Loi Duflot : une défiance anti-marché contre-productive
La loi Duflot, votée au Parlement mais en passe d’être détricotée par le gouvernement, ne mérite pas tous les coups qui lui sont portés. Son orientation générale, explicitement anti-marché, est très contestable car potentiellement très préjudiciable. Mais, d’une part, on ne saurait lui imputer tous les défauts et problèmes de l’immobilier en France, et, d’autre part, elle contient des dispositions tout à fait valables. Reste qu’à force de se défier du marché, la confiance s’étiole et les investisseurs s’en vont.
La loi dite Duflot dite aussi ALUR (pour accès au logement et un urbanisme rénové) ne saurait être condamnée d’un seul bloc comme si elle ne contenait qu’une disposition unique. Ce texte très technique compte plus de 170 articles et nécessite une centaine de décrets d’application. Une grande partie des mesures ALUR sont paramétriques et bureaucratiques. Elles ne sauraient avoir d’impact puissant sur l’offre et la demande de logements. Nombre d’articles de la loi ne font aucunement l’objet de condamnations radicales. Il en va ainsi, par exemple, d’éléments de réforme pour une plus grande transparence des procédures de demande d’un logement social. Il en va, aussi, d’un encouragement au passage à l’échelon intercommunal pour la production des documents d’urbanisme et pour la gestion du permis de construire. Concrètement, il s’agit de valoriser des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) intercommunaux. Ce PLUI, qui ne fera pas obligatoirement le beau temps, peut apporter en matière de planification et de dépassement des égoïsmes municipaux. Il en va, encore, d’un souci de meilleure coordination entre les politiques publiques du logement et celles de l’hébergement. Toutes ces mesures, peu contestées, foisonnent ainsi dans une loi au contenu très divers.
Une de ses dispositions iconiques, l’encadrement des loyers, lui vaut toutes les attaques. Le texte embarrasse, avec de bonnes raisons, les professionnels et les experts de l’immobilier. Le contrôle des loyers, envisagé avec un système particulièrement sophistiqué et certainement très laborieux à implémenter, fait frémir. Reste certains responsables politiques qui, soucieux de faire montre de volontarisme et de plaire à leur électorat, tiennent à avoir recours à un tel instrument. On a le droit de critiquer cette option et cette proposition, devenues législation. Mais il est intellectuellement malhonnête d’imputer à un nouveau contrôle des loyers l’ensemble et le niveau très élevé des problèmes qui le précèdent. Les tensions dans le secteur du logement, l’augmentation des prix (mais pas partout, et surtout à l’achat), la baisse importante de la construction ne relèvent pas isolément de la responsabilité de la loi ALUR. Celle-ci, votée fin mars denier, n’a même pas été mise en œuvre.
Il est vrai que les législations, avant même d’être discutées, produisent des anticipations et des incitations. Et, en l’espèce, l’orientation générale de la loi ALUR et son idéologie sous-jacente sont problématiques. Leurs promoteurs (si l’on peut se permettre l’expression) ont soutenu et soutiennent encore leur projet au nom de la justice sociale. Mais chacun voit la justice sociale à sa manière. Certains estiment qu’une justice vraiment sociale consiste à davantage encore socialiser la politique du logement. D’autres considèrent qu’une justice dite sociale n’est pas juste car obérant propriété et liberté.
Le propos de Cécile Duflot, puisant dans le répertoire militant de la justice sociale, a largement insisté sur les défaillances et limites du marché. Avec ses menaces inutiles et peu sérieuses de réquisitions, la Ministre avait donné le ton. Avec son projet de loi, elle a accentué le bruit anti-marché. Avant même d’avoir pu inaugurer le premier observatoire des loyers, permettant un encadrement renforcé de l’État, la Ministre s’était déjà attiré la méfiance des propriétaires et des investisseurs.
Or c’est tout bonnement l’inverse qu’il faut attendre. La politique du logement appelle, comme d’autres domaines, un choc de simplification mais aussi un choc de confiance ! Pour le dire de façon que l’on pourra juger plus provoquante, la situation n’appelle pas moins mais plus de marché. Quelques données illustrent la singularité française. 58 % des ménages sont propriétaires de leur logement. 17 % sont locataires du parc social. Les 25 % restants, locataires du secteur privé (dit aussi secteur « libre »), sont ciblés par cette supposée protection apportée par le contrôle des loyers. Dans 98 % des cas, ces locataires du privé ont pour bailleurs des personnes physiques. En gros, de petits propriétaires qui ont là leur principal capital et principal investissement. Les locataires privés n’ont que dans 2 % des cas un propriétaire institutionnel. Cette proportion est la plus faible dans les grands pays de l’Union européenne. La France se singularise très nettement et très défavorablement. Les propriétaires institutionnels ont fui ce secteur de l’immobilier locatif résidentiel privé. Et une politique sensée consiste à tout faire pour les y ramener plutôt qu’à les confirmer dans leur choix de défection. On pourra discuter à foison de la légitimité et de la « justice sociale » des incitations fiscales faites aux ménages et aux entreprises pour investir dans l’immobilier, le sujet relève d’abord d’un climat de confiance à rétablir.