux parents et au moins un enfant issu d’une précédente union, et 0,4 uniquement avec un beau-parent.

 

Répartition des  1 160 000 enfants vivant dans des familles recomposées

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Source : INSEE, 2009

 

On compte 580 000 familles recomposées, 450 000 beaux-pères et 140 000 belles-mères. 7 % des hommes vivant avec un mineur sont beaux-pères, 2 % des femmes sont belles-mères.

 

En termes de caractéristiques sociodémographiques, les familles recomposées comportent des fratries plus nombreuses et sont plus modestes. La moitié des enfants concernés vivent dans une famille de trois enfants et plus (ce n’est le cas que du tiers des enfants dans les familles « traditionnelles »). Dans les familles recomposées avec au moins un enfant de l’union actuelle, 70 % des enfants vivent dans une famille nombreuse (avec trois enfants ou plus). Il y a là un point important : de plus en plus les familles nombreuses sont des familles recomposées[7]. En effet, alors que le nombre de familles nombreuses « traditionnelles » baisse, celui des familles recomposées augmente. Et les familles recomposées, du fait de la coexistence d’enfants issus des unions précédentes et de l’arrivée de nouveaux enfants, deviennent souvent des familles nombreuses (c’est-à-dire de plus de 3 enfants). Deuxième caractéristique, comme les familles monoparentales, les familles recomposées ont des situations socioéconomiques moins favorisées que les familles traditionnelles. Un quart des femmes n’ont aucun diplôme. Elles sont inactives dans une même proportion. Par ailleurs, dans ces familles, la femme est, plus souvent que dans les familles traditionnelles, plus âgée que l’homme. C’est le cas une fois sur trois dans les familles recomposées, une fois sur cinq dans les familles traditionnelles.

 

D’autres enquêtes permettent de pénétrer dans l’univers quotidien des familles recomposées. En l’espèce, les familles recomposées se distinguent des familles traditionnelles sans pour autant bouleverser totalement les habitudes. Des études signalent un partage des tâches parentales et domestiques plus égalitaires, avec une gestion budgétaire plus individualisée[8]. Ce sont toujours majoritairement les femmes qui préparent les repas et s’occupent du linge. Mais les hommes s’investissent davantage, même si cette implication supplémentaire relève encore surtout de la sociabilité. En ce qui concerne certaines tâches ménagères comme la vaisselle ou pour la gestion des achats quotidiens, les couples recomposés partagent plus les activités. Les couples dans les familles recomposées sont donc plus égalitaires, même si les grandes hiérarchies, inégalités et différences (on choisira son mot) de rôle ne sont pas définitivement écartées.

 

Ce recueil commenté de données sur les familles recomposées ne saurait se terminer sans souligner leur hétérogénéité. Bien entendu, dans des groupes de taille si importante, les différences sont de mise, comme pour les familles monoparentales. Dans ce cas, par exemple, il n’y a pas grand de chose de commun, sur le plan des contraintes économiques quotidiennes, entre, une femme cadre supérieur très active (et bien rémunérée), ne souhaitant pas s’engager avec un nouveau conjoint (pour des raisons personnelles et/ou pour son enfant) et une femme employée, à horaires décalés, qui a besoin de stabilité financière. Il y a d’ailleurs là une partie de l’explication de la sur représentation des femmes employées parmi les recomposées : les femmes les plus diplômées, pouvant assumer seule leur(s) enfant(s), vivent plus volontiers seules. Pour les recompositions familiales, il en va de même. Celles-ci impliquent différemment hommes et femmes, mères et belles-mères, pères et beaux-pères. Les expériences et les contraintes ne sont pas les mêmes selon les niveaux socioéconomiques. Les arrangements sont plus ou moins facilités par l’aisance financière, mais aussi (et surtout) par l’entente des ex-conjoints. Ce thème de l’entente entre les ex conjoints mais aussi entre les nouveaux conjoints et les ex est très souvent souligné comme déterminant dans les traités pratiques portant sur les recompositions familiales

 

Cette diversité à l’esprit, il faut tout de même terminer un portrait par des images claires. Si l’on doit se souvenir d’un chiffre alors retenons cette donnée simple : 70 % des enfants vivent en famille traditionnelle, 20 % en famille monoparentale, 10 % en famille recomposée. Ces familles recomposées se singularisent par quatre principaux traits qui sans les caractériser intégralement, les distinguent relativement : elles sont plus jeunes, plus nombreuses, plus modestes et plus égalitaires. Elles sont peut-être aussi plus fragiles – ne serait-ce que sur le plan juridique.

 



[1]. Voir Marie-Thérèse Meulders-Klein, Irène Théry (dir.), Les recompositions familiales aujourd’hui, Paris, Nathan, 1993.

[2]. Pour un panorama efficace, voir Isabelle Corpart, Familles recomposées. Le couple, l’enfant, les parents, le patrimoine, le logement, Rueil-Malmaison, Éditions Lamy, 2011.

[3]. Haut Conseil de la Famille, Ruptures et discontinuités de la vie familiale, Note adoptée le 8 juillet 2010. www.hcf-famille.fr

[4]. Voir INSEE Première (n° 901, juin 2003 ; n° 1259, octobre 2009)

[5]. Olivier Chardon, Emilie Vivas, « Les familles recomposées : entre familles traditionnelles et familles monoparentales », Document de travail, n° F0904, INSEE, 2009.

[6]. Voir Paul Archambault, Les enfants de familles désunies en France. Leurs trajectoires, leur devenir, Paris, INED, 2007.

[7]. Plus globalement, voir Laurent Toulemon, « Qu’est-ce qu’une famille recomposée ? », Informations sociales, n° 115, 2004, pp. 18-33.

[8]. Voir Pauline Domingo, « Le quotidien des familles recomposées », Politiques sociales et familiales n° 96, 2009, pp. 96-104

Gary Becker et les choix rationnels – “Gary Becker – L’individu calculateur”, Sciences Humaines, Grand Dossier n° 30, 2013.

Gary Becker, au carrefour de la sociologie et de la science économique, s’est intéressé à des sujets aussi divers que les discriminations, le capital humain, l’allocation du temps, la criminalité, la justice, la famille. Son point d’entrée : la rationalité des individus. Il s’agit d’éclairer les comportements humains à la lumière des incitations qui peuvent freiner ou favoriser une décision. De cette perspective d’analyse des problèmes sociaux avec les outils de la science économique, il ressort que l’on s’engage dans un acte délictueux, dans une carrière criminelle, dans une union (ou dans une séparation) en pesant, plus ou moins finement, les avantages et coûts de telles décisions.

Cette théorie du choix rationnel, qui influencera notamment un Raymond Boudon ou un Dominique Strauss Khan (dans ses travaux d’économie de la famille) mais qui sera souvent critiquée, notamment par un Albert Hirschman, s’appuie sur la mise en évidence des préférences individuelles. Celles-ci portent sur des investissements de long terme (par exemple dans le système éducatif), des habitudes (fumer, boire, conduire ou non avec sa ceinture de sécurité) ou des agissements quotidiens (préférer lire un livre ou regarder la télévision). Là où sociologues, psychologues et anthropologues voient, généralement, de la morale, des normes et pressions sociales, des forces culturelles, l’approche beckerienne revient à tout ramener à des préférences individuelles. Selon Becker, les sciences sociales ne sont vraiment des sciences que lorsqu’elles repoussent les explications évoquant de l’irrationalité, de la culture, des forces collectives. Et il existe une science reine, l’économie, ou, plus précisément, une démarche d’économiste consistant à révéler, mesurer et analyser les choix et les fondements des choix individuels.

L’individu, vu par Becker, n’est pas totalement ni tout le temps rationnel. Il est, néanmoins, toujours en quête de bonheur et prêt à arbitrer entre des choix différents pour obtenir des satisfactions. Becker applique son approche à la criminalité. Celle-ci n’est pas le fait de personnalités déviantes différentes, mais d’acteurs rationnels qui arbitrent entre leurs obligations, opportunités et aspirations, en fonction des risques. Le criminel met ainsi en balance l’espérance de gain d’un acte illégal et le risque de sanction. L’idée de ne pas voir dans l’acte délictuel un unique effet de la socialisation et du contexte, mais d’abord d’un calcul, est venue à Becker à partir d’une expérience personnelle. En retard pour une soutenance de mémoire, il eut à choisir entre, d’un côté, perdre du temps pour trouver et payer une place de parking, et, de l’autre côté, se garer là où c’est interdit et risquer une amende. Becker fit rationnellement le choix « criminel » (sans, d’ailleurs, toucher de contravention). Sa posture consiste, par la suite, à considérer que délinquants et criminels raisonnent tous de la sorte. Constatant que la criminalité a augmenté à mesure que les peines déclinaient, Becker plaide pour l’alourdissement des sanctions, mais, surtout, pour la certitude de la punition. Le fond de l’affaire est toujours un calcul de probabilités.

Plus globalement, la théorie de Becker repose sur le « capital humain » dont tout individu est détenteur. Ce capital se compose, par exemple, des expériences professionnelles, de l’état de santé. Il consiste en capacités innées et en capacités acquises au prix d’investissements (dépenses matérielles pour se former, temps consacré au maintien ou à l’amélioration des ses capacités). Cette notion, devenue phare permet de saisir de façon nouvelle la vie en entreprise ou en famille. Le mariage se comprend d’ailleurs comme un contrat permettant d’optimiser le capital humain des membres du foyer. La femme s’engage à faire des enfants puis s’en occuper en échange de protection et d’assurance. Becker n’a pas une vision traditionnaliste de la famille (même s’il insiste sur le fait qu’il s’agit de l’institution la plus fondamentale). Il considère que les femmes sont victimes de discriminations, avec lesquelles elles composent.

Le foyer est une unité de production de services domestiques (ménage, cuisine, relations sexuelles..), et tout ce qui le concerne (vie quotidienne, mais aussi décisions radicales comme le divorce) peut être décrit par les mécanismes économiques d’optimisation individuelle. L’éducation, au sein de la famille comme, plus largement, à l’échelle d’un pays, devient un investissement dans le capital humain, tout comme l’achat d’une machine est un investissement dans le capital physique d’une entreprise. Cette nouvelle façon de voir la formation a révolutionné tout un pan de l’analyse économique.

Becker a été pionnier avec cette application systématique de la démarche économique aux sujets sociaux, et a mis du temps avant de convaincre du bien-fondé de sa démarche. Consacré par l’obtention du « Prix Nobel » d’économie en 1992, pour « avoir étendu le domaine de l’analyse microéconomique à un grand nombre de comportements et d’interactions humains, y compris le comportement non marchand », c’est certainement lui qui a permis à l’économie – qu’on le déplore ou qu’on le célèbre – d’investir d’autres thèmes que ce qui relevait seulement des questions de marché et de croissance. La science économique est d’ailleurs depuis critiquée pour son impérialisme. Tandis que ses outils et son vocabulaire sont employés dans tous les autres domaines des sciences sociales. Si beaucoup critiquent cette vision de l’homme mû par son seul intérêt, Becker soutient que les individus ne sont pas uniquement motivés par l’égoïsme. Les comportements sont commandés par un riche ensemble de valeurs et de préférences. Que le modèle des choix rationnels, à la Becker, permet d’approcher. Mais ce modèle est loin d’être unique et parfait.

Biographie. Gary Becker, né en 1930, toujours actif, libéral militant, enseigne à l’Université de Chicago, dans les deux départements d’économie et de sociologie. Il a commencé ses travaux par une thèse sur l’économie des discriminations raciales, étendant progressivement son mode de raisonnement à l’exploration et à l’explication de l’ensemble des aspects de la vie sociale, parfois les plus intimes.

  • Human Capital, Chicago University Press (1964)
  • A Treatise on the Family, Harvard University Press (1981).
  • Accounting for Tastes, Harvard University Press (1996).

Voir aussi l’important blog qu’il tient avec le juriste Richard Posner, spécialiste de l’analyse économique du droit www.becker-posner-blog.com

“Les politiques familiales : y a-t-il une spécificité française ?”, Les Cahiers français, n° 371, 2012.

En France, la famille constitue un domaine bien ciblé de l’action publique. L’ensemble des dispositifs destinés aux familles représentent près de 4 % du PIB, le niveau le plus élevé des pays de l’OCDE. Mais, contrairement a? de nombreuses politiques publiques dont les coûts sont souvent jugés excessifs par rapport a? leur efficacité, les politiques familiales bénéficient d’un regard positif, aussi bien dans le cadre national qu’a? l’extérieur des frontières.

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“Le modèle social : richesse ou frein économique ?”, Problèmes économiques (numéro spécial), septembre 2012.

Célébré ou décrié – c’est selon – le modèle social français est devenu une composante essentielle de la controverse politique et du débat économique. Érigé, par les uns, en locomotive du progrès social et de la croissance, il est conspué, par les autres, en tant que boulet pesant sur la compétitivité.

Ce « modèle social » rassemble l’ensemble de la protection sociale, au cœur de laquelle on trouve la Sécurité sociale, établie pour les travailleurs à partir de 1945, et, plus largement, l’ensemble des services publics. L’idée d’un « modèle social français », qui s’organise autour des politiques sociales mais aussi du système éducatif, du fonctionnement du marché du travail ou encore de l’accueil des immigrés, renvoie à une organisation institutionnelle et technique particulière mais aussi à une conception de la vie en société, à des valeurs, à une manière de concevoir l’égalité  (le « modèle républicain ») notamment.

Ses détracteurs rappellent les ratées de l’Etat-providence à la française (chômage de masse, ségrégation urbaine, clivage générationnel, pauvreté, fossé grandissant entre secteurs privé et public, surendettement public alimenté par la générosité des prestations sociales). Ses défenseurs soulignent ses performances (espérance de vie croissante, qualité des équipements, limitation de la pauvreté, santé de la population, fécondité élevée, capacités d’amortissement des crises).

 

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« La violence n’est plus ce qu’elle était », Sociétal, n° 76, 2012, pp. 136-142.

Célèbre professeur de psychologie à Harvard, Steven Pinker publie une analyse magistrale du déclin historique de la violence et de la cruauté. Une bonne nouvelle pour l’humanité, même si la pilule, au regard des incivilités actuelles et des massacres toujours à l’œuvre, semble difficile à avaler.

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« Le modèle social est-il soluble dans la mondialisation ? », Les Cahiers français, n° 367, 2012, pp. 21-26.

Le modèle social est-il soluble dans la mondialisation ? La question suppose un modèle social français « solide » (au moins au sens de ferme et de stable) qui se trouverait sous la menace d’une mondialisation « liquide » (au moins au sens de diffuse). Chimiquement, dissoudre signifie « se fondre » et, par extension, « disparaître » dans un solvant qui serait, en l’occurrence, la mondialisation. S’intéresser à la dissolubilité du modèle social c’est se demander, d’une part, si la mondialisation conduit à la démolition du modèle social, et/ou, d’autre part, si la mondialisation pousse à une incorporation du modèle français à des logiques différentes. Sous cette problématique à deux visages, émerge la question essentielle de savoir si le modèle social français est une force ou une faiblesse dans le processus de mondialisation à l’œuvre.

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« Le logement ‘low cost’ pour les plus défavorisés ? », Constructif, n° 28, février 2011.

La logique « low cost » n’est pas en france, en matière de logement, une idée bien neuve. Appelée à s’étendre partout dans le monde, elle permet aux plus défavorisés de se loger, sans nécessairement sacrifier la qualité.

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« L’urbanisation du monde : espoirs et menaces », Sciences Humaines, n° 231, 2011, pp. 22-27.

Un humain sur deux habite désormais en ville. Si certains redoutent l’entassement des pauvres et l’augmentation des pollutions, d’autres soulignent que la vie urbaine peut être source de qualité de vie et de préservation de l’environnement.

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« Le triomphe de la cité. Les atouts économiques de la ville selon Edward Glaeser », Esprit, n° 6, 2011, pp. 168-173.

Alors que l’urbanisation continue à partout progresser, en termes de consommation des espaces et, surtout, de mœurs et modes de vie, les villes sont l’objet de toutes les attentions. Quelles priorités dans leur gestion ? Quelles formes urbaines privilégier ? Qu’attendre de ces créations humaines longtemps décriées et maintenant célébrées, notamment pour leur créativité et leur dynamisme économique ?

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« L’urbanisation mondiale en perspective positive », Études, n° 6, 2011, pp. 739-749.

L’avenir ne se prévoit pas. Il se prépare. Tel est probablement le principal enseignement de la prospective. Certaines inerties démographiques sont néanmoins clairement à l’œuvre. S’il y a quelque chose d’assuré, au-delà des subtilités statistiques, c’est que le monde de demain sera plus urbain. Une grande partie des enjeux du XXe siècle se  trouvent dans les villes des pays en voie de  développement.

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« L’urbain ‘audité’ par la Commission européenne », Études foncières, n° 151, 2011, pp. 8-9.

Les données sur les villes sont aussi abondantes que débattues. Abondantes, car nombre de sources et d’enquêtes différentes apportent de l’information. Débattues, car, pour être bref, les méthodologies de collecte et la comparabilité des données ne sont pas toujours assurées. On peut en revanche repérer des initiatives intéressantes cherchant à compiler de manière systématique les informations disponibles et à les traiter.

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« Fraudeurs dans les transports en commun », Urbanisme, n° 378, 2011, p. 16

Les opérateurs et les financeurs des transports collectifs ont, en France, du souci à se faire. La fraude, difficile à qualifier juridiquement et à quantifier précisément, rassemble des étourdis, des rebelles, des joueurs ou des calculateurs. Les chiffres correspondent, comme pour la plupart des données de la délinquance, à une mesure des activités de lutte contre la fraude. Imprécisions et inquiétudes caractérisent donc un dossier important. Mais si les responsables des investissements, de l’exploitation et de la sécurité ont à se faire des cheveux blancs, c’est parce que la tolérance française à l’égard de cette fraude singulière est élevée.

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« Quel avenir pour les cimetières urbains ? », Urbanisme, n° 377, 2011, p. 12.

La progression de la crémation (plus d’un quart des obsèques maintenant contre 1 % en 1980) est à mettre en relation avec la préférence majoritaire, exprimée par la population aujourd’hui en vie (dont celle qui est encore très éloignée de l’échéance ultime,) pour ce choix qui, partant, relègue peu à peu l’inhumation. Ce recours accru, appelé encore donc à grandir, a pour conséquence une transformation de la place et du rôle des cimetières. Il traduit de profondes transformations des mentalités et des représentations. À terme, il invitera à reconsidérer, en profondeur, les cimetières, leur emplacement et leurs usages.

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« SDF et DALO : quelques constats sociologiques », Cahiers de la fonction publique & de l’administration, n° 307, 2011, pp. 10-12.

La loi établissant l’opposabilité du droit au logement, comme nombre d’autres dispositions importantes relevant de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, a été légitimée, discutée et montée de manière à bénéficier, théoriquement, aux sans-abri. Le DALO, au-delà des préoccupations de montée en charge et du caractère plus ou moins insuffisant de l’offre de logement, est-il seulement adapté, dans son principe ? Pour y répondre, quelques retours sur des constats sociologiques sont utiles. On s’intéressera ensuite à ce que peut emporter un objectif ambitieux comme celui de « zéro SDF ».

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« L’Union européenne dans vingt ans », Sociétal, n° 72, 2011, pp. 116-121.

À quoi ressemblera l’Union européenne dans 20 ans ? Il est, bien entendu, pratiquement impossible de donner une réponse précise. Une option raisonnable consiste à donner la parole à quelques experts de « haut niveau » (comme on dit à Bruxelles), pour des points de vue, des fictions raisonnées et des projections. Il est judicieux de compléter ces propos par ce que pensent les Européens de leur avenir.

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« ’Ghetto’ et ’mixité sociale’ selon les dépêches AFP » , Urbanisme, n° 375, décembre 2010.

Les expressions « ghetto » et « mixité sociale » campent en bonne position du palmarès des termes maintenant les plus employés et les plus discutés lorsque l’on aborde les politiques urbaines. Un court détour par les dépêches AFP permet un peu de clarté et de rappel dans le langage et les débats français. On verra, notamment, que l’usage du « ghetto » s’est, en réalité, progressivement effacé, tandis que celui de « mixité sociale » (dans une certaine mesure, en réponse au premier) s’est, lui, récemment étendu.

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« Les entreprises au cœur de la politique du logement », Urbanisme, n° 374, 2010, p. 19.

Quelle est la place de l’entreprise dans la politique du logement ? Plus précisément – même si la question est, dans son traitement détaillé, d’une redoutable complexité – quelle est la part des entreprises dans le financement de la politique du logement ? Le thème est d’importance.

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« L’adieu à Bismarck ? », Sociétal, n° 70, 2010, pp. 147-151.

Les États providence d’essence bismarckienne, dont la France, ne seraient pas réformables. C’est plutôt la thèse inverse qui se vérifie. Une plongée dans les évolutions récentes de la protection sociale en Europe continentale souligne l’absence de déterminisme institutionnel et d’importantes capacités de modernisation. L’occasion d’une révision et d’un panorama.

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« Les incendies comme indice d’inégalités ? », Urbanisme, n° 373, 2010, p. 7

La Préfecture de Police de Paris a publié la carte des incendies qui ont eu lieu en 2008 par arrondissement. Le document renseigne les habitants sur les occurrences des sinistres. Une telle information est utilisable pour approcher nombre de problèmes sociaux et urbains. On pense à l’hétérogénéité de la qualité du bâti. On peut aussi avoir à l’esprit l’escroquerie aux assurances. On peut encore penser à la diversité (et parfois à la vétusté) des équipements, notamment d’éclairage et de chauffage, dans les bâtiments. On peut imaginer disposer, de la sorte, d’une approche particulière des inégalités. Il y a bien sur inégalités, de fait, face à ce risque particulier, mais ce risque est certainement lié aux conditions sociales d’habitation.

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« Quelques opinions de dirigeants de Caisses de Sécurité sociale, au regard de celles des Français et des Européens », Regards (revue de l’En3s), n° 38, 2010, pp. 106-112.

Cette contribution, de format original, s’appuie sur une enquête réalisée à l’occasion des « Premières rencontres du régime général » organisées par l’UCANSS les 1er et 2 décembre 2009. Il s’agissait d’une interrogation, réalisée par voie électronique, des participants à ces deux journées de colloque. Une centaine de Directeurs ont bien voulu accepter de renseigner le questionnaire. Celui-ci n’était pas constitué de questions adaptées à l’événement et à la population, mais d’éléments tirés de questionnaires d’études plus larges menées régulièrement par le Crédoc sur les aspirations et les conditions de vie des Français. Quelques questions ont également été reprises de sondages Eurobaromètres, ce qui permet, habituellement, de situer les Français dans le concert européen, et donc maintenant également les dirigeants. Enfin quelques questions ont été extraites des enquêtes dites « Valeurs » (car, précisément, elles portent sur les valeurs), menées tous les dix ans.

« Long way », Sociétal, n° 68, 2010, pp. 124-130.

La question noire américaine est loin d’être réglée. De gigantesques progrès ont accompagné l’évolution des droits et du marché de l’emploi. Les Afro-Américains continuent néanmoins à vivre des difficultés concentrées (géographiquement et socialement). C’est en remettant à l’ordre du jour, franchement, ces singularités, avec leurs responsabilités collectives et individuelles, qu’il sera possible d’avancer encore.

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« Les craintes à l’égard du déclassement », Regards croisés sur l’économie, n° 7, 2010, pp. 84-86.

Un spectre hante la société française : le déclassement. Le concept est assez riche pour désigner des phénomènes différents, mais convergents, et pour appeler, en raison de sa relative nouveauté, une réflexion innovante sur un État providence bien incapable d’assurer ce qu’il promettait : une certaine sécurité de destin.

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« Projet social et projet urbain. Remarques théoriques », Études foncières, n° 144, 2010, p. 43.

Se poser la question de la place du social dans le projet urbain, et, plus précisément, dans l’urbanisme opérationnel, revient souvent uniquement à comptabiliser le nombre de logements sociaux dans les annonces et réalisations des programmes concrets qui accompagnent le projet. Or le social ce n’est pas seulement du logement. L’impact social des interventions territoriales dépasse largement la réservation de foncier ou de bâti pour des populations particulières. Plus généralement la question se pose des liens entre politiques sociales et politiques urbaines. C’est tout le propos de cette contribution, à vocation plutôt théorique (certains liront ésotériques), que de souligner les interdépendances croissantes entre politiques sociales et politiques urbaines. Plus globalement même, on peut soutenir que projet social et projet urbain relèvent pleinement de la même logique, celle d’une intervention publique qui se métamorphose, dans le flou rhétorique, mais aussi dans le concret pratique d’actions et de planifications qui visent de concert les espaces et les populations qui y vivent.

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« Sans-abrisme et lutte contre le sans-abrisme dans l’Union européenne », L’Observatoire, n° 64, 2010, pp. 80-85.

L’année 2010 a été proclamée « année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». Cette décision, visant la communication et la mobilisation, offre l’occasion de revenir sur l’une des dimensions les plus visibles et les plus prononcées de l’exclusion sociale : le sans-abrisme (le terme s’est imposé dans la littérature européenne).

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« Les politiques sociales au défi de l’innovation. Présentation de l’étude Futuribles », Regards (revue de l’En3s), n° 37, 2010, pp. 139-151.

(avec Pierre-Yves Cusset, François de Jouvenel, Sylvain Lemoine).

Les politiques sociales sont, elles aussi, concernées par le processus d’innovation. Ce phénomène n’est pas récent, comme en témoigne, par exemple, la création des assurances sociales en Allemagne et sa diffusion dans les autres pays développés au tournant du XXème siècle.

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« L’urbanisation mondiale : bienfait ou fléau ? », Réflexions immobilières, n° 51, 2010, pp. 43-47.

2008 a signé, dans une certaine mesure, une inflexion dans l’histoire mondiale. La population urbaine est devenue majoritaire. Un être humain sur deux, soit environ 3,3 milliards de personnes, habitent maintenant en ville. Ils n’étaient qu’un sur dix au début du XXème siècle. D’ici à 2050, la population urbaine pourrait atteindre 6,4 milliards, soit 70 % des habitants de la planète. Cette puissante dynamique d’urbanisation suscite autant d’inquiétudes, en termes de développement durable par exemple, que d’espoirs, en termes d’émancipation et d’amélioration des conditions de vie.

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« Uriner », Urbanisme, n° 370, 2010, pp. 66-67.

Uriner fait partie, avec d’autres besoins, de ces petits riens urbains auxquels tout le monde est confronté, mais sur lesquels peu d’experts ont bien voulu se pencher. Le sujet, qui détonne dans la sphère académique et fait sourire dans la discussion de café, est éminemment sérieux.

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« Zéro SDF, est-ce possible ? », Population & Avenir, n° 695, 2009, pp. 4-8.

Les hivers se suivent et se ressemblent : ils témoignent de la pérennité du mal logement. Ce dernier est tout particulièrement mis en évidence par les SDF (pour « sans domicile fixe »). Chaque année, quelques-uns d’entre eux, aux prises avec le froid, meurent dans nos rues. Cette grave question sociale, qui mérite un diagnostic précis, conduit à se demander si l’objectif de « Zéro SDF », éminemment souhaitable, est atteignable.

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« Tant qu’on a la santé », Sociétal, n° 66, 2009, pp. 127-133.

Davantage que la pauvreté, les inégalités seraient à l’origine de la plupart des problèmes sociaux et sanitaires. Cette thèse ressort aujourd’hui renforcée – ce qui fera plaisir aux tenants de l’égalitarisme (plus ou moins radical) – par des compilations et comparaisons de données internationales et infranationales (en particulier aux Etats-Unis). Si l’accumulation d’informations et de corrélations ne peut laisser insensible, l’intégrisme anti-inégalités a cependant des limites.

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« John Rawls. Le libéralisme équitable », Sciences humaines, n° 210, 2009, pp. 48-53.

Devenu « classique » et « monument » de son vivant, John Rawls (1921-2002) est l’auteur qui a récemment le plus profondément influencé la philosophie politique. Aucune œuvre n’a sans doute, au 20ème siècle, suscité tant de commentaires et d’interprétations. Chacun sur les échiquiers politiques et universitaires (au moins en philosophie morale) doit maintenant se situer par rapport à elle. La philosophie rawlsienne, abstraite des questions concrètes, n’est pourtant pas une guide pour la vie quotidienne ou pour la protection sociale. Sans applications pratiques immédiates, c’est une réflexion et des propositions générales pour une société juste.

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« Une nouvelle perspective pour l’Etat-providence : l’investissement social »,Futuribles, n° 357, 2009, pp. 41-50.

Jacques Delors et Michel Dollé livrent avec Investir dans le social un ouvrage important. Ils souhaitent également délivrer un message engageant. Dans ce texte très documenté et d’une clarté remarquable, sur un sujet pourtant potentiellement très aride, ils font le constat de la crise, des remises en cause et de l’inadaptation relative de l’Etat-providence français. Surtout, ils suggèrent et instruisent la voie possible de l’« investissement social » pour l’orientation des réformes nécessaires.

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« Le déclassement : définitions et perceptions », Regards sur l’actualité, n° 354, 2009, pp. 90-98.

Le déclassement désigne un sujet d’actualité mais également un concept relativement riche. En effet, il qualifie des phénomènes différents, mais convergents, et appelle, en raison de sa relative nouveauté, une réflexion innovante sur un État-providence incapable d’assurer ce qu’il promettait, soit une certaine sécurité de destin.

Une littérature et des controverses spécialisées se développent actuellement autour de cette notion de déclassement. Sa définition, sa nature et son ampleur sont discutées. Certains aspects et explications du déclassement, comme la qualité et l’utilité des diplômes, ont suscité des polémiques.

Un retour sur la caractérisation et les contours de ce phénomène appréciés par la mesure objective des situations, permettra de souligner l’importance de ce sujet dans l’opinion. 

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« Les ’bonnes’ raisons des SDF », Commentaire, n° 125, 2009, pp. 169-173.

Une partie des sans domicile fixe (SDF) refusent les services proposés pour les aider. Le problème se pose de manière criante en hiver lorsqu’en période de grand froid certains mettent de la sorte leur vie en péril. Ces rejets sont souvent le fait des personnes visiblement les plus en difficulté, pour lesquelles ont été légitimés et montés depuis une vingtaine d’années les services chargés de traiter les problèmes dits de « grande exclusion ». Ce constat fait l’objet d’une large couverture médiatique. En revanche, les raisons de ce refus sont rarement analysées en profondeur.

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« Réfections démocratiques. A propos du récent cycle de travaux de Pierre Rosanvallon », Futuribles, n° 349, 2009, pp. 31-38.

Pierre Rosanvallon a entrepris un nouveau programme de réflexion sur la désaffection démocratique et sur le désenchantement politique. Les deux premiers volumes issus de cette recherche captivante plongent dans l’histoire des idées et du droit. Ils éclairent d’un jour érudit et clair le brouillage de la situation contemporaine. On y découvre aussi des modèles qui permettent de mieux saisir ce qui se dessine.

Philosophie et science politique produisent une littérature proliférante autour de la démocratie. Rares sont les textes qui donnent l’impression de véritablement apporter quelque chose de neuf et d’utile. Les livres de Pierre Rosanvallon en font partie.

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