« La résidence alternée des enfants », Commentaire, n° 155, 2016, pp. 646-651.

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La résidence alternée des enfants

 

Julien Damon

 

Passée de la proscription à la prescription, puis à la normalisation, la résidence alternée est une organisation de l’hébergement et de l’existence des enfants de parents séparés. Elle consiste, essentiellement, en un partage du temps de l’enfant, selon une fréquence d’alternance qui peut varier, entre deux foyers. L’enfant a ainsi deux foyers, deux logements et, plus concrètement, deux chambres. Il s’agit, pour lui, de s’adapter à un mode de vie que lui ont choisi ses parents (comme après toute séparation).

 

Un enfant peut être, une semaine, en famille recomposée, l’autre semaine en famille monoparentale. Il peut vivre, chaque semaine, dans une famille monoparentale différente (une semaine avec son père, une semaine avec sa mère). Il peut aussi vivre, alternativement, dans deux familles recomposées différentes. Dans le premier cas, il aura un beau-parent. Dans le second, il en aura deux. Le cas échéant, il pourra se trouver entre une famille recomposée avec un couple hétérosexuel et une famille recomposée homoparentale. Si le cas est statistiquement rare, il vient, avec les autres, montrer que résidence alternée et recomposition familiale posent toujours, pour les parents mais surtout pour l’enfant, des problèmes d’organisation, mais aussi de représentation et d’identification.

 

On propose ici une rapide synthèse sur ce sujet disputé, en tentant une pesée équilibrée des différents arguments.

 

Une pratique reconnue, et en progression, depuis une dizaine d’années

La pratique était très limitée et contestée à l’origine. La possibilité d’une reconnaissance a été plusieurs fois repoussée à l’occasion des multiples réformes de l’autorité parentale. La résidence alternée au domicile de chacun des parents a été consacrée par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale[1]. Inspirée de deux rapports importants[2], le texte énonce que « père et mère exercent en commun l’autorité parentale ». Cette règle sous-tend à la fois un droit de l’enfant à être élevé par ses deux parents et le droit pour chacun des parents d’être impliqué dans l’éducation de ses enfants. Introduisant la référence à l’intérêt de l’enfant, elle va compléter la définition de l’autorité parentale. Dans la suite de cette loi, l’article 371-1 du code civil est ainsi rédigé : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». L’article 373-2 du Code civil prévoit, par ailleurs, que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». Ce texte uniformise les droits et devoirs de tous les enfants dont la filiation est établie. L’autorité parentale conjointe s’applique à tous les enfants quelle que soit la situation matrimoniale et quel que soit le type de filiation, y compris en cas de rupture du couple parental. La loi consacre totalement le principe dit de « coparentalité » en assurant le maintien du lien de l’enfant avec ses deux parents.

 

La loi de 2002 dispose que « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ». Et le législateur ajoute au Code civil que le juge, en cas notamment de désaccord des parents, peut ordonner une résidence alternée. Dans les séparations et divorces, la résidence alternée devient un modèle, au moins une modalité ordinaire, pour permettre le maintien des liens avec les parents.

 

Davantage encore qu’une modalité ordinaire, l’alternance et la double résidence pourraient même devenir la norme. Une proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, discutée à l’automne et l’été 2014[3], a voulu substituer à la notion d’alternance celle de double résidence de l’enfant. Le texte, très controversé et qui n’a finalement pas été adopté, pose le principe de la double domiciliation de l’enfant d’un couple séparé. Par exception, si aucun hébergement n’était possible chez l’un des parents (pour des raisons matérielles liées à ce domicile ou en raison de l’éloignement géographique, par exemple), le juge déterminerait la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents et fixerait le droit de visite de l’autre parent.

 

Le nombre d’enfants concernés par la résidence alternée reste relativement faible. Mais il augmente assez rapidement. Des études menées au début des années 2000 précisaient la décision d’une résidence alternée n’était prise que dans moins de 10 % des divorces d’époux avec des enfants. La proportion est probablement plus importante pour l’ensemble des enfants dont les parents sont séparés car le juge aux affaires familiales n’est systématiquement saisi que dans le cas des divorces. En 2012, le chiffre, pour les suites des divorces, est passé à 21 %.

 

Qu’en pensent les Français ? Le thème de la résidence alternée est devenu, à mesure de son affirmation dans le débat public et dans la réalité des famille, assez commun ; au point de voir différents sondages porter sur lui. Dans l’enquête barométrique du CREDOC sur les conditions de vie et les aspirations des Français, début 2014, il apparaît que 72 % des Français estiment que, lorsque les parents se séparent, l’enfant devrait résider alternativement chez son père et chez sa mère. Seuls 23 % considèrent que l’enfant devrait vivre principalement avec sa mère. On notera que quasiment personne (1 %) ne songe confier l’enfant principalement au père. 4 % des personnes interrogées ne sont pas fixées. Cette faveur pour la résidence alternée est, en tout cas, très largement défendue dans tous les groupes : les femmes (69 %), les seniors (67 %), les bas revenus (70 %).

 

Les arguments d’un débat vif

Au-delà du droit, il ressort de la progression de l’alternance, des manières de faire famille – c’est-à-dire de vivre au quotidien – qui diffèrent pour l’enfant : des horaires, des menus, des arts de la table, des règles de discipline, des modalités d’usage de la télévision ou des jeux vidéo. Il s’ensuit des contextes et types de socialisation qui peuvent significativement varier. Le tout produisant des enfants enrichis ou dérangés par ces expériences et contextes.

 

Certains critères sont à prendre en compte, par les parents comme par le juge, pour la mise en place d’une alternance de résidence : la proximité géographique des deux domiciles (pour limiter les déplacements) ; la proximité de l’école où est scolarisé l’enfant (l’école devenant une institution de stabilité) ; le niveau d’entente des parents (au moins sur les principes éducatifs) ; l’organisation pratique mise en place (dates et horaires d’alternance, partage des dépenses, etc.). L’âge de l’enfant est également pris en considération, de nombreux experts (médecins ou psychologues) estimant, souvent en accord avec les juges, que la résidence alternée peut être défavorable au développement du très jeune enfant.

 

Rien ne permet d’affirmer que l’hébergement partagé soit fatalement néfaste. Tout comme rien ne permet de dire qu’il soit naturellement bénéfique. Comme souvent en matière familiale, deux écoles s’opposent. Dans un camp, surtout, des pédopsychiatres qui dénoncent les hauts risques psychiques, en particulier sur les enfants de moins de six ans, et qui font état de leurs consultations avec des angoisses, du vide dans les regards, des troubles cutanés et du sommeil, de l’agressivité. Dans l’autre, des juristes et des familles militantes qui expliquent que, malgré d’incontestables difficultés, le modèle fonctionne. À coups d’exemples opposés, d’expertises et d’attaques, qui ne sont pas toujours convaincantes, ils exposent leurs arguments et, parfois, s’empoignent durement, par pétitions comme par ouvrages savants[4].

 

Arguments en faveur de la résidence alternée :

  • elle permet l’exercice concret de la « coparentalité » ;
  • elle permet aussi l’exercice concret du droit de l’enfant d’entretenir des liens avec ses deux parents ;
  • elle met sur le même plan droits de la mère et droits du père ;
  • elle autorise les parents, lorsqu’ils ne sont pas avec leur enfant, à reconstruire leur vie ;
  • elle doit autoriser une pacification des séparations, au moins dans la répartition du temps des enfants et des ressources qui y sont liées.

 

Arguments en défaveur de la résidence alternée :

  • elle n’est pas toujours issue de l’accord amiable entre les deux parents et dépend, en cas de conflits, du juge ;
  • la séparation d’avec la mère pourrait entraîner, pour les très jeunes enfants, des troubles graves ;
  • elle peut être demandée pour satisfaire une volonté de se soustraire à une pension alimentaire ;
  • pour tous les enfants, elle demande une capacité d’adaptation logistique et affective que célèbrent les parents mais qu’ils ne s’imposeraient pas ;
  • elle est plus adaptée aux désirs de vie des parents qu’au besoin de stabilité des enfants.

 

Les arguments puisent dans les mêmes familles d’idées, d’observations et de principes que ceux qui condamnent ou qui vantent les recompositions familiales. La résidence alternée est alternativement présentée, d’un côté, comme source de joie et de partage, et, de l’autre, comme nid de psychopathologies. Les enfants directement impliqués peuvent tout autant joyeusement dire que l’on leur fête deux fois leur anniversaire et Noël, que tristement signaler, comme tout enfant de parents séparés, qu’ils trouvent douloureux et malheureux de vivre cette situation.

 

L’absence d’études irréfutables sur les conséquences positives ou négatives pour l’enfant, noyée dans la généralisation d’observations cliniques (qui, par construction, ne portent que sur des dysfonctionnements[5]) tout comme dans l’affirmation de grands principes généraux empêchent de conclure définitivement. Qui y trouve, en définitive, son compte ? Des parents séparés qui se préservent chacun un mi-temps d’enfants ? Ou des enfants qui voient leurs parents à mi-temps à défaut d’un plein temps ?

 

S’il est impossible de démêler une incontestable vérité, on peut convenir que la résidence alternée n’a pas le même impact sur tous les enfants, comme sur tous les parents. Ces derniers ont d’ailleurs un profil qui présente des singularités, même s’il est impossible, faute de données précises, d’en dresser un portrait détaillé. Le faible recours à l’aide juridictionnelle, tout comme l’ampleur des dépenses que suppose la mise en place d’une résidence alternée, laisse d’abord penser que les parents qui demandent ce mode de résidence sont dans une situation financière relativement aisée. Toutes les catégories sociales peuvent être séduites, mais les coûts sont élevés notamment quand il faut acheter en double des vêtements ou des fournitures scolaires, pour ne rien dire des difficultés à se loger dans des conditions permettant un accueil de qualité pour un enfant. Ensuite, ces parents doivent avoir sur la famille et les enfants des idées modernes (ou qui le sont devenues) pour s’investir dans des solutions qui étaient jusqu’à récemment refusées sous prétexte qu’elles seraient nuisibles par principe à l’enfant. Enfin, il faut un haut niveau d’entente du couple parental pour surpasser des tensions et confrontations qui ont pu être à la source de la dislocation du couple conjugal et qui peuvent se revivre à l’occasion de la vie en alternance de leurs enfants.

 

L’organisation d’une résidence alternée, qui n’est pas un droit des parents mais une option maintenant favorisée, n’est pas figée. Le rythme de l’alternance ne l’est pas, ses composantes non plus. Les parents, et éventuels beaux-parents arrivés en cours de route, ont le loisir de s’accorder sur des modifications. Si nécessaire, le juge peut être saisi. Tout d’abord, les formes de l’alternance varient. Dans certains cas (qui ne durent probablement pas longtemps) ce sont les parents qui alternent au même domicile où demeurent les enfants. Si la plupart des résidences alternées cherchent une organisation rigoureuse et à stricte parité, avec des horaires bien fixés, permettant des repères aux parents et aux enfants, toutes les formules, des plus souples jusqu’aux plus acrobatiques (deux jours sur quatre par exemple) sont possibles. La loi n’impose pas, pour que la résidence de l’enfant soit fixée en alternance aux deux domiciles de chacun de ses parents séparés, que le temps passé par l’enfant chez son père et sa mère soit de même durée. Le juge peut même, si l’intérêt de l’enfant le commande, décider d’une alternance avec un partage inégal du temps de présence. Surtout, la formule n’est pas figée dans le temps. Elle peut s’adapter aux emplois du temps et à l’organisation familiale des parents, mais aussi aux aspirations des enfants qui, grandissant, doivent être entendus pour exprimer leurs préférences s’ils en font la demande.

 

Une entrée originale dans ce débat est de se demander, au vu de la fluidité et de la malléabilité possibles des organisations de résidence alternée, si toutes les séparations ne mènent pas, en réalité, à des organisations en alternance. On fait sciemment l’impasse sur les parents non gardiens qui n’exercent pas ou qui n’exercent plus le droit de visite, en se concentrant sur les cas où père et mère, d’une manière ou d’une autre, continuent à vivre, une partie du temps, avec leur enfant. Quand cet enfant n’a pas, juridiquement, de résidence alternée, dans les autres formes d’organisation après un divorce ou une séparation, il alterne bien entre deux domiciles, à un rythme qui n’est pas égal. Il aura une résidence que le droit dira « habituelle », mais au minimum un week-end sur deux, et la moitié des vacances, il vivra avec son autre parent, dans un autre contexte familial. Tout enfant de parents séparés vit, en quelque sorte, en multirésidence. Dans cet ordre d’idées, les critiques à l’endroit de la résidence alternée pourraient être, plus généralement, des critiques à l’égard des séparations et des divorces.

 

Les politiques familiales recomposées

Quittant la sphère des débats d’opportunité pour revenir à celle des faits et du droit, il faut maintenant indiquer que la résidence alternée est une source particulière de recomposition et complexification des politiques familiales. Partageant le temps et la charge des enfants, l’alternance de résidence amène le sujet du partage des prestations et des avantages fiscaux.

 

Avec la coparentalité, les deux parents ont l’autorité parentale et la charge effective et permanente de l’enfant (même s’il ne réside pas en permanence au domicile des deux). Ceci implique des adaptations pragmatiques du droit social à ce que les faits et maintenant le droit civil organisent. En matière de santé, les enfants peuvent être inscrits sur la carte vitale de chacun des deux parents. Côté fiscal, depuis 2004, la charge est partagée entre les deux parents séparés en cas de résidence alternée. Chacun des parents a droit, pour le calcul de l’impôt de son foyer, à une majoration de part égale à la moitié de celle attribuée en cas de résidence exclusive. Le partage de la majoration implique également le partage des réductions et des crédits d’impôts liés aux enfants (frais de garde, frais de scolarité, taxe d’habitation). Le partage des allocations familiales entre les deux ex conjoints a été rendu possible par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007. Ce partage ne concerne que les allocations familiales, versées à partir du deuxième enfant sans condition de ressources, et non les autres prestations (prestations d’accueil du jeune enfant, allocations logement, etc.). Ces dernières sont soumises à des conditions de ressources ou bien modulées en fonction des ressources, ce qui rend, pour le moment, impossible de savoir comment exactement mesurer les ressources à prendre en considération, sauf à imaginer que les deux foyers organisant la résidence alternée fusionnent en un unique foyer fiscal, ce qui n’a, évidemment aucun sens. Elles restent donc versées à un seul des deux parents, à charge au couple de s’entendre sur une répartition et une circulation de cet argent.

 

Pour le calcul et le versement des allocations familiales, la charge de l’enfant est partagée par moitié entre les deux parents soit sur demande conjointe de leur part, soit s’ils sont en désaccord sur désignation de l’allocataire. Il est une autre possibilité, tout à fait légale, consistant à n’avoir qu’un parent allocataire, sans mention de la situation de résidence alternée. Le gain est net lorsqu’il y a recomposition familiale et apparition de nouveaux enfants dans l’un des deux foyers, dans l’un des deux résidences. L’allocataire maximise alors les allocations familiales, qui sont progressives en fonction du nombre d’enfants. Il restitue ensuite à son ex conjoint, soit la moitié du montant total, soit sa quote-part. Si l’un des deux parents est seul allocataire en titre, l’ensemble des enfants issus de lits différents ne forme pas, pour le versement des allocations familiales, une famille recomposée. Les parents par accord privé, se partageront, selon des clés de répartition qu’ils choisissent, les prestations. Résidence alternée et recomposition sont affaires d’arrangements privés. Certes, ces accords ne sont pas toujours possibles en raison de l’intensité des conflits, mais leurs bénéfices sont fortement incitatifs. Et la récente modulation des allocations familiales peut conduire à de nouveaux arbitrages et bricolages entre les foyers fiscaux des enfants en résidence alternée.

 

Illustrons. A et B sont séparés. Ils ont deux enfants en résidence alternée, et se trouvent, en termes de revenus, sous le plafond de modulation des allocations familiales. Choisissons un cas simple… Le montant mensuel d’allocations familiales est de 130 €. B vit maintenant avec C avec qui il a eu un enfant. Pour un seul enfant, il n’y a pas d’allocations familiales. Pour trois enfants, le montant est de 290 €. A, B et C ont intérêt à ce que B demeure allocataire pour les trois enfants et verse 65 € à son ex conjoint A. Sur le plan fiscal, la même opération est d’ailleurs réalisable. L’un des deux foyers, sauf s’il est à composition et à revenus parfaitement identiques, a intérêt à demeurer foyer fiscal de référence pour tous les enfants. Il maximise le nombre de parts pour le calcul du quotient familial. Avec trois enfants, déclarés à charge exclusive, le foyer de B et C compte deux parts, alors que dans le foyer A, avec deux enfants en résidence alternée il n’y a qu’une part. A, B et C ont, généralement, intérêt à ce que B et C bénéficient d’une forte réduction d’impôts dont ils feront ensuite profiter A à proportion de ce qu’aurait été pour son foyer le bénéfice du quotient familial. Tout est donc possible au cas par cas. Relevons que pour les cas relatifs aux calculs sur le quotient familial, il faut que les deux foyers soient assez aisés pour compter parmi les foyers imposés. Et il faut même certainement qu’ils atteignent des niveaux de revenus élevés leur permettant de maximiser le mécanisme du quotient familial, ce qui est loin d’être donné à tous.

 

Quelles limites ?

La leçon plus générale relève de la prospective. Alors que le partage des avantages socio-fiscaux est possible, pour le moment de manière limitée, pourquoi ne pas envisager, comme certains le réclament d’ailleurs, son extension ? Le partage fonctionne sur une règle de moitié. On peut envisager un partage prorata temporis des prestations qui seraient dès lors servies à proportion du temps vraiment passé par l’enfant dans l’une de ses résidences. On peut aussi envisager un partage qui ne s’opère plus seulement entre les deux foyers des parents séparés, mais, en fonction des éventuelles séparations ultérieures, entre tous les foyers qui conservent un lien avec l’enfant. Les prestations seraient dès lors divisées en trois, quatre ou plus. L’établissement d’un statut du beau-parent, si statut il devait y avoir, doit prosaïquement envisager ces éventualités. Bien entendu, tout ceci serait, d’abord, d’une redoutable complexité à gérer. Mais c’est certainement au droit et aux opérateurs chargés de la gestion des droits de s’adapter à la complexité familiale. Cette prospective du prorata temporis ou de la répartition peut sembler baroque. C’était le cas, il y a moins d’une décennie, de nombre de phénomènes, d’organisations et d’arrangements actuels.

 

Les idées sur la famille ont bougé, tout en demeurant relativement conflictuelles (et c’est ce dont ont pleinement témoigné, en 2013, les controverses autour du « mariage pour tous »). Le droit social s’est, en tout cas, adapté et densifié. Les organismes gestionnaires (caisses d’allocations familiales en particulier) assimilent ces transformations qui ne cessent de se traduire en textes et en applications informatiques.

 

On le voit la résidence alternée n’est pas uniquement un sujet de psychologie et de développement de l’enfant ; un thème de polémiques puissantes autour de la famille. C’est aussi un sujet technique important.

 

Une question cruciale, pour les parents, pour le droit, pour les systèmes d’information, est bien de savoir quelles limites s’imposer. Les frontières sont certes ouvertes mais tout le monde doit se demander si la résidence alternée et, plus largement, les recompositions familiales incarnent véritablement une reconnaissance des droits et des intérêts de l’enfant, ou bien la satisfaction des désirs des parents. Sur cette alternative fondamentale, chacun son opinion.

 

 

 

[1]. Pour une présentation et une analyse, du point de vue juridique, voir le dossier « Résidence alternée », AJ Famille, Dalloz, n° 12, 2011.

[2]. Il s’agit du travail de la sociologue Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Paris, Odile Jacob, 1998 et de celui de la juriste Françoise Dekeuwer-Defossez, Rénover le droit de la famille. Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps, Paris, La Documentation française, 1999.

[3]. Cette « loi famille » a connu un parcours parlementaire compliqué, avec adoption en première lecture par l’Assemblée nationale le 27 juin 2014. Il est, depuis, toujours en jachère au Sénat. Signalons que ce texte a été, lui aussi, inspiré par des rapports préparatoires dont : Irène Théry, Anne-Marie Leroyer (dir.), Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014.

[4]. Pour une charge contre la résidence alternée, voir Le livre noir de la garde alternée (Dunod, 2006), préfacé par le pédopsychiatre Maurice Berger. Ce Livre noir s’est vu répondre un Livre blanc. Voir Gérard Neyrand, Chantal Zaouche Gaudron (dir.), Le livre blanc de la résidence alternée. Penser la complexité, Toulouse, Érès, 2014. Dans un genre équilibré, mais d’édition plus ancienne, voir Claire Brisset, Catherine Dolto, Gérard Poussin, Pour ou contre la garde alternée ?, Paris, Mordicus, 2010.

[5]. Signalons que, souvent, les pédopsychiatres et psychologues critiques et très critiques font état de ce qu’ils observent dans leurs cabinets. Mais s’ils rendent bien compte de cas problématiques, on ne saurait en tirer des leçons générales sur tous les cas de résidence alternée. Il y a là classiquement ce que Raymond Boudon appelle un « effet de position ». L’échantillon de cas est celui que connaît le professionnel, mais il ne représente pas la population concernée. À ce sujet, crucial, des échantillonnages discutables, voir, sur un autre sujet, Nicolas Gravit, Les surdoués ordinaires, PUF, 2014.

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